Rien d'humainement grand n'est né de la réflexion /libre/
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◊ Kaileen Moore ◊
۞ Mutante Hostile ۞
◊ Nombre de Messages : 1156 ◊ Nombre de Messages RP : 69 ◊ Age : 30◊ Informations : Relations&Sujets Présentation◊ Age du Personnage : 22 ans ◊ Pouvoirs / Armes : Insensibilité à la douleur / Arme à feu
Sujet: Rien d'humainement grand n'est né de la réflexion /libre/ Sam 13 Nov - 19:53
Un décor plutôt particulier. Les restes d’une maison ayant visiblement brûlée. Herbes folles, un tronc d’arbre unique et plutôt abîmé qui tend ses branches vers le ciel. Une petite route qui retourne vers les quartiers résidentiels plus proches d’Achaea, qu’on distingue un peu, à travers les hautes herbes et les arbres plantés plus loin. Un peu sombre, sauvagement beau aussi.
« Il y a des choses qu’il faut bien accepter sans les comprendre… » Qui avait dit cela, déjà ? Parce que, je devais bien avouer que dans l’immédiat j’étais en total désaccord avec lui, ou elle. Ne pas comprendre, c’était se torturer, c’était chercher une explication rationnelle et simple. Accepter de ne pas comprendre, c’était bien plus dur qu’il n’y paraissait au premier abord. Accepter, c’était se résigner, dans un sens. Décider que rechercher un moyen d’expliquer telle ou telle chose était une entreprise vaine et sans lendemains. Et la résignation était la pire des choses au monde. A mon goût. C’était tellement facile d’abandonner. De baisser les bras, de tout laisser tomber. Il suffisait d’un moment de déprime, d’une seule seconde à penser que la vie ne valait plus la peine… un peu de courage, et hop, vous passiez de vie à trépas. S’ouvrir les veines, sauter par une fenêtre, overdose. On n’a que l’embarras du choix, au fond. Mais vivre, ce n’est pas le même combat. Se prendre en charge, et décider de s’accrocher. De continuer à respirer, même si chaque inspiration paraît brûler vos poumons, même si chaque battement de cœur résonne à vos oreilles comme la promesse d’un malheur permanent. Même si chaque seconde vous paraît être un siècle. Même si la vie ne paraît plus avoir le moindre sens, la moindre raison d’être, la moindre parcelle d’intérêt. Il faut avoir de la détermination à revendre. Là où mourir est l’affaire d’un instant, vivre, c’est un chemin de croix interminable. La vie peut être un fardeau. Lourd à porter. Mais n’en vaut-elle pas la peine ? Quand un peu de joie, un peu de bonheur, se fraye un chemin jusqu’à votre cœur, cela ne pourrait-il pas effacer tous les peines du monde ? Tout dépend de qui l’on parle. Tout dépend du passé, du futur que l’on construit. Tout dépend des circonstances, de l’époque, de l’entourage.
Accepter sans comprendre… La difficulté de vivre tenait à ça. Devoir accepter telle ou telle mort, telle maladie, la pluie et le beau temps, plus banalement, sans se demander pourquoi. Devoir accepter, dans mon cas, que d’être née avait été à un moment mon seul crime, que l’on m’avait haïe, blessée, simplement pour ça. Devoir accepter que je n’aie plus rien de l’innocente fillette qui demandait de l’aide à ses parents pour régler ses problèmes. Devoir vivre avec ces « pourquoi », ces « comment » innombrables. Je me refusais à banaliser ces interrogations sans fins. A me dire que ce n’était que le lot de tout un chacun de ne pas comprendre, de ne pas savoir. C’était bien trop dur d’imaginer seulement que mes blessures n’avaient pas une raison claire et déterminée, facile à saisir. Et pourtant, je savais comme tous que ce n’était que la triste et morne réalité. Au fond, c’aurait été peut être plus difficile de savoir. Les raisons existaient peut être bien. Mais elles pouvaient être incompréhensibles, blessantes. La vérité n’était pas toujours bonne à prendre, cependant j’aurais préféré être détruite par la vérité, que rongée par ces mensonges. Je mentais à toutes et à tous, je m’inventais une vie rangée pour ne pas être dérangée dans ma routine de meurtrière. Je mentais pour cacher le sang sur mes mains, pour dissimuler ma rage, ma haine. J’avais bien essayé d’être franche, je l’avais été avec une personne, mais on m’avait encore prouvé à coup de poignards que faire confiance était bien la pire des choses. Je ne saisissais tout simplement pas la raison qui me poussait à réessayer avec Lukaz. Il m’avait aidé, la belle affaire. Ethan ne m’avait pas fait le moindre mal, avant ce jour où il avait réduit mon cœur déjà peu vaillant en miettes. Il m’avait écouté, comprise, peut être, il n’empêche que comme chaque homme et chaque femme sur cette terre auxquels j’avais accordé ma confiance il m’avait trahie. Brisée. Et j’ignorais combien de fois je pourrais encore me relever. J’avais bien trop peur de m’effondrer définitivement, mais j’avais beau essayer de me fermer à double tour, je finissais toujours par tenter ma chance.
J’étais idiote, j’étais humaine. L’homme a un instinct grégaire, il aime la compagnie. Et moi, pauvre créature stupide, je cédais à cet instinct, sans arrêt, pour aussitôt le regretter. Alors je faisais quoi ? Je me laissais aller, pour une fois de plus tomber. Et si cette fois il n’y avait plus de retour en arrière possible. Et si cette fois était la mauvaise. Pourtant, on ne me demandait pas d’avoir une relation plus qu’amicale avec le jeune homme. Cependant, la simple idée de relation, quel qu’elle soit m’effrayait au plus haut point. J’étais non seulement stupide, mais ridicule. Je m’accrochais à la vie, décidais de me battre pour voir le soleil se lever chaque matin, mais je n’étais pas même capable de risquer quelque chose. Comment en étais-je arrivée là ? Un de ces « comment » obsédants. Comment j’étais devenue la jeune femme sauvage et quasi-inapprochable que j’étais ? Souffrir était pourtant le quotidien de chacun dans ce bas monde. Certains le vivaient plus que d’autres, mais personne n’avait vécu toute sa petite vie sans la moindre blessure. Souffrir était partie intégrante de nous. Même si ce mot ne prenait pas le même sens pour tous. Entendez par là le fait que la douleur banale d’une coupure ne m’avait encore jamais atteinte. La souffrance, et le risque aussi. Nul ne savait de quoi son lendemain serait fait. Ces mutants « oracles » eux aussi ne pouvaient prétendre tout savoir du futur. Ne tenais-je pas là une piste, un début de réponse à la question qui m’obsédait ? Peut être que tenter était finalement le bon choix. Après tout, dans l’éventualité où celui qui me tendait la main me la retirait, je pourrais toujours avancer. J’y étais parvenue une fois, deux fois, trois fois, pourquoi pas une de plus. Il suffirait de rassembler toute cette volonté qui était ma fierté, et recommencer à bâtir ma vie comme auparavant. D’oublier et de recommencer. Je ne pouvais pas, ne pouvais plus, vivre en autarcie en refusant tout contact avec l’humanité, en oubliant les brefs moments où je poursuivrais mes « proies ». J’étais humaine, moi aussi, j’avais bien le droit de goûter à cette vie là. Bien le droit de mettre au placard de temps à autre mon costume de meurtrière. Avoir du sang sur les mains m’enfermait dans cette pensée que moi, je n’avais pas le droit au bonheur. Parce que comme Apocalypto j’avais réduit à néant celui de familles entières. Je leur niais le droit d’exister, et par là même, je m’étouffais petit à petit, puisque, avouons le, je ne valais pas mieux qu’eux. Ils tuaient, moi aussi. Ils torturaient, je faisais de même. Mais eux continuaient de vivre en toute légalité, alors pourquoi me serais-je refuser le droit de faire semblant, au moins de faire semblant ?
Alors qu’un instant auparavant j’étais recroquevillée contre un arbre, la tête enfouie dans mes bras croisés, je me redressais légèrement. Je portais mon regard aux alentours. Deux images se superposaient devant mes yeux, que je sentais bien malgré moi un peu humides. Celle d’aujourd’hui, morne et sale, et celle du passé. Des rires d’enfant, mes rires, la course éperdue d’une fillette et son père… Un peu de vent balaya la terre délaissée. Là où avait été mon chez moi, cet endroit que chacun aurait dû posséder, il ne restait qu’un vide effrayant, à l’aune de celui qui déchirait mon cœur glacé. Autre image, autre époque. Le crépitement d’un feu qui monte à l’assaut du ciel. La danse sauvage des flammes léchant avec ardeur les murs d’une maison typiquement américaine. Et surtout, cette fille, toujours la même, plantée devant ce lugubre spectacle, les poings serrés, tremblante de colère. Tandis que toutes traces d’un quelconque bonheur étaient réduites en cendres, petit à petit. Ephémère, tout cela avait disparu. Ma maison à l’ écart des banlieues toutes semblables de la ville avait péri de mes mains. Je ne le regrettais pas, pas un instant. Cela n’en était pas moins dur, je n’en avais pas moins le cœur serré. Une unique larme de cristal scintilla un court instant sur ma joue, avant de filer vers d’autres horizons, où elle se délita en de multiples perles. Je fermais les yeux pour retenir celles qui auraient dû suivre. Plus jamais. Plus une seule fois. J’avais juré de ne plus montrer ma peine, de ne garder en moi que la haine. Chaque jour qui passait, je me rendais compte combien c’était épuisant. Je relevais mes yeux bruns, de nouveau paisibles, si l’on pouvait encore les qualifier ainsi, vers le ciel impassible.
Il était bleu, pâle. Pour une fois en ce mois de novembre, les nuages n’étaient pas de mise. L’air matinal était glacial, mais moi qui était assise là, me refroidissant peu à peu, je sentais bien que l’atmosphère commençait à se réchauffer tandis que les lumières lointaines et froides des étoiles s’éteignaient une à une. J’expirais, et un nuage de fumée se matérialisa devant moi, une preuve de plus que je n’étais pas réellement morte. Au loin, le soleil commençait à parer l’horizon de couleurs magnifiques. Je ne les voyais pas vraiment. Contemplais des lieux invisibles, les bribes de souvenir que ma mémoire m’offrait aléatoirement. Je ne cherchais pas à contrôler mes pensées, elles allaient et venaient librement dans une danse mystérieuse. A nouveau le vent souffla, murmurant quelques mots incompréhensibles à mon oreille, avant de s’en aller chanter ailleurs. Léger, soulevant quelques mèches de mes chevaux dans un mouvement aérien et libre. Je commençais à me sentir transie de froid, mes dents claquaient de manière incontrôlée, et sans doute que mes lèvres étaient bleuies. Je n’avais pas vraiment envie de me relever, aurait préféré attendre ici paisiblement que les bras accueillants de la mort ne m’enlace… Mais je n’allais pas renier tout ce en quoi je croyais. Je n’allais pas me contredire moi-même en laissant tomber. Et puis, la raison pour laquelle j’étais revenue en ces lieux chargés de souvenirs, en cet endroit auquel j’avais pourtant tourné le dos était désormais obsolète. J’avais voulu être sûre de ma décision de faire confiance au jeune homme rencontré quelques jours plus tôt, d’essayer tout du moins. Et bien, j’avais décidé de jouer le jeu de la vie. D’embrasser le danger d’une autre défection.
Je me redressais, m’appuyant lourdement contre mon support, cet arbre qui se dressait là, au milieu des herbes folles, lançant ses branches à l’assaut du ciel dans un défi silencieux. Je titubais un peu, tandis que mes jambes engourdies par le temps passé là se remettaient à fonctionner. Le froid m’avait envahie, mes doigts ne répondaient plus à mes injonctions, mes pieds me paraissaient être aussi gelés que mon âme. Comme mue par une injonction subite, je m’avançais jusqu’à l’emplacement de la bâtisse, quelques années auparavant. Boitillante, un peu, ma jambe n’étant pas tout à fait rétablie depuis l’autre jour. L’espace n’était plus vide, peu à peu la nature avait repris ses droits sur la terre purifiée par le feu de la présence humaine. Je me sentais étrangement mélancolique, un peu vide en fait. Comme si en cette journée particulière, j’autorisais la tristesse à m’envahir, à remplacer la haine en moi, un petit peu, un petit instant. Je n’avais pas souvent un état d’esprit aussi sombre, rarement je m’apitoyais réellement. Mais aujourd’hui je me laissais penser, me laissais parler, laissais couler ce qui me venait à l’esprit sans chercher à absolument me contrôler. Je ne sais pas ce qui me prit à ce moment. Egarement, le fait d’être perdue dans ma propre tête, ou alors simplement un besoin d’exprimer quelque chose, une fois, une seule, dans ma misérable vie. Les mots franchirent mes lèvres sans que je ne puisse les arrêter, vérité murmurée au vent :
« Vous me manquez tellement… »
Cette vérité que je me cachais à moi-même, qui me soulevais le cœur et que je ne voulais pas accepter. Etre sans attaches n’était pas vivable à long terme. N’avait pas de sens. Pas pour moi. Inconsciemment, je repassais encore et encore ces morceaux de passé en moi, les rires comme les pleurs, le début comme la fin brutale de mon enfance. Silhouette solitaire dressée au milieu de nulle part, je faisais le deuil de ma propre vie. Un deuil que je finissais jamais de recommencer, qui ne m’apportait ni bien ni mal, mais qui m’était malgré tout nécessaire. Doucement, je me baissais jusqu’au sol, et saisissais une de mes deux dagues, celle passée à ma ceinture. Je gravais ensuite cette phrase destinée aux dieux indifférents, puisque personne d’autre ne la verrait : la différence n’est pas une honte, c’est une réalité. Aucun sens particulier, simplement quelque chose qui m’était passé par la tête et qui me paraissait représenter la situation des mutants d’une certaine manière. On nous voyait comme différent, on apprenait aux hommes à nous craindre, quand nous n’étions que des gens comme les autres, au fond. Puis, alors que les minutes avaient passé, que mon regard s’était à nouveau fait lointain, je fis volte face brusquement. Il était temps d’arrêter de s’apitoyer. Je refermais le médaillon dans lequel j’avais fait graver une date, treize novembre 2014, ainsi qu’une petite phrase « l’oubli est la pire des peines ». Pas de poésie, rien de ce genre, seulement une vérité qui m’habitait depuis bien longtemps. Quand à cette date, il s’agissait de celle à laquelle j’avais brûlé mon ancien domicile. Simplement un rappel, cuisant, de ce que j’avais fait.
J’avais été seule depuis au moins deux heures. Comment expliquer que je n’avais pas remarquée que le silence n’avait plus la même saveur. Que la solitude n’était plus solitude depuis quelques temps déjà. Je ne sais pas. Peut être que ce travail de mémoire que j’effectuais chaque année m’avait coupé du monde. Je m’apprêtais à repartir, repassant la chaîne d’or de la petite médaille autour de mon cou, escamotant le bijou sous ma tunique. Pas un bruit ne m’alerta, rien qui ne me fit réagir, si ce n’est un quelconque sixième sens. Tout à coup la paix qui régnait sur les lieux avait volée en éclats. Je le sentais, certitude inexplicable qui pulsait au fond de moi. Je ne voulais pas parler, ne voulais pas souiller mes terres avec le sang d’un inconnu qui ne m’avait rien fait. C’est pourquoi j’essayais de me maîtriser et d’ignorer cette personne, qui qu’elle soit. Un peu plus loin, au bout du petit chemin en terre qui menait au domaine des Moore auparavant, à une propriété fantôme à présent, il y avait une route qui me mènerait jusqu’à Achaea. Autour de moi, il n’y avait que les herbes hautes un peu jaunies par l’arrivée progressive de l’hiver, cet arbre solitaire. Le chemin s’enfonçait dans la végétation qui se mourrait peu à peu. Je ne comprenais tout simplement pas comment quelqu’un aurait pu se retrouver là. Certes, je n’étais qu’à dix minutes des quartiers moyens de la ville, à pied. Quand je parlais d’une maison en retrait, c’était déjà un bien grand mot. Peut être était-il égaré. Ou alors, le lieu était encore surveillé. Les possibilités étaient multiples, mais aucunes ne me rassuraient. Je ne voulais pas violer cet endroit que je considérais comme la tombe de mes parents, à défaut d’avoir autre chose pour me recueillir un peu. Je n’avais pas vu le temps passer, il devait être quelque chose comme huit heures du matin. J’étais arrivée très tôt, au moins trois heures auparavant. Qui était là, et pourquoi ? Des questions, toujours ces questions, répétitives, lassantes, mais qui appelaient des réponses. Je n’appréciais pas l’idée même de tourner le dos à un inconnu. Je poussais un soupir intérieur. Même en ce jour spécial, j’allais vivre le danger, peut être, dans chaque fibre de mon être sur le qui vive. Je m’arrêtais net dans mon avancée vers la route et me retournais vers la personne qui avait eu la très mauvaise idée de venir m’importuner. J’espérais pour moi que ce n’était pas quelqu’un d’hostile aux mutants… étant donné la phrase que j’avais laissé derrière moi. Je souhaitais pour cette personne qu’elle ne m’importunerait pas. Ma déprime ne voulait pas dire que j’allais fondre et devenir une gentille passante prête à aider le premier venu. C’était même tout le contraire. J’hésiterais encore moins que d’habitude à faire couler le sang. Hier encore, j’avais tué, et l’idée que je commémorerais la genèse de ma vie actuelle ne m’avait pas arrêtée le moins du monde dans mon geste vengeur. Tuer m’était devenu si naturel, bien que je n’y voie pas un acte anodin pour autant. Une vie est une vie.
Je me tenais de manière tout à fait normale, pour un observateur extérieur, j’avais conscience de porter mon poids sur un pied plus que l’autre pour ménager ma cheville encore sensible. Au moins, ma main commençait à cicatriser, et je pourrais m’en servir sans risquer de trop graves complications ensuite. Même si elle n’était pas encore dans un état tout à fait correct par ailleurs. Je me sentais capable de supporter quelques blessures de plus sans problème. J’étais tout juste essoufflée par l’effort de me préserver de la douleur de ma main, c’était une douleur certes conséquente mais supportable après presque une semaine. Alors advienne que pourra. Alors que je m’apprêtais à lancer un classique « qui êtes vous ? », je refermais la bouche. Je ne voulais pas troubler moi-même le silence quasi religieux qui habitait le berceau de mon enfance. Silence étant ici relatif, étant donné que les petits bruits de la vie retentissaient aux alentours : les animaux nocturnes étaient retournés à leur sommeil, les diurnes sortaient de leur retraite. Par silence j’entendais l’absence de bruits humains, voitures, bruits de pas, et autres choses de ce genre. Ce n’était pas désagréable de s’entendre penser de temps à autre. Je laissais donc passer, tentant de discerner le visage de celui qui avait troublé le repos de mes souvenirs.
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Sujet: Re: Rien d'humainement grand n'est né de la réflexion /libre/ Lun 15 Nov - 2:23
Aussi agréable que soit l’idée de paresser dans mon lit, je savais ne pas être capable de me rendormir. Depuis mon incarcération par le Parti en Allemagne, je n’ai jamais pu dormir plus de six ou sept heures par jour, même en restant couché. D’où les cernes sous mes yeux. J’imagine que j’aurais pu prendre des somnifères, mais je n’ai jamais aimé les médicaments non plus. Et de toute façon, il m’en faudrait une quantité phénoménale pour simplement m’abrutir ; mon don m’immunise contre la majorité des drogues et autres médicaments et seules des doses massives peuvent m’affecter. Tant pis.
Pendant quelques minutes, je suis néanmoins resté étendu entre mes draps tièdes, puis me suis enfin décidé à me lever. J’ai balancé mes pieds sur le plancher froid. C’était bel et bien l’automne, finalement ; ma saison préférée. L’air est vif, les feuilles changent de couleurs, la chaleur et l’épuisement de l’été sont choses du passé. Je trouve l’automne douillet. Une fois debout, j’ai tangué un peu puis j’ai longé le mur jusqu’à une porte. J’ai ouvert ma garde-robe emplie de pantalons pour la plupart de couleurs sombres, de t-shirt sur des supports et de plusieurs longs manteaux en cuir. Je manque de diversité ? Ouais, probablement, mais je n’en ai rien à faire de la mode. Tant que c’est confortable et que ça ne sort pas du lot, je mets de tout. Je me suis donc habillé ; changement de sous-vêtements, pantalon d’un gris douteux, t-shirt noir et un de mes manteaux par-dessus le tout. Le temps de me donner un coup de brosse dans les cheveux pour les démêler un peu, de me brosser les dents et j’étais fin prêt pour une autre journée au garage, à jouer dans les moteurs et le cambouis.
Dans la cuisine, j’ai ouvert les rideaux de la baie vitrée. Le soleil n’était pas levé, effectivement, et il faisait un noir d’encre à l’extérieur. Mouais, un noir d’encre pour tout autre que moi, parce que j’y voyais aussi bien qu’en plein jour ; un autre avantage à être mutant. De petits nuages filaient dans le ciel encore sombre et le vent agitait les clôtures entourant ma cours arrière avec une telle force qu’il menaçait de les arracher. Un temps parfait pour sortir faire un tour. Oui, je sais, la plupart des gens resteraient bien au chaud dans le confort de leur foyer, mais je ne suis pas quelqu’un qu’on peut qualifier de normal. Et j’ai toujours aimé sortir marcher dehors après m’être levé ; ça me permet d’entièrement me réveiller.
Je sortis donc et partis au petit trop vers les collines à l’est de la zone industrielle où se trouvait mon garage et mon appartement, qui sont tout deux dans le même bâtiment. Je pris une allure mesurée, un trot enlevé sur lequel un humain aurait été capable de s’aligner. L’itinéraire que je suivais se mit à grimper de plus en plus, ce qui ne me ralentit pas pour autant. Un observateur averti aurait remarqué que j’étais pieds nus, ce qui était pour le moins étrange. Avec la corne que j’avais, je n’avais nullement besoin de souliers. J’accélérais un peu l’allure, sans pour autant donner mon maximum, loin de là, et partit à toutes jambes à l’assaut des collines. J’aime courir sous mes trois formes – glabro, crinos et humain -, pour le plaisir, pour la sensation du vent dans mes cheveux.
En moi se cachait mon Loup, une bête incroyablement grande, féroce, noire comme la nuit, véritable monstre tiré des pires cauchemars et légendes de l’humanité. Loup-garou ! J’envisageai un instant de laisser la chaleur me transformer en mon alter-ego, une créature dont les instincts sont décuplés, qui ressent les choses – plaisir, douleur et autres sensations – d’une manière totalement différente, beaucoup plus puissamment, mais le risque était trop élevé. Quelqu’un pourrait me voir et je tenais à éviter que le signalement d’un loup énorme de plus de deux mètres ne crée la panique dans le voisinage. Je n’avais pas besoin de ça. J’avais assez de choses à gérer sans y ajouter un truc du genre.
J’atteignis une rangée d’arbres et ralentit ma course jusqu’à un pas tranquille. Mon souffle régulier laissait dans l’air glacial de cette matinée des nuages de fumée. Il faisait froid, j’en avais conscience, mais pour un type comme moi, dont la température corporelle frôle les quarante-trois degrés, c’était ridicule. Déjà, j’étais nu pieds, mais j’aurais pu me promener flambant nu que ça n’aurait rien changé : j’étais parfaitement bien. Et le soleil commençait déjà à réchauffer l’air ambiant ; il avait pointé le bout de son nez, teintant l’horizon de teintes chaudes. Le ciel noir avait cédé la place peu à peu à un ciel d’un bleu clair. Une belle journée s’annonçait, c’était évident ; il n’y avait presque pas de nuages.
Mes sens surdéveloppés captaient une multitude de signaux olfactifs, visuels et sonores. Le vent m’apportai une multitude d’odeurs diverses. Je voyais distinctement la moindre aiguille de pin, la moindre feuille dans les arbres et celles tombées par terre. Mon ouïe était si fine que je distinguais le moindre son : les insectes, les animaux, les oiseaux, le flux tranquille du sang coulant dans mes veines ; musique créée par un millier d’être distincts. Quelques mots se distinguèrent du reste, simple murmure porté par le vent :
« Vous me manquez tellement… »
La tristesse et la solitude contenues dans cette simple phrase étaient poignantes. Elles impliquaient énormément de choses. À un point tel que j’eus envie de savoir qui avait dit cela, alors que normalement, j’aurais passé mon chemin sans un regard en arrière. En général, je me fais un point d’honneur à ne pas me mêler des problèmes des autres. Premièrement parce qu’ils ne me concernent pas et ensuite, que m’y intéresser n’amène généralement que des problèmes. Je me dirigeais donc discrètement vers l’endroit d’où venait la voix et ne tardais pas à sentir l’odeur d’une femme. Comment pouvais-je déclarer que c’était une femme et non un homme ? Simplement parce qu’un homme et une femme ne sentent pas du tout la même chose. J’ai arrêté mes pas à l’orée du petit bois, posant une main sur une branche basse. Je sentis divers sentiments qui s’élevaient de la silhouette que je voyais à quelque distance ; la femme se tenait près des décombres de ce qui avait dû être par le passé une maison. Mélancolie et tristesse prévalaient, mais un relent de colère et de haine flottait encore dans l’air. Pour un type avec mon nez, c’était évident à remarquer, mais un humain n’aurait vu dans le tableau qu’une femme seule dans un lieu pour le moins étrange. Je voyais plus loin que ça.
Immobile sous le couvert des arbres, je la vis se pencher après avoir tiré quelque chose de sa ceinture ; mon odorat capta une odeur de métal. Un dague, donc. Elle se pencha et gratta le sol un moment. Ce qu’elle faisait ? Aucune idée, je ne suis pas télépathe. Peut-être gravait-elle quelque chose ? Ou peut-être que c’était une manière de passer le temps ? Peu importait vraiment, en fait. Elle resta ainsi quelques minutes et fit brusquement volte-face en se relevant. J’entendis un cliquetis venant d’elle, même si je ne voyais pas ce qui avait fait ce bruit. Je le sus quelques secondes plus tard lorsque je la vis mettre une chaîne en or autour de son cou. Une chaîne où pendait un genre de médaillon.
Sa respiration se modifia imperceptiblement ; elle avait détecté ma présence. Comment ? C’était évident pour quiconque était un habitué en forêt : les oiseaux s’étaient tus et la forêt était devenue trop silencieuse. Le fait que mon odeur soit un mélange entre humain et loup, deux prédateurs, n’aidait pas la chose non plus. Les habitants des bois percevaient naturellement que j’étais un danger pour eux ; ils sentaient mon Loup, mais les humains étaient bien souvent trop stupides pour sentir cela. Cette jeune femme était assez alerte pour avoir détecté le changement dans l’air, alors peut-être détecterait-elle le prédateur en moi si je m’approchais. Ou peut-être pas, allez savoir. Quoi qu’il en soit, je sentais qu’elle agissait comme si je n’étais pas là. Elle fit quelques pas sur le sentier que j’apercevais, s’éloignant. Je sentais son esprit tourner à plein régime, se demandant ce que je faisais là et pourquoi. Elle sentait les questions, aussi simple que ça. Enfin, façon de parler bien entendu.
Elle poussa un soupir et stoppa ses pas, se tournant vers l’endroit où je me trouvais. Enfin, pas exactement là où je me trouvais mais elle n’était pas loin du compte. Je sentais son irritation d’être interrompue dans ses pensées, mais je n’y pouvais rien s’y j’avais eu envie de savoir qui semblait si morose et triste. Sa voix avait le ton propre aux gens désespérés, près à faire un acte dangereux, peut-être même se suicider. J’ai eu mon lot de déprimes, moi aussi, et j’étais seul au monde depuis longtemps, alors je comprenais ce qu’elle ressentait. Je savais aussi qu’on peut survivre et passer au travers n’importe quelle situation. Je sais de quoi je parle : je l’ai fait !
De ma position à l’ombre des arbres, je l’ai observée un peu mieux. Une brunette, la jeune vingtaine, jolie, et qui était blessée. Un observateur ordinaire ne l’aurait pas remarquée, mais j’étais tout sauf ordinaire. Elle portait son poids sur un pied plus que l’autre, signe qu’elle avait un pépin avec sa jambe. Elle avait le souffle un peu court des gens qui se remettent d’une blessure. Je vis sa bouche s’ouvrir comme pour demander qui j’étais, mais elle ne dit rien et le silence se prolongea. Si longtemps que je perçus de nouveau les bruits diurnes de la forêt ; insectes, animaux, oiseaux, le vent dans les arbres, qui faisait jouer les cheveux de la fille. Je voyais une file de fourmis courir à quelques mètres de la fille, j’entendais les cliquetis de leurs pattes. Au-dessus de moi, je sentais des oiseaux et des oisillons et j’entendais le battement syncopé de leurs cœurs minuscules qui semblaient répondre à celui, plus lent, plus lourd, de mon propre cœur. J’entendais les feuilles sèches qui jonchaient le sol, les écureuils qui courraient à travers les branches. La moindre brise m’amenait quantité d’informations. Oui, pour cela j’aime énormément mon pouvoir.
Je me trouvais sous de vieux arbres à l’écorce noueuse, dont les grosses racines courraient dans tous les sens. Sous le couvert des arbres, l’obscurité était quasi impénétrable. Pourtant, la fille savait que j’étais là, ce qui forçait un peu mon respect. Autant le montrer et sortir de là. Ce que je fis, rejoignant la fille sur le sentier – ou route ? – couvert d’herbes folles, devant les décombres de la maison en cendres et l’arbre noueux, mais gardant néanmoins mes distances. La fille me dévisagea et je fis pareil. Ce qu’elle voyait ? Un grand type mince aux longs cheveux noirs, au visage d’une pâleur presque cadavérique aux yeux enfoncés dans les orbites, habillé d’un t-shirt et d’un pantalon noir, avec un manteau de cuir par-dessus. Nu pieds, le type. C’est moi, ça. Sans gestes brusques, car je la sentais nerveuse et prête à faire une connerie – m’attaquer avec une de ses lames, par exemple –, je sortis un paquet de cigarettes et un simple briquet bic. J’en avais au moins deux de chaque dans chaque exemplaire de ce manteau, car j’en portais un différent presque chaque jour. Je me suis allumé une cigarette, ai tiré une longue bouffé que j’ai soufflée vers le ciel, avant de me tourner vers les décombres, pensif.
- Mes condoléances, que je lui lance de ma voix calme et profonde. Après un moment, j’ajoute : et désolé du dérangement ; j’ignorais qu’il y avait ce lieu ici…
Oui, elle avait perdue quelqu’un ici ; les quelques mots qu’elle avait prononcés à voix haute le prouvaient amplement, et ces personnes lui manquaient terriblement. Est-ce que ça me regardait réellement ? Non. Elle était blessée, oui, mais capable de se déplacer, alors je n’avais rien à faire ici. Pourtant, son regard me faisait penser au mien, ou plutôt à celui que j’avais eu longtemps après le massacre commis en Allemagne, qui me rappelait les mots d’un auteur, un certain Nietzsche : « Quiconque combat les monstres doit s’assurer qu’il ne devient pas lui-même un monstre. Car lorsqu’on regarde au fond de l’abysse, l’abysse aussi regarde au fond de nous. » J’avais plongé dans l’abysse, pas simplement regardé dedans, mais j’avais réussi à m’en sortir en restant de longues années sous forme de loup. Cela avait été mon échappatoire. La femme avait ce genre de regard… Celui de quelqu’un ayant jeté un œil dans l’abysse, mais elle n’avais pas la capacité à s’échapper sous forme animale. J’aurais détecté une odeur animale, sinon. Il était difficile d’oublier ses actes, surtout lorsqu’ils impliquaient du sang et des meurtres…
- Je vous laisse en paix...
Et je fis demi-tour pour retourner vers les arbres, où je pourrais reprendre ma course et retourner à mon garage, à ma vie tranquille. Étrange néanmoins de rencontrer ainsi quelqu’un de si jeune avec un regard si triste, presque un reflet du mien…
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Sujet: Re: Rien d'humainement grand n'est né de la réflexion /libre/ Mer 24 Nov - 14:44
Bon. Bonne intuition. Ma solitude avait bien été troublée. Je me demandais ce qui avait bien pu m’alerter. Certes, j’avais toujours eu un certain instinct, très souvent juste, qui me guidait en cas de besoin plus que des réflexions quelconques. Je préférais fonctionner au « feeling ». Ça n’était pas infaillible, mais disons que c’était bien utile en cas de besoin. Ici, je crois que je m’étais simplement sentie observée : vous savez, cette sensation de picotements dans la nuque. Les sons de la forêt s’étaient atténués, et même si ce n’est pas ça que j’avais vraiment entendu, j’avais saisi la différence. Mais il n’y avait pas que cela. Cependant, je n’arrivais pas à mettre le doigt dessus : une sensation étrange. Avec un imperceptible mouvement d’épaules, je mis cela de côté. Ça me reviendrait plus tard, ou pas. De toute manière, je n’allais pas me focaliser sur quelque chose que je cherchais, c’était le meilleur moyen de me faire oublier. S’acharner ne me servait à rien d’autre qu’à m’empêcher de trouver.
Je détaillais attentivement l’homme dont je discernais à présent le visage, puisqu’il était sorti du couvert des arbres. Il était assez grand, d’autant plus que j’étais plutôt tout le contraire. Un mètre cinquante cinq pour vingt et un ans, avouez que ce n’est pas bien haut. Grand, et très mince. Svelte. Ses cheveux, longs et noirs, étaient assez négligés. Il me sembla apercevoir quelques cicatrices, mais peut être me faisais je des idées. Ah, oui : monsieur était pieds nus. Je me demandais vaguement pourquoi, en reportant mon attention sur ses yeux verts. Habités d’une tristesse profonde, qui me rappelait le regard que me renvoyais parfois le miroir. Tristesse dissimulée, mais bel et bien présente pour qui savait observer. Je restais plantée là à le regarder sans trop savoir quoi faire, sans trop savoir quoi dire. Et sur mes gardes qui plus est. Prudence est mère de sûreté, du moins c’est ce que l’on dit. Lentement, avec des gestes mesurés, et sans me quitter des yeux, l’inconnu sortit un briquet. Comme s’il devinait à quel point j’étais cran, comme s’il savait que j’aurais pu l’envoyer (ou du moins tenter de l’envoyer) six pieds sous terre sans une once d’hésitation. Du coup, je laissais retomber la pression. Puisqu’il faisait attention à ne pas me provoquer, je pouvais en déduire qu’il ne m’embêterait pas. Je crois.
Tandis qu’il allumait sa cigarette, j’étais toujours immobile, une vraie potiche. J’attendais la suite avec curiosité à présent. Le nombre de mes connaissances qui stagnaient à un niveau assez bas depuis un certain temps s’était quelque peu agrandi ces derniers temps, bien que certaine de ces connaissances étaient particulières. Ce fut lui qui parla le premier. Il avait la voix assez grave et calme. Pas désagréable. Mais ce n’était pas ça qui m’intéressait le plus. C’était ce qu’il m’avait dit. Et en l’occurrence ça me surprenait. Etait-il là depuis plus longtemps que je le croyais.
Mes condoléances ? Je m’arrêtais un instant, tandis que l’inconnu faisait demi-tour. Il avait commencé à fumer, et ne comptait visiblement pas s’attarder. Moi, pendant ce temps, je ne savais tout simplement pas comment réagir. J’avais beau tirer une tête d’enterrement (du moins le devinais-je, puisque je ne me voyais pas) ça pouvait dire n’importe quoi. D’un autre côté, sans doute me faisais-je encore des idées, la tristesse qui m’habitait combinée aux lieux valait toutes les déclarations du monde. Après tout, les fondations brûlées de ma maison et l’atmosphère désolée qui de dégageait d’ici auraient touché le plus fermé des êtres humais. Et j’avais parfaitement le droit de faire mon deuil. D’un autre côté, rien n’indiquait réellement que j’avais perdu quelqu’un. Le malheur prenait ses sources dans pleins de faits. Dis donc… Il fallait vraiment que j’arrête la paranoïa. Mais j’avais l’impression de voir mon intimité violée par cette intrusion. Les dernières choses qui m’appartenaient, c’étaient mes souvenirs, cette autre vie là.
La surprise m’avait pour une fois paralysée, quand j’aurais dû réagir au quart de tour. Je voulais le retenir, vérifiez qui il était, pourquoi, et comment il était arrivé là, même s’il disait ne pas savoir que le terrain existait. En attendant, il était là. D’autant plus que j’avais la désagréable impression qu’il pouvait lire en moi. Une impression, rien de plus (je commençais à reconnaître une intrusion mentale quand j’en vivais une), mais déjà bien trop. Et puis, j’étais curieuse de voir à quel point il devinait juste. J’étais assez particulière, et je me demandais si quelqu’un était réellement capable de me cerner, télépathes mis à part (oui, c’est de la triche, sinon). Je comblais en quelques pas rapides la distance qui nous séparait, et qui allait grandissant tandis qu’il s’éloignait tranquillement, et lui saisissait le poignet, pour l’arrêter.
Je retirais aussitôt ma main, comme si je m’étais (à nouveau) brûlée. Cette sensation diffuse qui m’envahissait depuis qu’il était arrivé, ce n’était pas seulement une gêne, une réaction au fait d’avoir été perturbée dans ma réflexion. C’était mon instinct, profond, qui m’avertissait d’une situation dangereuse. Une sensation que j’aurais dû reconnaître entre mille. Et je me doutais que l’inconnu n’y était pas pour rien. Il y avait quelque chose de dérangeant chez lui, quelque chose qui aurait dû me faire fuir si j’avais été normalement constituée. « aurait dû », parce que je ne suis pas tout à fait normale. La normalité était purement et totalement hypothétique chez moi. Néanmoins, je rompis le contact physique qui m’avait affectée de bien étrange manière aussitôt. J’avais un nœud au creux de l’estomac, l’impression persistante (et agaçante) que je faisais une bêtise. Mais je n’arrivais pas vraiment à croire qu’il puisse être réellement dangereux. Après tout, ne l’étais je pas également ? je savais tout de même prendre soin de moi. Pour masquer mon trouble autant que par réel intérêt, je pris la parole d’une voix hésitante, quand j’aurais été habituellement sûre de moi :
« Je… Merci. » Que répondait-on à des condoléances ? Surtout aussi inattendues ? Je marquais une pause avant de continuer. « Vous êtes là depuis longtemps ? »
Façon déguisée d’apprendre ce que je voulais : à savoir, ce qu’il avait vu de moi, de mes actes et de mon âme, puisque l’on parlait bien d’une partie de mon âme encore sensible. Je n’avais, encore une fois, rien fait de particulier, de gênant pour mon anonymat, mais cela restait quelque chose qui m’appartenais. A moi et à moi seule. Mes réflexions, ma nostalgie, ma tristesse. Mon fardeau, en somme, mon enfer personnel. J’avais reculé, mettant une distance un peu plus grande que nécessaire entre lui et moi. J’étais peu regardante quand au danger qui pouvait bien me guetter, néanmoins, je n’étais pas suicidaire pour autant. Pas idiote au point d’ignorer le signal qui l’avait fugacement averti. Cette gêne, ce prenant sentiment qui me prévenait comme un phare que j’avais autant, voir plus, à craindre de luis que lui de moi, était assez présente pour que j’y prenne un tant soit peu garde. Sans doute remarquerait-il mon inquiétude sous-jacente, puisqu’il avait été assez observateur pour saisir ma peine. Ou alors, il était arrivé bien avant que je ne m’en rende compte, et il avait entendu les paroles que je croyais avoir offert au vent seulement. Ou encore il disposait de capacités particulières. Tout était possible dans notre monde où l’incertitude était notre pain quotidien. Nul ne pouvait savoir qui était qui : qui était anti mutant, qui était pro, qui était neutre, qui était humain, mutant, agents d’Apocalypto. On ne pouvait être sûr de rien, absolument rien. Triste, non ?
Avant d’être curieuse, j’étais aussi, et surtout, prête à réagir. Si quelqu’un m’avait attrapé le bras ainsi, pour x ou y raisons, sans que je ne m’y attende forcément… je savais comment j’aurais agi en représailles. Le quelqu’un en question aurait fini à l’hôpital avec une main en sang, ou peut être même plus de main du tout. Je pouvais vite tomber dans l’excès quand je me sentais menacée, même si ce n’était absolument pas le cas en réalité. La faute à ma vie précaire, à Apocalypto, l’épée de Damoclès suspendue au dessus de ma tête. Fugitivement, je repensais à l’offre que m’avait fait Salazar quelques jours (semaines ?) auparavant. Il m’avait offert du soutien, mais j’avais préféré refuser plutôt que jeter ma sacro sainte indépendance aux orties. Je ne me comprenais pas moi-même, parfois. Accepter l’aide de Lukaz m’avait coûté, malgré toute sa sympathie, et il avait fallu qu’il m’arrête dans l’expression de mon ingratitude, c'est-à-dire qu’il m’empêche de le blesser pour que je me décide à lâcher du bout des lèvres que j’avais besoin de son aide bien plus qu’il ne l’imaginait. Je me proclamais libre, je voulais rester seule, mener ma barque dans le vaste monde sans aide, mais je n’étais pas capable au final de me débrouiller. Pitoyable. Au fond, j’étais à bout en permanence. Je vivais dans la peur du lendemain, la crainte de fermer les yeux pour ne plus jamais les rouvrir. Pitoyable et ridicule de surcroit. Perdue dans des questions sans réponses.
Je sortais de mes sombres pensées sans queue ni tête pour reporter mon attention sur l’inconnu qui se tenait en face de moi, me tournant encore le dos. Les mots prononcés avaient de nouveau rompu le « silence ». J’attendais la réponse, un peu tendue sans en avoir vraiment conscience. Oui. Comme d’habitude, je me prenais la tête pour un rien. Du Kaileen pur et dur. Non mais vraiment. Mon souffle se condensait dans l’air encore froid, tandis que le vent commençait à forcir, créant un apaisant bruissement en jouant dans les herbes sèches. Pourtant je n’avais plus froid, et mes membres n’étaient plus engourdis, maintenant que je m’étais levée. J’essayais de deviner l’heure, pour savoir depuis combien de temps j’avais quitté le petit appartement de mon bienfaiteur. Lui n’était pas là quand je m’étais esquivée en silence. Au moins avions-nous cela en commun. Je n’étais pas la seule à visiter les rues d’Achaea à des heures indues. D’un autre côté, il avait bien réussi à se retrouver dehors à six heures du matin. Pour commencer. Enfin, bon. De toute manière, cela faisait des années que j’avais des drôles d’habitudes, et ce n’était pas prêt de changer.
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Sujet: Re: Rien d'humainement grand n'est né de la réflexion /libre/ Mer 8 Déc - 1:21
Je l’avais prise par surprise, c’était évident. Autant par son comportement sur la défensive que par l’odeur qui émanait d’elle. Elle sentait bon, d’ailleurs, ce qui me fit sourire tandis que je m’éloignais d’un pas tranquille, soufflant la fumée de ma cigarette vers le ciel. Je l’entendis venir avant même qu’elle ne bouge – son rythme cardiaque eut une brève mais brusque augmentation – et ses pas suivirent. Elle saisit mon poignet droit pour m’arrêter et retira sa main aussitôt. Mon Loup grogna devant ce qu’il voyait comme une agression envers moi, envers nous, mais je restai de marbre, stoppant mon pas en même temps, les sens en alerte. Mon Loup l’aurait déchiquetée pour avoir osé le toucher, mais je n’étais pas aussi radical dans mes actes. En général, en tout cas. Avec mon odorat, je sentais son malaise, mais aussi l’intérêt que j’avais suscité chez elle. Elle voulait savoir qui j’étais, ce que je faisais là même si j’avais insinué être tombé sur les ruines par hasard, cela malgré le fait que je la mettais carrément mal à l’aise. Ma présence seule réveillait en elle une peur ancienne, celle de ce qui se cache dans les ombres, des monstres sous le lit ou dans le placard. Son instinct lui soufflait que j’étais dangereux, même si elle n’avait probablement pas conscience à quel point. Je le sentais et ça existait la créature surnaturelle qui vivait en moi. Pour faire changement, pourrais-je dire, car mon Loup avait tendance à n’en faire qu’à sa tête et à s’énerver pour un rien. Tout le contraire de moi, en fait. L’Eau et le Feu cohabitant ensemble dans le même corps, ce qui explique mon apparence physique un peu décharnée… Je sentais chez elle une confiance certaine en ses capacités, mais elle tenta – sans grand succès – de cacher son trouble en prenant la parole. Je sentis sa frustration de paraître faible et apeurée tandis qu’elle bafouillait un remerciement pour mes condoléances. Elle se reprit un peu pour sa question :
« Vous êtes là depuis longtemps ? »
Je réprimai un ricanement amusé, gardant mon apparence impassible et immobile. Elle tentait par la parole ce qu’elle ne pouvait obtenir par les actes et l’apparence. À savoir apprendre ce que je savais, ce que j’avais vu d’elle. Néanmoins, elle était prudente à défaut d’être subtile, puisqu’elle avait pris ses distances. Et elle écoutait ses instincts, ce que de moins en moins d’humains avaient tendance à faire. Cela m’en disait beaucoup sur elle, même si elle ne le savait pas. Elle comprenait, bien que principalement inconsciemment, qu’elle avait à craindre ma présence. Le prédateur en moi était omniprésent et même sous mon apparence humaine, je suintais le danger, si j’ose le dire ainsi. Je voyais du coin de l’œil sa posture prête à réagir si je réagissais violemment, à croire qu’elle craignait que je réagisse en lui arrachant la tête. Je souris légèrement à cette pensée, car c’était probablement ce que mon Loup aurait fait s’il avait été en contrôle de notre corps. Mais c’était moi qui dirigeais à l’instant présent et bien que je n’apprécie pas particulièrement les contacts – et c’était peu dire, surtout après ce que j’avais subi en Allemagne, même si ça remontait à des décennies -, je n’avais pas tendance à m’emporter pour si peu. Si on m’agressait, par contre, je ne répondais pas de mes actes, mais cette jeune femme ne cherchait nullement à me faire du mal ; elle cherchait simplement des réponses à ses questions. Si je me sentais menacé, je pouvais devenir violent. Si mon Loup se sentait menacé, ça finissait en carnage. Sang et chair à profusion, deux des choses qu’il apprécie particulièrement.
Je la sentais confuse, sans réellement comprendre pourquoi. Les femmes sont des créatures étranges de mon point de vue et celle-ci ne faisait pas exception à la règle. Il faut dire aussi que je n’en ai pas fréquenté beaucoup au cours de ma vie, excepté ma mère qui n’était pas exactement un modèle féminin… et puis j’avais été enfermé un temps indéterminé – probablement des années – par les anti-mutants d’Allemagne, torturé, quasiment brisé corps et âme, avant de m’échapper en perpétrant un massacre que l’on peut qualifier de sanglant, à tout le moins. La suite m’avait permis d’échapper à la folie et de retrouver un semblant de conscience humaine, si l’on peut dire. Ouais, ce n’était pas tout à fait ça non plus, mais je devais beaucoup à mon Loup et il ne manquait pas de me le rappeler souvent, même si ce n’était pas sous la forme de paroles. Nous étions un, lui et moi, après tout, et ce dont je me rappelais, il s’en rappelait. Cela ne changera jamais. Chacun ses problèmes, comme on dit.
D’elle, je sentais la tension, la peur, l’épuisement, toutes ces émotions que nous ressentons régulièrement, en permanence, qui émanaient comme l’odeur d’une soupe alléchante envahie une cuisine. Les gens normaux ne détectent pas cela, mais je suis loin d’être normal, avouons-le. Mon odorat équivaut à celui d’un loup, sans parler de mes autres sens, et je goûtai sa crainte dans l’air. Mon Loup se pourléchait les lèvres en moi, avide d’en découvrir la source, et je dois admettre que je désirais en savoir plus sur elle, sur cette jeune femme aux yeux si semblables aux miens. Tristesse dissimulée aux regards, présente pour qui sait observer et décoder. Je vis ce que je considère comme une belle vie désormais, avec mon garage et les voitures que j’aime tant, mais je sais que tout mon passé est apparent pour qui sait regarder. Mon corps en porte les séquelles et mon regard est lourd d’évènements anciens. Mais quoi que je puisse dire, mon cercle social est au point mort. En dehors du garage et de la chasse de mon Loup, je n’ai pas réellement d’activités autres. Triste à dire, mais vrai, et je sentais qu’elle était dans un cas similaire. Je suis qui je suis, après tout, et je ne peux rien y changer. Simplement avancer et faire de mon mieux.
Je me tournais enfin vers elle, la dominant par ma haute taille, et la détaillais attentivement d’un regard neutre. Une jeune femme version petite, 1m55 à tout casser, pour une grosseur moyenne, qui lui allait bien. Jolie, de longs cheveux bruns, des yeux marrons, expressifs mais indéniablement tristes. Emplis de colère aussi, et de solitude. Oui, ils ressemblaient aux miens, ou plutôt à ce qui se trouvait dans le mien. Quant à ses vêtements, ils sont simples, fonctionnels, comme les miens. Oui, deux marqués par la vie, deux solitaires, face à face en ce lieu désolé par ce froid matin de novembre. L’une sur ses gardes, tendue comme un arc, l’autre d’un calme quasiment surnaturel, mais bouillant d’agitation à l’intérieur. Avec ce que je trimballe, pas étonnant d’ailleurs. Sans pour autant changer mon expression inexpressive, je lui répondis enfin :
- Je suis là depuis suffisamment longtemps pour comprendre que vous êtes comme moi : à l’écart du monde, survivant en solitaire, seule au monde. J’ai de bonnes oreilles et mon jogging matinal m’a emmené par ici ce matin… N’y voyez aucune intrusion personnelle.
Surprenant tant de mots de ma part, très franchement. Je ne suis pas connu pour mes monologues, si vous voyez ce que je veux dire. Je grogne plus que je ne parle en général, cela quand je prends la peine de m’exprimer. Mon regard dit tout en général ; parlez pour ne rien dire n’a jamais été mon fort et je ne risque pas de commencer aujourd’hui. Sans lui laisser la chance de dire quoi que ce soit, je parlais à nouveau.
- Par contre, si vous désirez parler, libre à vous de me suivre pour le reste de ma promenade…
Une invitation de la sorte, c’est une première pour moi. Oui, je suis un asocial, et alors ? Il faut de tout pour faire un monde, disent certains. Terriblement vrai.
Je lui tournais à nouveau le dos et repris ma promenade matinale, en marchant maintenant plutôt qu’en courant, sans quoi jamais elle ne pourrait me suivre si elle se décidait à me suivre. Alors que j’atteignais l’orée des bois, où un petit sentier se détachait d’entre les arbres, un mouvement dans les arbres m’alerta. Aussitôt, je m’arrêtais pour écouter. Le bruit se répéta : bruissement de feuilles, brisement de brindilles dans les sous-bois. Un humain normal n’aurait pas remarqué cela, mais mon ouïe surdéveloppé me permettait de détecter des bruits sinon inaudibles. Je pris une grande inspiration et une odeur me parvint malgré la distance et les dizaines d’autres qui embaumaient l’air. Ah, un renard. Avec discrétion, je fis quelques pas de plus vers les arbres et stoppais à nouveau mon avancée, pour ensuite m’accroupir et m’asseoir sur mes talons, observant l’endroit que je savais se trouver l’animal.
Quelques instants plus tard, le renard en question sorti du couvert des arbres d’une démarche prudente, car lui aussi devait sentir le prédateur en moi. À peine sorti des arbres, il s’assit à son tour sur son postérieur et me dévisagea d’un air curieux. Son poil était d’un roux noir brillant et ses petits yeux me fixaient avec intensité, l’air de se demander ce que j’étais exactement. Apparence humaine mais odeur de prédateur, il n’avait jamais senti cela ainsi. Soudain, il fut sur ses pattes, prêt à fuir, le regard fixé par-dessus mon épaule. Je tournai lentement la tête pour voir la fille approcher doucement, captivé par la scène d’un homme et d’un renard s’observant. Scène surréelle dans un monde de consommation. Les gens avaient depuis longtemps oublié que nous devions vivre avec la nature et non contre elle, mais c'est une autre histoire... J'observais la fille de mon regard imperturbable. Avait-elle décidé de me parler ?
◊ Kaileen Moore ◊
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Sujet: Re: Rien d'humainement grand n'est né de la réflexion /libre/ Ven 14 Jan - 20:27
Il s’était arrêté, stoppant ses pas. Je sentais mon cœur battre à mille à l’heure, dans l’attente de sa réaction, et aussi un peu parce que je ressentais une certaine –et étrange- frayeur. L’homme se retourna alors vers moi, mais contrairement à ce à quoi je m’attendais, il ne paraissait pas gêné outre mesure. Qu’avais-je imaginé, par ailleurs ? Qu’il allait me sauter à la gorge et me mettre en pièces ? Je ne parvenais cependant pas, malgré l’auto décision dont je faisais preuve, à me départir de cette prenante sensation de danger. Pendant que je réfléchissais activement à l’origine de celle-ci, il répondit à ma question… qu’avais-je demandée, déjà ? Ce qu’il faisait là, sans doute. Je nageais vraiment en pleine confusion, pour aller jusqu’à perdre le fil… Mais passons. A l’écart du monde… il m’avait décrite en quelques malheureux mots. Et cela résumait bien ce que j’étais, une solitaire, aussi bien dans les actes que dans la pensée. Même si cette solitude, à la fois une amie et un poids, allait s’allégeant, puisque j’étais désormais la locataire d’un autre qui savait, sinon tout, beaucoup de moi. J’apprenais, quand à moi, qu’il me ressemblait réellement, et pas seulement à cause d’un regard particulièrement envahi par une tristesse sous jacente. Son histoire de jogging me fit hausser les sourcils (depuis quand courait-on pieds nus ?) et me confirma par là qu’il était assez étrange, par certains aspects. Néanmoins, je ne m’attardais pas de trop sur ces détails, que je considérais comme mineurs. Etrange, je l’étais aussi, à ma façon, point barre.
L’inconnu me proposa alors de marcher un peu avec lui, avant d’aussitôt faire volte face et de s’éloigner. Je restais figée, interloquée par cette proposition si peu en accord avec ce qu’il venait de dire… A tel point que je laissais transparaitre ma surprise teintée de curiosité. Le suivre ou partir, maintenant ? J’ignorais totalement quelle était la bonne solution… Ma naturelle méfiance me poussait à « fuir », mes récentes expériences à rester. Une fois encore, l’indécision me frappait. Moi qui il n’y pas si longtemps pouvait me décider sans hésiter en une fraction de seconde, ces temps ci, c’était tout le contraire. L’exact opposé. Je tergiversais une éternité avant d’agir. Je ne me reconnaissais plus moi-même. Où était passée Kaileen ? Qu’était-elle devenue ? Cette femme si sûre d’elle, pleine d’assurance, qui savait que faire en toutes circonstances ? J’avais l’impression d’être retournée en arrière. Et ça ne me plaisait pas le moins du monde. Me poser toutes ces questions commençait à me rendre folle. Je n’aurais pas dû marcher à reculons. Tout ce que j’avais appris, acquis avec chaque goutte de sang versé (le mien, et celui d’autres que moi), tout cela s’évaporait au moindre obstacle ? Bien sûr, apparemment j’étais faible à ce point là.
Cette réflexion ne dura en réalité qu’une fraction de seconde. Pour moi, ce fut une éternité qui passa. Je m’apercevais en coupant court à ce débat stérile que j’étais encore tendue dans la douloureuse attente de représailles qui ne venaient pas. Et ne viendraient pas visiblement, ne viendraient plus. Je me forçais donc à me détendre, à relâcher tous mes muscles, à m’apaiser, en somme. Ça me fut plus facile qu’une semaine auparavant. Bien que j’aie l’impression de perdre des acquis, j’y gagnais aussi quelque chose. J’avais tellement à apprendre, ou réapprendre en l’occurrence. Réapprendre à faire confiance. Je vivais seule, comme l’avait si justement remarqué mon interlocuteur, enfermée dans mon étroite perception du monde (moi d’un côté, le reste de la population contre moi) depuis trop longtemps. Et c’était un jeune blondinet français que j’avais rencontré peu de temps auparavant qui me l’avait rappelé. J’évoquais ce souvenir avec un léger sourire. Devoir quelque chose à quelqu’un (en plus du fait qu’il m’offrait l’asile, s’était occupé de moi quand rien ne l’y obligeait, ce qui était déjà beaucoup) à quelqu’un d’autre que moi était une idée qui me paraissait à la fois insolite et libératrice. Tant et si bien que je dus retenir le léger rire qui aurait voulu franchir le barrage infranchissable de mes lèvres. A nouveau, je m’appuyais sur mes expériences récentes, plus que sur les souvenirs si douloureux d’une époque cent fois révolue. Et cela m’était réellement inhabituel.
Je décidais finalement de me fier à ces idées nouvelles qui m’agitaient. Je me fiais toujours à mes ressentis, et s’ils avaient changé pour une envie de faire confiance, ma foi, je les suivrai. L’inconnu s’était déjà éloigné. Je m’avançais doucement à mon tour, d’une démarche légère et dansante qui me caractérisait quand j’étais tranquille, sans pour autant totalement baisser ma garde. Mon alarme interne, comprenez mon instinct, n’avait pas cessé de me crier sa désapprobation, et le danger imminent qui quelque part par là me guettait. Cette sensation était par ailleurs terriblement gênante, surtout pour quelqu’un comme moi. Sans mon habitude d’aller au devant des risques, j’aurais déserté les lieux ventre à terre, je suppose. Mais sans ma vie mouvementée, je n’aurais sûrement pas écouté quelque chose d’aussi subjectif que mon « instinct ». Les gens aujourd’hui avaient trop tendance à oublier ce que c’était que cette chose là, que personnellement, je considérais comme mon allié le plus fiable. Cette impression était d’autant plus agaçante que je ne pouvais faire taire la sonnette d’alarme qui résonnait en moi. C’était quelque chose de naturel que de m’alerter. Bref. Revenons à nos moutons, comme on dit si joliment. Je ne fis pas trois pas en avant que je me figeais à nouveau. L’homme s’était arrêté, tourné vers les bois. Médusée, je le vis s’accroupir pour accueillir un renard s’approchant lentement. Cette insolite rencontre me fit avancer un peu plus, presque hypnotisée. L’animal me regarda un instant, et je plongeais dans ses yeux ambrés. Avant qu’il ne fasse demi tour et ne s’éloigne d’un pas alerte mais pas apeuré pour autant. Cet acte là me rassura un peu plus que tous les raisonnements du monde. J’avais un rapport à la nature plus respectueux que la moyenne. Pour cause, elle ne m’avait jamais déçue, jamais trahie. Gardienne immémoriale de la Terre, mise à mal par l’être humain, elle restait équitable. Posée là où tout n’était que frénésie. Si un animal s’approchait de cet homme, alors, je pouvais aussi le faire. Du moins en étais je intimement persuadé.
Tout en progressant, je notais distraitement que le vent avait forci ? Des nuages s’amoncelaient peu à peu. J’espérais qu’Achaea connaitrait la pluie sous peu, avec un petit sourire. J’appréciais la pluie, la cotonneuse valse des nuages dans le ciel, sous l’impétueuse impulsion du vent, le doux chant des gouttes embrassant le sol. Ce temps m’était bien plus agréable, plus que le soleil. J’étais une femme de l’ombre, mal à l’aise sous la chaude lumière du jour. Je n’étais tout simplement pas faite pour ça. J’observais le vol majestueux d’oiseaux que je ne reconnus pas, le balancement des arbres dans un bruissement de plus en plus présent, avant de finalement m’intéresser de nouveau à l’autre, que j’avais rejoins.
« Cet endroit ne m’appartient pas, mais j’ai été surprise d’y voir quelqu’un. C’est un peu mon havre de paix quand ma solitude mentale n’est plus assez pour ma tranquillité. »
Je laissais doucement s’effacer le fantôme de mon ancienne vie, des jours passés, les laissais retourner à leur repos. Ce jour n’était plus qu’un jour comme les autres, depuis que j’avais quitté cet arbre planté à l’écart, et foudroyé. Mon isolement brisé, ma commémoration n’avait plus aucun sens. Pour une année de plus, il me faudrait pourtant vivre avec le goût amer de la trahison, ravivé qui plus est par une nouvelle personne… J’enchainais sans me laisser le temps de trop me lancer sur le sujet, car ma rancœur n’avait pas de limites.
« Je marcherais bien un peu avec vous, mais il faudra bientôt que je rentre chez moi. »
Alors qu’auparavant chez moi était une idée abstraite, je savais alors que j’accepterais d’aller rejoindre Lukaz. Parce que quand je pensais ces deux mots en apparence anodins, je pensais à sa sympathie et à son acceptation de ce que j’étais. Sans rien attendre en retour, puisque je n’étais pas capable de donner quoi que ce soit. Ces deux mots anodins… pour certains. Pour moi, ils étaient la promesse de revoir un jour la lumière du jour avec des yeux ouverts sur un monde paisible, dans lequel j’avais ma place et j’étais quelque chose. Même si ce jour ne viendrait jamais, je pouvais de nouveau l’espérer. Et l’espoir est une émotion qui porte, qui me faisait respirer autrement qu’avec l’envie de faire taire ce souffle douloureux qui m’animait, autrement qu’avec pour seul attente le dernier battement de mon cœur déjà bien mis à mal par cette cruelle maîtresse appelée la vie.
Hors RP:
Désolée, tu l'as attendu trèèèèès longtemps, et en plus c'est nul de chez nul -_-"
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