Dire que Pixie ne songeait jamais à Liam Winchester aurait été un mensonge. D’abord parce qu’il avait commencé par passer en un temps record de la catégorie « indifférent » à celle d’ « antipathique » dans le classement des rencontres qu’elle avait fait dans sa vie, ensuite parce que chez elle trônait sur une commode la peluche qu’il avait gagné pour elle lors de la fête d’Halloween. Alors de temps en temps, elle y pensait oui.. de temps en temps elle se disait que l’appréciation du Bastet sur son échelle jouait aux montagnes russes -quelle ironie-. Il était implacablement inégal, furieusement inconstant et pour ne rien gâcher semblait tout bonnement vouer sa vie à se faire détester des autres. Elle voyait bien qu’à chaque fois qu’ils avaient fait un pas en avant, ils en avaient immédiatement fait trois autres en arrière. Pourtant, oui pourtant, ça n’avait pas l’air d’avoir la moindre incidence sur le comportement de la Chercheuse à son égard qui continuait à prendre la majorité des choses avec une légèreté considérable pour le simple fait qu’il ne pouvait pas le comprendre. Pour sûr, Liam n’était pas le type d’homme avec lequel on avait envie de sympathiser.. mais elle n’avait pas envie de sympathiser. Là où la rumeur qualifiait Winchester d’handicapé social insupportable -mais visiblement attrayant de par son petit côté inaccessible d’après l’excitation qui perçait dans les bassesses sortant de la bouche de ses collègues féminines-, Pixie avait plutôt cette tendance à le considérer un peu comme son grizzli de compagnie, sauvage et grognon à souhait qu’elle aimait bien paumer au milieu de ses réactions versatiles mais à qui elle ne devait surtout pas céder trop de terrain. Et encore moins parce qu’elle était une femme, jeune, chercheuse, étrangère.. peut-être même qu’elle avait tiré le gros lot d’être la parfaite personnification de tout ce qui le faisait vomir quand il rentrait chez lui le soir. Ah non, elle n’était pas mutante.. hum, dommage. Ils n’en restaient pas moins des opposés et c’était sans aucun doute ce qui devait amuser Dorian Whitewood dans ses infantiles petites manœuvres.

Bon, génial..

Fin de matinée, ses doigts tapotaient sur le plan de travail de son laboratoire. Le reste de la journée s’annonçait monotone pour une bonne partie de l’Opération. Dans le cas de la blonde parce que les échantillons qui auraient dû l’occuper toute l’après-midi s’étaient avérés corrompus et qu’elle avait dû les renvoyer pour que des prélèvements soient de nouveau effectués. Et à présent, elle se faisait un petit délire introspectif à propos du message qu’elle venait de faire transmettre à l’Agent Winchester, un message qui revenait sur une demande qu’elle lui avait faite lors de leur première rencontre. Avec du recul, Pixie se disait que c’était une très mauvaise idée de vouloir apprendre à tirer. Sur le coup elle avait dû se laisser emporter par les éloges qu’elle avait entendu au sujet du Chasseur ou elle avait dû chercher à lui prouver que comme elle ne cessait de le lui dire, il ne l’impressionnait pas vraiment. Bien sûr la Russe s’inquiétait souvent du fait qu’elle ne possède aucun moyen de se défendre si besoin, mais les armes à feu étaient peut-être une solution un peu trop radicale.. Cela dit il était juste hors de question qu’elle se dégonfle, sur aucun plan.

« Vous attendrais à l'étage inférieur, 13h00 tapantes. ». Autant dire que la note retour de la part de Liam émanait d’une joie et d’une allégresse jusque là inégalée. ça promettait encore une foule d’instants tous plus magiques les uns que les autres tout ça. C’est pas comme si elle s’était attendu à mieux, probablement qu’elle s’était même attendu à pire mais ça n’expliqua pas la mine déconfite qui passa sur ses traits lorsque ses yeux clairs s’attardèrent sur le dernier mot. Aussi subliminale qu’il soit, Pixie captait parfaitement le message. Hé, c’est lui qui cherchait le conflit hein. Ce fut le moment choisi par un collègue pour faire irruption avec un dossier. Elle se redressa prestement et jeta un œil aux courbes qu’il lui montrait. Quand il demanda ce qu’elle avait dans la main, la Chercheuse qualifia purement le message de « Rien », la déchira et la jeta à la poubelle en quittant la pièce. Il était temps d’aller informer son supérieur qu’elle se trouverait au sous-sol cet après-midi. Sahid Al-Mansûr avait toujours l’air très occupé quand elle se rendait dans son bureau mais sa porte restait toujours ouverte et depuis qu’elle le connaissait, il avait toujours prit le temps de lui accorder quelques minutes quand elle en avait besoin. Comme souvent la visite de la blonde serait brève, elle entra tout de suite dans le vif du sujet en lui indiquant qu’elle s’absenterait tout à l’heure mais qu’elle resterait dans les locaux, dans la mesure où son étude en cours était au point mort. Il était déjà au courant pour les échantillons et il ne vit aucun inconvénient à ce qu’elle fasse ce qu’elle avait à faire. Le responsable des Chercheurs était quelqu’un de conciliant et Pixie l’appréciait beaucoup. Il était le seul qu’elle appréciait véritablement dans le département par ailleurs. Ni une, ni deux, elle le remercia et s’apprêta à le laisser lorsqu’il lui demanda ce qu’elle avait prévu, par curiosité disait-il.

Apprendre à faire la guerre avec.. l’Agent Winchester, en bas.

Allez savoir pourquoi c’était sorti de façon aussi ironique de sa bouche.. toujours est-il qu’Al-Mansûr resta une seconde un peu surpris. Possible que de but en blanc il n’avait pas tout comprit bien que la Russe aurait parié que ses expressions spontanées ne faisaient plus tellement cas d’étude pour lui. Tous les deux partageaient une aversion particulière pour les agents de terrain à la gâchette facile dont faisait effectivement Liam ; et les relations n’étaient pas au beau fixe entre les deux hommes qui avaient dû mal à se mettre d’accord sur l’état mort ou vif des « cobayes » à livrer à l’Opération. De son côté Pixie avait abandonné ce débat avec un trentenaire bien trop buté, comme à son habitude. Aussi entra-t-elle à son tour dans une vague de stupéfaction quand son supérieur lui concéda un bref « D’accord ».. et surtout un fin sourire qu’elle n’avait pas vu lui arriver dans la tronche. L’étonnement fit bien vite place au scepticisme et elle fronça les sourcils.

Sans commentaires. Elle tourna les talons illico pour sortir. Apocalypto, c’était vraiment l’arnaque du siècle. Elle entendit dans son dos Al-Mansûr préciser qu’il ne se serait pas permit ou quelque chose comme ça, ce à quoi elle répliqua du tac-o-tac sans rebrousser chemin. Vous pensez trop fort ! Et elle disparut de son champ de vision en essayant de chasser sa moue contrariée..

Proche de l’heure fatidique, Pixie descendit pour la première fois dans la partie allouée au stand de tir. Inutile de préciser qu’elle se sentait un tout petit peu paumée dans les infrastructures réglementées mais elle fit bonne figure, si ce ne fut quelques regards curieux au passage de celle qui ressemblait à une étudiante en jupe et tennis, mais certainement pas à un agent de terrain. Heureusement qu’elle avait ôté sa blouse blanche. Elle n’y était pas encore mais elle s’imaginait déjà les yeux sombres du trentenaire se poser sur elle avec la désapprobation d’un doyen au manque de patience fulgurant. La Russe n’arrivait décidément pas à le voir pédagogue, ni satisfait d’autre chose que de lui-même tiens. Pourtant c’est avec le cœur léger et d’un pas entraînant qu’elle déboula dans la pièce insonorisée où on lui avait indiqué qu’il était. La première chose qu’elle fit fut de retrousser la manche de sa veste pour consulter sa montre. 13h04. Tout sourire et avec l’enthousiasme à la limite d’être excessivement débordant qu’elle employait pour faire face aux ronchonnements du Bastet, elle lui tendit son poignet pour qu’il regarde le cadran.

Je fais des progrès, non ?

Vous avez dit « chiante » ? Léger ouais, j’avoue mais c’est la vie mes amis. Oh il était bien capable de lui reprocher de lui avoir fait perdre quatre précieuses minutes de sa petite vie militaire, autant anticiper le truc et d’une pierre deux coups faire l’impasse sur les politesses d’usage. De toute façon à quoi bon se lancer dans de vides salutations ? La Chercheuse était amplement persuadée qu’il se serait contenté de grogner le fameux et limite cordial « Mademoiselle Yulianov » qui avait réussi à la vexer lors de la fête des citrouilles alors ce n’était pas la peine. Elle n’avait pas envie de revenir là-dessus mais pas non plus envie de lancer les hostilités. Pour preuve le ton de sa voix ne comportait pas la moindre trace de moquerie, il était seulement amical, décontracté et pour en rajouter à sa bonne foi, la jeune fille ne lui révèlerait pas non plus que ça faisait bien dix looongues minutes qu’elle traînait à côté avec pour unique but d’attendre que le délais « tapant » soit dépassé pour se montrer. Elle aurait pu faire pire vous me direz, mais bref, passons pour cette fois.

J’espère que vous êtes dans un bon jour.

Dit-elle tout en enfonçant ses mains dans les poches de sa veste. Pixie leva ensuite les yeux vers lui et sourit. Elle n’avait pas trouvé de façon plus sommaire et moins personnelle de lui demander comment il allait, pour se rassurer. Mais à priori il devait vivre une phase exceptionnelle de partage puisqu’il avait accepté d’accéder à sa demande. Quoique non ça ne voulait rien dire, la première fois aussi il avait dit oui et selon la blonde c’était la pire rencontre qu’ils avaient eu. Tout à fait, pire encore que la fête d’Halloween qui demeurait toutefois dans le top 5 des plus grosses hontes de sa vie. Cependant c’était elle qui en fait n’était pas dans son élément, elle en avait conscience, et..

Alors ? J’imagine que vous êtes pressé de commencer pour finir rapidement donc je vous en prie.. Elle haussa les épaules. Apprenez-moi. C'est quoi le programme ?

D'aucune façon elle ne l'avait nommé.. La Russe redevenait un peu plus terre à terre en abordant l’objet précis de leur rendez-vous. Tout ça lui était totalement inconnu et elle n’était pas aussi confiante qu’elle aimait à le faire croire.

Quand on voit le monde comme un stéréotype géant, il n’y a rien d’étonnant à ce qu’on soit surpris de tomber sur de l’inhabituel. Et encore Pixie avait du mal à comprendre l’agent Winchester qui faisait au moins tout autant qu’elle partit des faux-semblant. D’ailleurs la plupart des gens n’étaient pas exactement comme ce qu’ils avaient l’air. Mais soit, ça faisait sûrement parti des quelques trucs qu’elle avait déjà dit qu’elle « lui apprendrait sur la vie », qu’il le veuille ou non. Parce qu’il ne le voulait pas c’était sûr. Comment un macho dans son genre pourrait accepter de recevoir des leçons d’une minette tout droit sortie de l’adolescence ou presque ? Et après tout, le Bastet était à n’en pas douter celui qui avait le plus une petite vie bien réglée, à choisir entre eux deux. La petite fée blonde était un chamboulement dans son quotidien, à moindre mesure mais elle l’était quand même.. et elle le savait très bien. Quoi de mieux alors pour le bousculer que l’improvisation ? Elle avait envoyé paître tout ce qu’elle avait entendu sur lui dans les ragots qui circulaient grâce à ces demoiselles de son département scientifique. A la place, elle n’avait gardé de lui que ce qu’elle avait vu, comprit et faisait face à sa manière versatile aux réaction du trentenaire, la plupart du temps en choisissant consciencieusement l’inverse de ce à quoi il s’attendait. Que pouvait-il lui faire au final ? Réponse : que dalle..

Sa première satisfaction en pénétrant dans la salle de tir fut cette désapprobation quasiment silencieuse en la voyant se pointer comme une fleur. Mieux que le retard, il y avait sa tenue. Un jour comprendrait-il peut-être qu’elle était une chercheuse et pas un officier américain des forces armées marchant au pas. Autant d’originalité devait lui chatouiller les nerfs, à lui qui devait avoir de côté dans ses placards un exemplaire identique de son uniforme pour s’en servir de pyjama. Elle dû s’empêcher de rire rien qu’en y pensant parce qu’elle se voyait mal lui expliquer l’objet passager de son imagination débordante. De toute manière, elle se lança rapidement dans son numéro et lui flanqua le cadran de sa montre sous le nez de sorte que même avec beaucoup de volonté, il ne puisse résister à l’envie de constater allègrement -ou pas- ce qu’il devait déjà savoir. Ça devait être un don chez lui de pressentir le retard des autres, il avait peut-être bouffé un réveil étant petit, comme le crocodile dans Peter Pan.

Mais je suis excellente, ça doit m’excuser. Pour un chasseur, vous n’êtes pas très patient.

Lui souffla-t-elle en souriant. Oui, elle aurait pu se lancer dans l’explication Ô combien assommante du fait d’être très minutieuse pour les choses qui le demandaient, sans plus. Mais d’un autre côté elle avait fait exprès de le faire poireauter et ce genre de remarque de la part de Winchester n’avaient plus lieu de la vexer. La pique, disons que c’était une réplique de bonne guerre, voilà tout. Pixie n’alla pas plus loin, il ne tapait pas le scandale auquel elle aurait pu s’attendre, il lui avait même semblé qu’il avait regretter ces simples mots. Hum, s’il arrivait à se contenir, elle était tout à fait en mesure d’en faire de même. Pour être franche, elle savait aussi parfaitement qu’elle n’allait pas pouvoir jouer au pinçon très longtemps, c’était une façon d’en profiter un peu.

Tranquillement, elle baissa sa manche, joignit ses mains devant elle en prenant une grande inspiration puis finit par les mettre dans ses poches en soufflant. Elle était radieuse. Bon d’accord elle exagérait un peu volontairement mais il fallait bien rattraper l’état de pessimisme constant du trentenaire. Par ailleurs, il ne lui répondit que par un regard abyssale qui en dit long à la Russe. Hum, aucun ensemble de mots à peu près correct ne devait traduire avec suffisamment d'exactitude un « non j’ai toujours envie de faire la gueule ». La Chercheuse baissa la tête brièvement, puis elle soupira de contentement en fermant les yeux.

Je vois, vous émanez le bonheur. Oh je perds pas espoir, je vous déteindrai peut-être dessus un jour.

Elle trépigna un peu en rouvrant les yeux et souffla vite fait en l’air pour dégager sa frange de devant ses prunelles bleutées. Pour la suite, on ne peut pas dire qu’elle déchanta puisqu’elle avait déjà anticipé la « gravité » de la situation pour le Bastet. Il annonça la couleur du programme et pour le coup, Pixie ne se rendit pas vraiment compte qu’elle s’était redressée. L’expression de son visage avait changé, elle était comment dire.. plus sérieuse et carrément attentive. Il n’avait pas capté le reproche au travers de ses mots mais ça ne la surprenait pas plus que ça et elle pensait déjà à autre chose. Bon par contre, comme il ne fallait pas déconner non plus, elle grimaça en le suivant vers le stand.. mais toute en discrétion hein. Et là, le drame.

Oh, elle continua à absorber les informations qu’il lui déballait comme l’éponge qu’elle était. Elle ne put s’empêcher de noter l’aisance avec laquelle Winchester distilla ses explications. C’était logique, il parlait de quelque chose qui avait son importance dans son métier et donc dans sa vie. Cependant les yeux clairs de la jeune fille semblaient avoir bloqué sur le « Glock 17 » en question. Un seul moment ils la quittèrent pour croiser le regard de l’agent. Devant le fait qu’il se sente obligé de justifier sa remarque, elle ne put s’empêcher d’esquisser un sourire amusé mais elle hocha simplement la tête pour lui signifier qu’elle avait saisi l’idée. ça suffisait amplement comme geste, ça valait toutes les paroles du monde et elle avait déjà utilisé ses crédits de culot injustifié pour le quart d’heure en cours. Sans hésitation aucune et en soufflant de façon quasi imperceptible, Pixie s’empara de l’arme à feu avec un calme froid. Évidemment à l’intérieur elle serrait les dents comme jamais et la moitié de sa concentration était allouée à ce qu’elle ne fronce pas les sourcils. C’est vrai qu’il était léger ce machin, elle le porta à la hauteur de son regard avant de rabaisser son bras. Un seul chargeur suffirait ? Pour elle ça ne faisait pas l’ombre d’un doute. Tout ce qu’elle faisait pour le moment, c’était faire bonne figure. La Chercheuse se ne sentait décidément pas à son aise avec une arme entre les mains. Elle n’était pas débile non plus, la théorie elle connaissait vaguement mais quant à la pratique, ce serait bien la première fois et elle n’était pas en confiance. Winchester était-il pire qu’un autre pour autant ? Pas sûr..

L’élève qu’elle avait été autrefois et pour laquelle elle se prenait encore de temps en temps laissa ses azurs grisâtres fixer le silhouette en carton à l’autre bout du stand, comme dans les séries télés. Elle se décontenança subtilement lorsqu’il sortit son arme mais fit passer ce détail dans son geste pour attraper le casque qu’il lui tendait. Après avoir une nouvelle fois hoché la tête, elle le mit sur ses oreilles et recula de deux pas. La blonde était curieusement silencieuse, sans doute, peu dissipée.. du moins différente de d’habitude, ou même d’il y a une poignée de minutes. Elle voulut croiser les bras mais finalement renonça, ne sachant pas tellement quoi en faire avec.. prolongation peu naturelle dans sa main. Le regard fixe sur Liam, elle ne réussit pas à empêcher ses muscles de se tendre brusquement, à chaque bruit de coup de feu étouffé par son casque. Cependant elle afficha un air détendu en décalant son casque pour l’entendre alors qu’il se tournait et qu’elle se rapprochait de nouveau. Ça allait être à elle bientôt c’est ça ? L’espace d’un instant, elle parut réfléchir et baissa la tête vers les mains.

Euuh, je dirais gauchère.

Pour lui, ça allait paraître stupide de ne pas savoir ce genre de choses, à tous les coups. Et pourtant elle s’était déjà retenue de dire « une tendance gauchère ». Pixie n’était pas ambidextre mais elle faisait certaines choses de la main droite, et d’autres de la main gauche. On dit que c’est facile, qu’il faut juste savoir de quelle main on écrit mais ça encore, elle le faisait des deux mains selon le plus pratique à l’instant t. Mais plus souvent de la gauche. C'était peut-être l'une de ces gauchère contrariée, allez savoir. Pixie pourrait vous faire un exprès sur cette particularité. Ceci dit elle avait noté de quelle manière il avait saisit son arme. Elle mima la position qu’il avait utilisé.

Comme vous si j’ai bien vu.

Elle avait bien vu, elle se savait, mais elle attendit tout de même son « approbation » -oui c’est une gentille fille quand elle veut-. La scientifique fit ensuite un pas pour se positionner face au stand, tout en continuant à imprimer ses recommandations. A la manière dont il disait tous ces trucs, il n’avait pas l’air de penser qu’elle puisse être tendue, il ne le voyait pas dans tous les cas, et pourtant.. Quand il eut finit, Pixie ne bougea quasiment pas pendant plusieurs secondes. Au bout d’un moment elle se retourna même pour le regarder mais ne dit rien et revint sur Monsieur Carton, là-bas à l’autre bout en remettant son casque. Bon. La Chercheuse haussa légèrement les épaules avant de les laisser s’affaisser et écarta un peu les jambes pour être bien en équilibre sur ses deux pieds. Ouais bah elle n’était pas « à l’aise » et ne pourrait pas rester plantée là « des heures ». Posant les yeux sur son arme, elle enleva le cran de sécurité et se mit en position pour aligner les viseurs sur la cible. Bordel elle était en face, elle n’allait pas être si nulle que ça ! En fait si mais elle l’ignorait encore, elle aurait pu pouffer quand Liam avait parlé de son « expérience » tellement l’idée qu’elle puisse en avoir une était risible.

Ainsi, comme Pixie n’était pas spécialisée en apnée, elle se vida la tête et pressa la détente de façon sèche avant de décliner. Une première fois qui lui fit rentrer sensiblement la tête dans les épaules et constater par elle-même le dit « faible recul » de l’arme, avec laquelle elle tira une deuxième fois après quelques secondes en essayant de mieux maintenir sa position, ce qui ne fut pas très difficile en soi. Le truc c’est que pour tirer correctement, à son avis il valait mieux avoir les yeux ouverts.. ce qui n’était plus le cas depuis le moment où elle avait commencé à appuyer lors de son premier tir. La surprise, l’appréhension, les souvenirs.. tout était remonté soudainement et elle avait eu le réflexe de plisser les yeux tellement fort qu’elle en voyait presque des tâches noires sous ses paupières. Elle ne sentait plus sa respiration mais son poux accéléré quant à lui, la Russe le sentait présent jusque dans la circulation sanguine de ses phalanges crispées sur la crosse du Glock. Comme si elle avait peur de faire exploser la pièce au moindre mouvement brusque, Pixie ouvrit un œil avec précaution dans une grimace. Elle ne savait pas où elle avait tiré mais en tout cas, pas sur Monsieur Carton. Ses bras retombèrent le long de son corps alors qu’elle soupirait de dépit en réenclenchant le cran de sécurité. Elle ôta son casque et anticipa en se retournant – parce qu’il est bien connu qu’il n’y a pas de meilleure défense que l’attaque.

Allez-y, moquez-vous ! C’est pas fait pour moi tout ça.

Elle passa le dos de sa main sur sa figure et fronça les sourcils. D’un coup elle avait chaud et ne se sentait pas très bien. Mais ça passerait dans quelques instants sans doute. Le temps qu’elle décide d’arrêter ce genre de connerie. C’était pas aujourd’hui qu’elle allait apprendre à se défendre de cette manière. Comment maîtriser quelque chose que l’ont craint. Rater était très frustrant pour quelqu’un comme Pixie qui avait toujours tout réussi grâce à son cerveau magique. Elle se serait pavanée malgré son erreur si elle n’avait pas si peur mais là, non elle ne le sentait pas. Quand elle tendit son arme à Winchester, les jointures de ses doigts étaient encore un peu blanches et elle tremblait faiblement.

Merci d’avoir essayé mais je crois que y’a rien à en tirer.

Il dirait sûrement qu’elle abandonnait vite mais il ne comprendrait encore une fois rien du tout, c’était pas comme si c’était nouveau, ni grave.

Moue contrariée et soupirs agacés.. Monsieur Winchester je me demande où est-ce que vous pouvez bien considérer faire preuve de bonne volonté dans cette histoire.. hein. Pixie lui lança un regard désapprobateur suite à sa remarque. Un de ces quatre, elle devrait lancer un nouveau jeu d’argent dans le service, créer un tableau et lancer des pronostics sur les réactions à venir du Bastet sous forme de paris. Elle était certaine de se faire pas mal d’argent en très peu de temps.. ou pas. Toutes personnes un tant soit peu sensée miserait sur une réaction austère et désobligeante venant de lui. Adieu fortune facile et bonjour la déprime et le dépit. Sa main droite resta sur le casque, comme si elle s’y accrochait parce qu’elle ne savait plus quoi faire d’autre avec.

Ne jugez pas sans savoir, c’est arrogant.

Vlan. Comme la demoiselle je-sais-tout qu’elle pouvait jouer à être, il lui restait encore un brin de réplique cinglante, froide sans être véritablement agressive mais suffisamment sèche pour reléguer cette considération d’abandon trop rapide et trop facile dans le top ten des futilités obsolètes de la situation. Elle était en colère mais plus contre elle-même, cependant la tentation était forte de se défouler sur lui. Il ne s’était jamais gêné pour le faire avec elle alors d’un certain point de vue ce ne serait que justice. Malgré cette perche vers la facilité, ses yeux roulèrent vers le plafond et elle secoua la tête. C’était trop vexant comme situation, l’échec était une phobie pour la plupart des surdoués alors évidemment que présentement, la chercheuse se sentait incroyablement frustrée. La main tendue pour lui rendre son Glock, Pixie ne trouva pourtant pas preneur et c’est là que le mécontentement fut remplacé par une espèce d’étonnement sorti de nul part. Premièrement parce qu’il ne dit rien, il ne se jeta pas sur l’occasion de l’écharper bien correctement et de la rabaisser au niveau du commun des mortels prétentieux -non qu’elle se considère comme plus spéciale mais il était vrai que son QI avait plusieurs fois alimenté quelques arguments de leurs conversations, ou des ouïe dires extérieurs-. Peu importe là n’était pas la question, simplement qu’elle ne faisait pas honneur à sa condition et qu’elle ne doutait pas des médisances qui pouvaient lui traverser l’esprit, même s’il n’en disait rien. Ce silence était déjà un miracle, il ne fallait pas trop en demander au risque d’arriver à faire exploser la soupape. Mais le plus surprenant ce ne fut pas ça mais l’expression passagère qu’il eut et que la Russe crut bel et bien remarquer. On aurait dit que le voile qui entourait son petit monde de soldat venait soudainement de se lever, surtout à sa façon de focaliser sur la main qui lui tendait l’arme à feu. Serait-il possible qu’il vienne de réaliser que tout le monde n’avait pas un flingue glué dans la main depuis toujours ? Elle attendit en serrant les dents et en évitant son regard qu’il lui porte de coup de grâce. Mais là encore, rien. Enfin si, il reprit la parole mais pas pour dire ce qu’elle aurait pensé, à commencer par cette phrase implicite qui, si elle comprenait correctement, ne la qualifiait pas de cas désespéré. Pixie eut un mouvement de recul très léger, quasiment infime mais tout de même visible, à croire que son corps avait eu besoin d’exprimer très clairement son effarement. Sa main libre retomba mais aussi rapidement, elle se reprit en fronçant les sourcils en déglutissant. Dieux du Nutella merci, elle n’avait aucune envie que Liam cherche à connaître, encore moins à analyser, ses angoisses et rien qu’à l’idée qu’un type comme lui puisse dresser son profil à elle lui faisait froid dans le dos. Elle fut à deux doigts de lui renvoyer à coup de batte de baseball mentale sa perspicacité digne d’un grand détective et dû se mordre l’intérieur de la joue pour ne rien dire -elle se fit mal, d’ailleurs et crut reconnaître un goût de sang dans sa bouche.. vie de merde-. Ça ne l’empêcha pas de tiquer en répondant d’un ton de reproches offusqué.. et un tantinet immature -ouais bah vingt et un ans et un gros « mince » pour ne pas dire autre chose, voilà-.

Et subir le discours de l’expérience conditionnée énumérant tout le ridicule d’avoir peur des instruments qui servent à la guerre ? Bien sûr, merci.. mais non merci.

C’était un argument de merde, non ? Ce n’était pas un argument du tout en vérité. Enfin en toute objectivité elle n’avait pas tord sur le fond mais les mots étaient mal choisis, tout comme le moment. On aurait plutôt dit une phrase rétorquée comme si elle avait un message de critiques à faire passer quelque part et qu’elle n’avait pas trouvé meilleur endroit, ou pire, qu’elle n’avait rien trouvé de mieux à dire. Cela dit elle n’avait aucune envie que le trentenaire s’enflamme et qu’ils repartent dans un débat vide où ils ne seraient -comme d’habitude- jamais d’accord. Elle ne savait pas tellement ce qu’elle voulait en fait.. Il était difficile, même pour moi, de décrypter avec exactitude où Pixie voulait en venir parfois. Ce n’était pas la première fois que ça arrivait. Alors disons qu’elle devait vouloir se sortir de ce sentiment d’infériorité face à Winchester et qu’en même temps elle était bien forcée de reconnaître qu’il avait des choses à lui apprendre, sérieusement, donc elle sortait du contexte.

A vrai dire elle n’eut pas réellement le temps de tergiverser, ni en ajoutant quoique ce soit -qui sait, elle se serait peut-être excusée de cette réaction infantile, c’est ballot- ni en planant dans ses pensées pour se forcer à prendre les choses bien. Non, Liam s’avança et repoussa sa main pour clairement lui faire comprendre qu’il allait respecter ses engagements. Étrangement, la chercheuse admira cette sorte de manifestation de caractère et le prit un petit peu comme s’il lui aurait dit que ce n’était pas si peu qui allait faire peur à l’éducateur de tir qui était en lui. Sur le coup bien sûr, un son étouffé sorti de sa bouche, un genre de « mais » de semi protestation pas fini qui lui fut comme soufflé par l’initiative du Bastet de tout reprendre. Je vous prie de souligner que Winchester était entrain de dire qu’il allait l’aider. Au sens propre et tout et tout. Avouez que vous hallucinez vous aussi.. Pixie se sentit un peu.. conne, autant le dire franchement et puis finalement elle hocha la tête pour assurer silencieusement qu’elle allait fournir les efforts demandés. Sur le moment, elle eut l’air plus déterminée, presque plus du tout prise par les doutes et le stress, comme si.. comme si c’était la confiance qu’il avait en lui qui avait pu chasser tout ça chez elle. Sans broncher, elle se retourna vers le stand de tir et se raidit légèrement quand il vint se placer derrière elle. Pendant qu’il l’aidait à mettre son bras correctement, elle jeta un regard discret par dessus son épaule gauche, c’est à ce moment précis qu’elle comprit et qu’il se passa un truc un peu.. spécial.

La Russe réalisa qu’il prenait beaucoup sur lui aussi, plus qu’elle ne le pensait tellement l’accessibilité, même feinte ou superficielle, envers les gens lui paraissait facile à elle. Ce n’était pas faute d’avoir plus ou moins cerné le personnage à la sociabilité défaillante qu’était Liam Winchester pourtant, mais elle ne se rendit compte très précisément de cela que maintenant. Ça lui rappelait la fête d’Halloween avant qu’ils ne se quittent. C’était vrai que le temps qu’ils y avaient passé n’avait pas été des plus joyeux mais il avait prit sur lui aussi ce jour-là, au point de lui offrir cette petite peluche qui trônait depuis dans sa chambre avec les autres qu’elle avait déjà. Bizarre de dire ça à propos de lui mais il faisait preuve d’attention quand il le voulait, quand elle l’y poussait aussi. Elle ne l’avait jamais vu comme le cas extrême dont les autres discutaient dans les couloirs, ou même dont elle se moquait gentiment avec Ilona.. seulement en ce moment, elle voyait ses bons côtés plus que sa nature d’ours en manque de miel - on va dire ça comme ça c’est plus poétique, hum -. Rassurée d’être guidée, Pixie eut ce sentiment mielleux d’adolescente lambda d’être « protégée », et quand on parlait de ce trentenaire là, elle ne pouvait qu’y ajouter une sensation de « privilège ». C’est vrai qu’ils ne s’entendaient ni bien ni mal et qu’à part aujourd’hui, ils ne se voyaient jamais par volonté personnelle mais.. c’était difficile à expliquer et la tension montait, une pression qu’elle dû relâcher verbalement tout en ajustant son bras comme il le lui indiquait.

Je pensais que vous saisiriez l’occasion de quitter la pièce au plus vite. Ça m’étonne que vous soyez encore là.. mais j’apprécies. De la à lancer un franc remerciement, non il ne fallait pas pousser la sardine hors de sa boite mais elle ne put s’empêcher d’ajouter, mutine et faussement victorieuse. Je suis sûre que vous m’aimez bien en fait !

Sauf qu’elle révisa vite ses intentions de faire la maline parce qu’apparemment on ne pouvait pas se positionner et viser correctement tout en ayant très envie de se retourner et en se retenant de rire en jubilant sans aucune raison valable -enfin si un peu quand même-. Elle lâcha un petit « désolée » précipité et fébrile à l’idée de se faire engueuler et se reconcentra comme elle put sur cette arme qu’il l’aidait à maintenir correctement. Elle devait sincèrement avoir encore les mêmes craintes tout en cherchant à les dissimuler pour agir de cette manière. Il fallait pourtant qu’elle ait la tête à ce qu’elle faisait. Pixie n’avait jamais été une élève dissipée et elle s’y connaissait en la matière ! Une élève, c’était tout à fait ce qu’elle avait été très assidûment presque toute sa courte vie. Le focus, c’était son truc.. s’il n’avait pas été si près. Et dire que le jour où ils s’étaient rencontrés, Liam flippait qu’elle le touche, alors là elle aurait vraiment tout vu ! L’espace d’une seconde elle se demanda si en écoutant attentivement elle entendrait son cœur battre derrière elle, ça pourrait prouver qu’il en avait un par exemple. Et puis elle ferma les yeux en soufflant parce qu’il fallait bien dire que de telles pensées étaient totalement stupides. Notre petite blonde était déraisonnablement agitée pour quelqu’un qui tenait un Glock avec pour but d’abattre un bout de carton et elle s’en rendait bien compte.

Du mieux qu’elle put, elle réussit à se vider la tête et comme il le lui avait soigneusement expliqué tout au début, elle se relâcha pour ne pas trembler et viser, tranquillement, sans vouloir aller plus vite que la musique. La voix du Bastet près de son oreille lui parut limite anormalement calme, si bien qu’elle ne fit qu’hocher la tête sans oser prononcer un mot. Surtout, garder les yeux ouverts, garder les yeux ouverts, garder les yeux ouverts.. la phrase passait en boucle dans sa petite tête blonde. Lentement elle aligna les viseurs, ou plutôt crut réussir à le faire puisqu’il dû corriger faiblement l’orientation qu’elle donnait à l’arme. Une fois sûre d’elle, Pixie pressa la détente et la détonation résonna dans la salle. Elle arriva mieux à maitriser l’effet de recul même si elle eut l’impression -ou peut-être que ce n’était pas une impression- de s’être retrouvée plus contre Winchester un très très très court instant qu’elle ne nota même pas. La Chercheuse vit de ses yeux la balle traverser la silhouette en carton un peu -beaucoup- trop bas par rapport à la tête mais elle l’avait touché quand même ! Joie. Oui, simplement joie.

Doucement, son visage s’éclaira et un sourire prit place sur ses traits. Je sais, pour vous ce n’est rien mais pour Pixie, c’était un pas de plus : une mini réussite et par conséquent une mini fierté. Soudainement, une exclamation aiguë lui échappa et elle trépigna tout en remettant la sécurité de son arme. Elle était juste contente et elle ne le cachait pas. Pour un peu, elle aurait sauté au cou de Liam.. non je blague mais par contre elle se retourna vivement vers lui, sans manquer de heurter son torse de son épaule au passage -mais sans lui faire mal parce qu’il était grand et fort, n’est-ce pas-. Elle pensait qu’il s’était plus éloigné que ça. Oh, pas question d’agiter sa main vers la cible pour lui montrer qu’elle avait réussit, non pas question, de toute façon il était là et il l’avait bien vu comme elle. Au lieu de ce gaspillage d’énergie puérile digne d’un dessin animé, la poupée russe lui fit juste un sourire, naturel et ravi, alors qu’elle avait levé ses yeux clairs vers son profond regard d’ébène. Il y a une seconde, les mots se bousculaient dans sa tête mais d’un coup, aucun ne voulut s’échapper de ses lèvres entrouvertes. Son sourire s’effaça progressivement à mesure qu’à la place elle se figeait.. Impressionnée. Oui, c’est ça.. sans doute beaucoup impressionnée par ce qu’il venait de réussir à lui faire faire. Bug.