«On fait la science avec des faits, comme on fait une maison avec des pierres. Mais une accumulation de faits n'est pas plus une science qu'un tas de pierres n'est une maison.» C’était une citation de Henri Poincaré, un français. Il était certes un mathématicien et physicien, mais en tant que philosophe, il avait gratifié le monde de jolies observations dans ce genre-là. Et concernant celle-ci, elle résumait un peu où Pixie en était.
Depuis quelques semaines elle se perdait en raisonnements complexes et en tests totalement foireux. Pourtant, elle sentait qu’elle tenait quelque chose mais une inconnue demeurait dans ses équations. Forcément, elle avait horreur de ça et se montrait de jour en jour, non seulement de plus en plus fatiguée, mais de plus en plus désagréable. Le décor était dressé : voilà comment elle avait été catapultée dans la zone industrielle avec pour destination finale, le terrain vague qui devait fut un temps accueillir un bâtiment.

Une voiture l’avait déposée sans grande cérémonie un peu plus loin. Elles étaient toujours fidèles à elles-mêmes, les troupe d’Apocalypto.. et depuis qu’elle était descendue, avec son jean usé qui traînait par terre, son pull trop grand et un sac jeté sur son dos, Pixie longeait la zone la tête baissée. Pour ne pas changer, son cerveau était en ébullition, mais cette fois vis-à-vis d’un truc qui s’était passé et qu’elle avait trouvé franchement bizarre. On lui avait remit un stylet. Ce genre de petit poignard à lame très fine fait pour blesser gravement. C’était la première fois qu’elle en voyait un en vrai, et aussi la première fois qu’elle en avait un en sa possession. Ce genre de jouet, Pixie ne s’attendait vraiment pas à en avoir un jour. Non pas qu’elle soit une pacifiste anti-violence convaincue mais si elle ne se voyait pas dans les équipes de terrain d’Apocalypto, comment pouvait-elle s’imaginer se servir d’un tel objet ? Enfin bref… c’était pour sa sécurité, d’après ce qu’on lui avait dît. Elle pouvait bien croire ces gens-là sur parole, surtout avec certains mutants prédisposés à s’en prendre aux humains… Vous savez, il y a des moments où un peu de courage ne suffit pas.

Mais revenons-en au terrain vague abandonné. La jeune chercheuse s’arrêta brusquement, interrompant du même coup le flot de pensées qui lui traversait l’esprit. En levant la tête, elle se passa une main dans les cheveux pour dompter quelques mèches qui retombèrent autour de son visage quand elle secoua la tête. Pixie prit soin de regarder autour d’elle. Le coin n’était pas réputé pour être des plus sûr. En fait, depuis l’abandon du projet de construction c’était devenu un véritable repère pour les gens rejetés par la société, qu’il s’agissent de mutants ou bien de toute autre personne ne correspondant pas aux normes sociales exigées à Ahaea. C’était la première fois qu’elle y venait et la perspective ne la rassurait pas plus que ça. Et encore elle avait de la chance qu’on l’ait parachuté ici en pleine journée. Elle soupira longuement en ramenant son sac à dos devant elle afin d’en ouvrir la fermeture éclair. En quelques secondes, Pixie avait enfilé les gants chirurgicaux qu’on lui avait fourni et elle sautait déjà par dessus une première tranchée. Le but était de trouver des traces ou n’importe quelle preuve de passage mutant qui pourrait être utile à la recherche. Dans le fond, Pixie était persuadée qu’elle était ici pour une raison très simple : reposer ses collègues. Il fallait dire qu’elle n’avait pas arrêté de râler ces derniers temps. Et même si elle le faisait dans son coin, le fait qu’elle s’exprime à voix haute commençait à déranger. Elle l’avait très bien sentie mais n’y pouvait pas grand chose. Ou ne voulait pas admettre qu’elle pouvait y faire quelque chose, au choix. Toujours est-il qu’elle s’appliqua pendant deux bonnes heures à explorer le terrain, à soulever doucement quelques bâches, à examiner consciencieusement des traces de sang qu’elle n’hésita pas à prélever. Jusqu’au fond d’un fossé creusé pour les fondations.

Quand elle s’estima satisfaite de son petit bazar, elle s’accroupie pour ranger les éléments dans son sac à dos, enleva les gants et les joignit au reste. Pas à un seul instant elle ne cessa de murmurer, des commentaires, des impressions, ce qu’elle ferait quand elle retournerai au laboratoire.. comme une bestiole curieuse et savante. Ce ne fit pas étonnant venant d’elle, qu’elle ne remarque aucune présence. Un léger vent caressait sa peau et elle y attribuait les quelques bruits qu’elle avait entendu. Il était tant de partir de ce lieux un peu sordide. Beaucoup plus énergique et de meilleure humeur, elle remonta hors du fossé avec un peu trop d’élans.. qui la fit basculer en avant de plusieurs pas. Elle en gâcha une photo à son insu.

« Oh, je m’excuse ! Je ne vous avais pas vue, ne vous en faites pas, je n’utiliserais pas cette photo ! »

Interloquée par cette prise de parole à laquelle elle ne s’attendait pas, Pixie tourna vivement la tête pour se retrouver face à une jeune fille. Elle devait avoir à peu près son âge d’après ce qu’elle voyait . Elle avait aussi un appareil photo dans la main.. ainsi qu’une multitude de couleur de par ses vêtements, son bandeau et ses boucles d’oreille. La blonde ne pouvait pas s’empêcher d’écarquiller les yeux, elle eut un moment d’hésitation, le temps que toutes les morceaux de la scène se mettent en place. Puis elle put enfin remettre son sac dans son dos en se forçant à relativiser. Pixie n’était pas parano, il y avait peu de chance pour que cette fille l’ait vu faire.. ce qu’elle faisait. Elle sourit d’un air gêné

«C’est rien, à vrai dire j’ai dû te faire rater une photo, c’est moi qui suis désolée..»

C’est avec son naturel déconcertant qu’elle l’avait automatiquement tutoyée, d’après ses déductions sur son âge. Quoique même en général, Pixie avait une forte tendance à ne pas prendre tout le monde pour des êtres supérieurs. La brune devait se méfier, se dire qu’elle était peut-être une mutante, sinon elle n’aurait pas si vite déclaré qu’elle ne se servirait pas de sa photo. A sa place, c’est sûrement ce qu’aurait fait Pixie aussi, sauf qu’elle n’aurait peut-être pas pu être aussi sincère.

«Oh.. euh, pardon. Tu peux y aller»

Dit-elle en se décalant à l’extérieur de ce qu’elle délimitait comme le champ de la photo que voulait prendre la jeune fille. Bien qu’elle ne voyait pas trop ce qu’il y avait de si intéressant à photographier ici, elle se remit à sourire, amicalement cette fois.

Cette fille avait l’air de se sentir vraiment fautive. Pixie la regardait attentivement, comme si elle avait pu tout comprendre d’elle rien qu’en faisant cela. Évidemment, il n’en était rien. Si la jolie blonde avait souvent des intuitions et des premières impressions très justes sur les gens qu’elle croisait, elle cherchait tout de même en permanence à avoir des confirmations. Au fil du temps, elle avait apprit à ne pas se baser sur ces choses instables que sont les sentiments. C’était une scientifique, pour elle, tout devait se démontrer avant de pouvoir confirmer. Un raisonnement logique, mathématique, c’était sa façon de fonctionner.

Mais voilà que l’interlocutrice se remettait à parler. Pixie était étonnée de sa façon de voir les choses au final, ainsi que sa façon de les expliquer. A vue d’œil, la demoiselle aimait communiquer, un peu comme Pixie, mais en un peu plus bavarde. Ça la fit sourire, relativement amusée. Elle hocha la tête en seule guise de réponse, peu persuadée qu’on en attendait vraiment une de sa part.
C’était fou mais son sourire ne s’effaçait pas, comme s’il ne pouvait pas. Au fond, ça lui faisait du bien. La jeune chercheuse faisait parti de ces gens qui savent sourire avec candeur, qui sont ouverts au monde et qui lui tendent les bras. Pendant des années, elle avait eu la sensation de ne pas voir la lumière du jour. Cloîtrée dans une école où la liberté était calculée, elle avait sans doute manqué de cette fraîcheur qui fait l’essence même de la jeunesse. Jalousement, elle avait protégé cet éclat en elle afin de ne jamais le perdre, bien que ses journées soient réglées de façon à ce qu’elle emmagasine le plus de connaissances possible, et rien d’autre. Les gens de son âge, les gens normaux, ceux qui font des sorties, qui rient et qui ne rêvent pas de nouvelles technologies la nuit.. Pixie n’en avait tellement plus côtoyé qu’elle avait l’impression de revenir dans la réalité après un siècle d’absence. Voire deux même.

Après être sortie du champ de la photo, Pixie passa une main sur la manche droite de son pull à plusieurs reprises pour en chasser la poussière. Elle n’avait pas remarqué jusque là mais ses fringues n’étaient plus tellement dans un état présentable, à force de fouiller sous les bâches et de descendre dans les fossés. Pourtant elle ne s’était pas roulée par terre. Elle soupira discrètement avant de s’avancer vers la fille brune, piquée dans sa curiosité. Sans un mot, pour ne pas la déconcentrer, elle vint de mettre plus à côté d’elle et la regarda prendre sa photo. Son comportement devait être fort apprécié puisqu’elle en avait été remerciée avec enthousiasme. Pixie trouvait l’attention délicate de l’avoir signalé, même si elle ne faisait pas spécialement ça pour récolter de la reconnaissance.. Néanmoins elle ne pouvait pas s’ôter de la tête une grande question : cette fille était-elle atteinte d’absence de méfiance dès qu’elle voyait un sourire ? A moins que ce ne soit Pixie qui l’était trop. Et encore c’était peu probable, au labo on lui reprochait de temps à autres de manquer de distance face aux sujets d’expériences. On la disait trop soucieuse de leur état. Et si certains avaient avoué douter de sa loyauté, elle n’en aurait pas été surprise, bien qu’elle aurait nié. « Comment un si grand cerveau peut abriter autant de naïveté ? » Le jour on lui avait dit ça, elle avait attendu d’être seule pour en rire. Mais Pixie ne considérait pas les gens qui travaillaient pour l’Opération comme les mauvais dans cette crise. Elle était juste sidérée de voir autant de haine chez eux. La différence effraie autant que l’inconnu. Et les mutants réunissaient ces deux cas à eux tout seuls. Si quelques personnes pouvaient ouvrir les yeux, il était impossible de changer les mentalités aussi vite. Et puis, ils avaient de bonnes raisons, tous autant qu’ils étaient, ou presque.. Sans compter qu’ils n’étaient pas les instigateurs uniques de ce projet. Mais bon.. elle avait apprit sa leçon sans vraiment l’appliquer, elle qui détestait qu’on pense que son jeune âge y était pour quelque chose. Pour Pixie, tout était possible, simplement. Elle n’était pas stupide au point d’ignorer que les mutants -ou toute autre personne- pouvaient être malintentionnés à son égard, que sa position était dangereuse et qu’il ne fallait Ô grand jamais qu’elle ne soit identifiée comme un membre de l’Opération. Mais elle n’adhérait pas à l’idée qu’ils soient tous à abattre jusqu’à ce qu’on trouve le remède à la «maladie ». Elle secoua la tête pour faire disparaître ces idées et se pencha un peu vers la jeune fille brune qui rangeait déjà son appareil photo. La conversation reprenait bon train même si Pixie n’avait pas vraiment beaucoup parlé. Quoiqu’il en soit sa lanterne fut éclairée et la demoiselle expliqua qu’elle faisait juste un exposé, ce qui eut pour effet d’illuminé le regard bleu de la blonde.

Non, je n’ai pas grand chose à voir avec le projet, je suis juste ici pour faire l’état des lieux.

Ce qui n’était pas entièrement faux si l’on se plaçait d’un certain point de vue, bien particulier. Et puis c’était la meilleure chose à dire pour ne pas rentrer dans des détails qu’elle n’aurait, de toute façon, pas pu expliquer, ni même communiquer. Mais son intérêt avait été éveillé et elle revint aussitôt sur le sujet qui la captivait.

Mais ton exposé.. Est-ce que t’es étudiante ?

Les études, la fac, la vie de campus. Pixie aurait aimé connaître ce parcours là, le parcours des gens communs qui lui apparaissait aujourd’hui comme beaucoup plus attrayant que le sien. Si elle avait su où elle se retrouverait après avoir terminé sa scolarité, elle n’aurait pas été si pressée de voir l’avenir. Dans sa tête à l’époque, Pixie avait un nombre incalculables de rêves tous plus louables les uns que les autres. Elle s’imaginait déjà rentrer en Russie pour retrouver sa mère mais aussi son frère à qui elle se serait fait une joie de faire une leçon de morale carabinée. Puis elle aurait décrocher un travail dans le laboratoire sophistiqué d’une grande entreprise et elle aurait participé avec fougue et dévouement à faire avancer la recherche sur les antidotes de véritables maladies jusque là incurables.. Ou bien alors, elle aurait même pu commencer une autre spécialité là-bas, pour gagner un bagage en plus. Apprendre, toujours apprendre. Pixie adorait ça, elle était une véritable éponge à savoir. Mais elle avait l’air bien trop normale pour qu’on soupçonne ceci chez elle. Avenante et agréable, vive et intéressée, la présentation oubliée jusqu’à maintenant de la brune confirmation l’idée selon laquelle cette dernière se sentait sûrement déjà à l’aise avec la chercheuse. C’était un atout qu’elle avait toujours possédé, et qui l’avait probablement déjà aidé ou sauvé plus d’une fois dans sa courte vie.

Pixie Yulianov, ravie de faire ta connaissance, Lou.
Tu sais, tu peux me tutoyer si tu veux.. Surtout que je le fais, moi. J’espère que ça ne te dérange pas ?

La sincérité et l’allégresse de Pixie furent parfaitement lisibles à travers son sourire et de par l’intensité de son regard. Si elle avait fait la requête à Lou d’agir avec moins de retenue envers elle, c’était tout bonnement parce que ça la mettait un peu mal à l’aise. Pixie était rarement vouvoyée. Même parmi ses collègues, si certains avaient ce genre de politesses entre eux, ils ne s’en encombraient pas avec la jeune fille qu’ils pensaient trop jeune pour avoir le droit à ce genre de conventions. Et c’était tant mieux, en fait elle se sentait bien trop adulte quand on la vouvoyait, et ce n’était vraiment pas encore le cas. Si on voyait ça par rapport à la loi, elle avait le droit de fumer depuis tout juste quelques mois, mais pas encore celui de boire de l’alcool. Et ce droit-là était encore très loin à ses yeux.

Elle aurait partir, rentrer au laboratoire pour faire les analyses des substances qu’elle avait trouvé. Théoriquement, elle aurait même déjà dû être partie. Mais confiée à ses propres moyens, elle s’estimait avoir le temps. Peut-être même qu’elle ne réfléchissait pas vraiment à ce qui était entrain de se passer. Car Pixie marcha derrière Lou. Elle fit tout comme elle attention où elle mettait les pieds pour éviter une catastrophe si vite arrivée et la joignait quand celle-ci s’arrêtait. C’était comme si elles avaient encore des trucs à se dire, que la conversation ne pouvait pas s’arrêter comme ça. D’ailleurs elle ne s’arrêta pas.

J’en ai aucune idée ! Mais si tu veux mon avis, ils ne sont pas prêt de continuer sinon ils auraient reprit avant. Après tout, ça fait déjà six mois que la tempête est passée. Ils doivent avoir d’autres priorités peut-être, et tant mieux.

Pixie se glissait dans la peau de l’experte des lieux qu’elle n’était pas mais elle pensait vraiment ce qu’elle disait. Si jamais le projet de construction avait été mis à jour, l’administration de la ville aurait déjà envoyé des gens déblayer le terrain pour laisser le champ libre aux ouvriers. Pour la jeune fille ça avait tout l’air d’être un projet avorté, bien qu’elle n’en sache absolument rien. C’était une aubaine quelque part, elle avait pu venir ici chercher des échantillons. C’était toujours ça en moins de prélevé sur des êtres vivants.

C’est un vrai refuge ici…

Finit-elle par souffler en regardant le paysage délabré. La brise ramena sa frange un peu trop longue sur ses yeux et elle la remit sur le côté d’un geste machinale de la main. Puis elle retourna la tête vers Lou en souriant de plus belle.