Moïse [Rachel]

Charles entendit le silence. Les yeux fermés, le dos appuyé contre le mur, assis sur une pile de caisse, il prit une grande inspiration. Lentement, il ouvrit ses yeux et vit la petite ruelle sur laquelle donnait l’arrière du bar-restaurant dans lequel il bossait. La ruelle ne pouvait pas être plus tranquille. Coincé entre deux rangées de bâtiments, les gens cherchaient raccourcis, étaient perdus ou simplement passaient par cette ruelle. Il était à une heure avancé de l’après-midi, un peu avant que le soleil n’aille se cacher sous l’horizon. Charles regarda à gauche de la ruelle où un homme jetait ses poubelles. A droite, un autre montait sur sa moto, et enfilait un casque. Le jeune homme revint finalement à sa position initiale et pencha sa tête en arrière appuyé contre le mur. Un de ses collègues de travail arborrant exactement la même tenue que lui, finissait de fumer sa cigarette, tira un peu sur le mégot, puis le jeta d’une pichenette. Il expira les derniers relents de fumée, puis mis les mains dans les poches.

- Pause-cigarette terminée, dit-il en regardant Charles.

Il avait pris sa pause en même temps que son collègue car ce dernier n’aimait pas fumer seul. Bien que Charles ne se soit pas volontairement pourri les poumons avec ce bâton de tabac et de dépendance sans fin, il ne s’étouffait pas non plus en respirant un peu de fumée de cigarette, d’autant plus qu’il aimait la compagnie de ce collègue qui était aussi un ami. Lance était quelqu’un qui écoutait aussi le silence, comme Charles.

Le mutant descendit des caisses d’un saut, reboutonna les deux premiers boutons de sa chemise blanche, réajusta sa cravate noire, tira un peu sur son gilet, dépoussiéra inutilement son pantalon noir, vérifia que ses chaussures aussi noirs n’étaient pas sale non plus, puis se retourna et ouvrit la porte arrière du restaurant. Lance passa en premier, puis Charles. Ils étaient à présent dans la cuisine du restaurant, les chefs s’attelant un peu avant la véritable heure de pointe. Pour l’instant, c’était surtout des étudiants qui venaient profiter des réductions juste après les heures des cours et juste avant la « soirée adulte ». Lance préféra se diriger vers les toilettes avant de reprendre son service, et laissa l’autre continuer seul pour l’instant. Charles traversa la cuisine, se fraya un chemin entre les fourneaux, les cuisiniers, et les aides. Il alla directement vers son chef de service histoire de signaler son retour de la pause, et reprit. En quelques instants, il se retrouva devant la porte à double battant, avec une petite vitre ronde sur chacun des battants. Des deux mains, il poussa la porte qui lui offrit le restaurant-bar Vaud-K.

Trente minutes plus tard, l’endroit était déjà bondé d’étudiants. La plupart des tables étaient occupés. Constamment, les clients les quittaient, elles se faisaient nettoyer en un temps record, et de suite de nouveaux clients venaient l’occuper. Un travail de serveur était vraiment un job à plein temps. Lorsque l’on voit un serveur, on a l’impression qu’il ne travaille que pendant le moment où il prend votre commande, qu’il vous amène vos boissons, votre repas, qu’il prend votre argent. En partie, ce n’est pas faux. Mais seulement, il le fait sans s’arrêter un instant pendant des heures d’affiler. Ce serait presqu’un sport, la transpiration et les stéroïdes en moins, la présentation en plus. Et s’il vous plait, avec le sourire. En plus d’être un travail physique, le mental y joue pour beaucoup. Les remarques, les désobligeances, les blagues, les exigences. Il fallait en subir des dizaines par jour. A force, on est fatigué dehors et dedans.

Charles se fraya un chemin entre deux groupes de clients, un plateau en main, plusieurs breuvages dessus. Il arriva à une table et plaça les boissons, puis se retourna, faillit heurter un autre client qui venait en sens inverse, le contourna d’un habile jeu de jambe, puis continua sa course à pied. Il retourna aux cuisines, le plateau toujours en main. Il le posa quelque part, puis un des cuisiniers lui passa une soupe encore bouillante. Il prit les deux manches des deux côtés, et celles-ci même emmitouflés dans des torchons blancs comme neige, étaient toujours chaudes. Pas impressionnés pour autant, l’ayant déjà fait plusieurs fois, il se fraya un chemin, le rythme plus ralenti cette fois-ci. Il contourna plusieurs clients, repérant son trajet de loin. Puis passant entre deux tables, son pied se heurta à une chaise, il tomba en avant, se rattrapa à la dernière minute, le tout sans les mains. Reprenant à peine son équilibre, un autre serveur fonçait directement sur lui sans vraiment le voir. Charles se tourna en faisant un pas sur le côté, levant pour le coup le bol de soupe bouillante, puis fut heurté par le serveur quand même et tomba en avant. Le bol se souleva en l’air, puis se pencha en avant alors qu’une jeune fille passait par là entre deux autres personnes. Alors qu’il tombait en même temps que le liquide tombait sur la jeune fille, pendant une fraction de seconde, il imagina le pire, ne pouvant rien faire. Le liquide allait la bruler. Par réflexe la jeune fille s’était aussi un peu penchée en arrière pour faire de son maximum pour éviter le liquide bouillant. Charles ne pouvait manquer une fraction de seconde le désastre qu’il allait commettre, puis juste avant que le liquide ne touche la jeune fille, celui-ci se divisa en deux, pas en éclatant non, mais en deux parties distinctes alors qu’il était bien trop près pour pouvoir se dissiper comme ça dans sa chute. La fraction de seconde suivante, Charles tomba en se heurtant à une chaise, et la jeune fille aussi. Le jeune homme ne la quitta pas du regard, les yeux totalement écarquillés alors qu’elle était totalement sèche et que la soupe se répandait à ses côtés sur le sol. Pendant un moment, alors que tous les regards se tournaient vers eux, la jeune fille à terre aux yeux verts croisa le regard du jeune homme. Puis elle se mit à rougir.

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La sonnerie de fin de cours retentit, et quelques secondes plus tard, des flots d'étudiants sortirent dans un brouhaha joyeux. Le professeur d'histoire de Rachel fit des pieds et des mains pour tenter de finir son paragraphe, mais sa voix fut couverte par le vacarme que faisait les élèves en rangeant leurs affaires. Finalement, il jeta l'éponge et retourna à son bureau en grommelant qu'ils verraient ce qu'ils verraient à l'examen qui les attendait à la rentrée.

Rachel avait tenté d'écouter les dernières paroles de l'enseignant, mais avait vite abandonné et rejoint le mouvement. Elle s'était levée, avait rangé soigneusement son sac avant de mettre ses épaisseurs de vêtements ; mais même en plein mois de décembre, la température restait relativement clément à Achaea, située près d'un désert. N'empêche que quand on a l'habitude de vivre dans le chaud en continue, le tiède vous paraît polaire. La mutante chargea son sac sur son épaule et suivit dehors ses deux amies Meredith et April qui bavassaient comme des pies, sans apporter son grain de sel à la conversation. Depuis sa récente aventure au siège du gouvernement, elle était plus silencieuse que jamais, ayant eu nombre d'émotions à encaisser. La vérité sur Jared, les mots, les blessés, les cadavres, la peur... Tout cela restait encore trop présent pour qu'elle puisse reprendre un rythme de vie normal comme si de rien était.

Meredith la saisit par l'épaule, interrompant le fil de ses pensées.

- Rachel, April nous propose d'aller boire un verre au Vaud-K, ça t'intéresse ?

Rachel hésita, et consulta sa montre avant de répondre. Il était encore tôt, tout juste seize heures ; elle avait encore le temps avant que les bus se fassent plus rares. Elle décida d'accepter la proposition, ayant sans doute besoin de s'aérer les idées.

- Pourquoi pas, c'est une bonne idée ! Laissez-moi prévenir ma mère, et on y va.

Meredith et April s'échangèrent un regard qui en disait long, mais ne firent aucun commentaire. Toutes les deux trouvaient que la famille de Rachel la protégeait beaucoup trop, elle allait avoir bientôt dix-sept ans après tout ! Mais bon, leur amie n'aimait pas qu'elles fassent de réflexions sur le sujets, alors elles s'en abstinent. Ni l'une ni l'autre n'était jamais allée chez la mutante, qui prenait soin d'éviter toutes les invitations pour ne pas avoir à les rendre. De toute façon, c'est leurs parents à elles qui n'auraient jamais voulu. Déjà qu'ils toléraient à peine qu'elles fréquentent une mutante... Alors aller chez elle ! C'était impensable.

Rachel sortit son téléphone portable et passa un rapide coup de fil à sa mère, disant qu'elle allait boire un coup avec des amies et qu'elles rentreraient plus tard. Flavia n'y vit aucune objection, la remercia d'avoir prévenu et raccrocha pour retourner s'occuper du bar clandestin. Rachel rangea l'appareil et les trois amies se dirigèrent vers le Vaud-K, qui se trouvait non loin du lycée.

La pacifiste n'était jamais allé dans ce bar-restaurant, mais elle le trouva plutôt chic, comparé à la plupart des bars que fréquentaient les étudiants. Les serveurs étaient habillés en noir et blanc dans la plus pure tradition, et la décoration lourde et travaillée était bien loin des goûts habituels de ses congénères. Mais manifestement, le bar semblait leur plaire ; à peine un quart d'heure après leur arrivée, il était déjà plein à craquer.

Les trois lycéennes choisirent une table et s'y installèrent. Un serveur vint prendre leur commande, constituée de trois boissons chaudes, qu'elles sirotèrent en bavardant. Rachel devait faire un effort pour que sa petite voix domine le brouhaha ambiant et se fasse entendre de ses deux amies, mais à part cela, l'heure et demi suivante s'écoula très agréablement. Elle se sentit se détendre, et ses péripéties passées parurent plus lointaines. Décidément, elle avait eu bien besoin de ça : fréquenter des gens normaux, avoir une conversation normale, comme si elle-même était normale.

La nuit commençait à tomber quand April battit le rappel : elle voulait rentrer pour travailler son devoir d'anglais qu'elle n'avait pas révisé. Meredith parut se souvenir qu'elles avaient effectivement un devoir, et arbora une mine mortifiée. Seule Rachel était parfaitement à jour, comme à son habitude, et s'autorisa une petite remarque moqueuse. Finalement, les trois jeunes filles payèrent leur consommation, et se levèrent pour regagner la sortie du bar bondé.

C'est alors que survint le serveur chargé d'une soupière brûlante qu'il portait à bout de bras, essayant de se frayer un chemin entre les tables et les nombreux clients qui bougeaient sans prendre garde à ce qui les entouraient. Rachel le regarda arriver vers elles non sans angoisse, pressentant un malheur imminent, surtout lorsqu'elle le vit trébucher ; mais il parvint à rétablir son équilibre. Mais malgré ses efforts, il ne put éviter la collision avec un autre serveur qui ne l'avait pas vu, et bascula en avant, laissant le bol de soupe décrire une jolie parabole dont l'un des bouts était justement Rachel. Cette dernière se recula par réflexe, tout en comprenant néanmoins qu'elle n'avait aucune chance d'éviter la catastrophe. Alors que le liquide brûlant allait se répandre sur son chandail, elle sentit son pouvoir entre in extremis en action ; décidément, elle l'avait presque oublié pour le coup. Devant le regard horrifié des spectateurs, la soupe se scinda en deux et évita Rachel, se répandant sur le sol sans laisser une seule goutte sur les vêtements de la jeune fille. Celle-ci tomba en arrière et s'effondra sur le sol, heurtant une table et un pied et chaise et arrivant au niveau du serveur à la soupière. Celui-ci lui décrocha un regard qui laissait penser qu'il n'avait rien loupé de toute la scène. Mortifiée, Rachel rougit jusqu'aux oreilles, pendant que la salle était secouée d'un chaos indistinct, les gens en arrière voulant savoir ce qui s'était passé, et ceux ayant assisté à la scène manifestaient leur opinion à grand bruit. Meredith et April étaient trop stupéfaites pour réagir : bien que sachant que leur amie était une mutante, c'était la première fois qu'elles voyaient son pouvoir en action, et se trouvaient dans l'incapacité de prendre une décision.

Alors que quelqu'un avait avancé la main pour la harponner, Rachel réussit à réagir et se remit sur ses pieds en un temps recors qui n'aurait pas manqué de l'étonner elle-même, si seulement elle avait eu le temps de s'appesantir sur ce genre de détails. Enjambant le serveur, bousculant les gens qui se trouvait sur son chemin, elle gagna la sortie à toute vitesse, manquant de renverser un groupe de clients qui venaient d'entrer et constatait avec étonnement le chaos ambiant. Une fois dehors, Rachel courut, se jetant dans le dédale de petites ruelles qui entouraient le restaurant, jusqu'à se retrouver face à une impasse. Les poumons en feu et le coeur battant à deux cent à l'heure, elle s'appuya un instant contre le mur de béton pour reprendre ses esprits.

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La scène avait obligatoirement attiré les regards et l’attention des clients, comme des autres serveurs. Et Charles n’avait pas été le seul témoin total de ce qui s’était produit. Vivant dans un monde baigné de gênes mutants et autres histoires d’ADN, le jeune homme n’avait pu penser qu’au fait que le sauvetage n’avait rien de miraculeux, mais était bien le fait d’un pouvoir. Lequel ? La première chose lui vint à l’esprit fut la télékinésie. Il s’était trompé.

Le jeune mutant s’agrippa au bras d’une chaise qu’il venait de heurter et fit mine de se relever, alors que plusieurs voix commençaient à s’élever de part et d’autre du bar-restaurant. Mais à peine s’était-il à moitié relevé que celle qu’il supposait être une mutante aussi l’enjamba. Pas le moins du monde il ne voulait lui faire subir ce qu’il venait pourtant de lui faire subir. Les regards, les remarques. Mais avant tout cela, avant de vouloir s’excuser le plus sincèrement possible, il voulait lui parler. C’était la première fois qu’il voyait un pouvoir en action, un autre que le sien. D’autant plus qu’il n’y avait pas grand-chose à voir quand il utilisait son pouvoir. Charles voulait faire sa connaissance, partager ses impressions, ses craintes, ses doutes. Elle, parmi tant d’autres, elle mutante, aurait probablement compris ce qui se tramait dans sa tête. C’est ainsi qu’il tendit la main dans l’espoir de la retenir, mais battant aisément le record de la fuite la plus rapide, il ne put que frôler sa main gauche. Cependant pour lui, cela suffisait. En quelques secondes, il avait compris cette force qui l’habitait, cette force qui ne voulait que partir, qui ne voulait que hurler hauts et forts à tout le monde « Cessez de me regarder comme si j’étais un monstre ! ». Il comprit la gêne de la jeune fille qui se frayait déjà un chemin à travers une foule de clients qui continuait à la dévisager, qui gardait constamment un regard sur elle.

Rapidement, et à l’aide du serveur qui l’avait justement fait tomber, Charles avait été rapidement mis sur pied et sans rien dire à personne, il se mit à suivre la jeune probablement mutante. Il lui lança un « Attends ! », mais qui évidemment ne fit pas mouche. Son chemin fut plus facile à tracer parmi les clients, ne faisant que suivre un autre. Lorsqu’il s’extirpa enfin du restaurant, les regards aussi dirigés vers lui, Charles scruta sa gauche et sa droite, puis repéra la jeune fille qui s’enfuyait le plus loin possible en courant. Sans perdre son temps, le jeune homme se mit à courir lui aussi dans ses habits de serveur à travers les rues. Après quelques pas de course, la jeune fille s’engagea dans un dédale d’arrière-rue que Charles ne connaissait trop bien pour les avoir parcouru lui-même. Même s’il voyait de justesse quand la jeune fille tournait, il put tout de même la suivre. Dieu qu’elle courrait vite. L’adrénaline et cet urgent besoin de s’éloigner de tout cela, le besoin d’air pour ne plus être oppressé, devait lui donner des ailes. Tout cela, Charles le savait déjà.

Après une poursuite subite, plutôt brève mais intense, effrénée surtout, la jeune fille s’était arrêtée. Son corps avait repris ses droits et avait rappelé ses limites. Elle ne pouvait aller nul par à présent, s’étant elle-même mise dans une impasse. Lorsque les pas de Charles résonnèrent dans les couloirs entre plusieurs rangées de bâtiments, elle leva la tête et vit le jeune homme arriver lui aussi en courant, lui aussi essoufflé. Il tendit ses mains en avant, sans vraiment savoir pourquoi en fait. Pour l’empêcher de partir, pour lui montrer qu’il ne cachait rien, pour lui montrer qu’il n’avait pas de mauvaises intentions ? Il n’en savait rien, mais surtout il ne voulait pas l’effrayer. Charles essaya tant bien que mal de reprendre son souffle, déglutit difficilement, et s’adressa à la jeune fille entre deux respirations.

- Hey…je m’appelle Charles…je…je ne vais rien te faire. Je…je veux juste…m’excuser de ce que je t’ai fait…de ce que je t’ai fait faire. Je ne voulais vraiment pas…

Evidemment, il avait l’impression d’empirer la situation.

-…écoute…je suis comme toi…je suis un mutant moi aussi. Enfin je pense en être un…je…je ne peux pas te montrer que j’en suis un cependant…je…je ne connais absolument rien de mon propre pouvoir, je ne sais même pas en quoi il consiste. Crois-moi, je sais ce qu’on ressent quand on ne sait pas soi-même ce qu’on est, ou ce qu’on est supposé faire. Crois-moi…je sais ce que c’est quand on se demande à quoi peut bien servir un pouvoir dont on ne connait même pas l’utilité.

Les respirations se faisaient de plus en plus longues, mais de moins en moins fréquentes. Elle, même si elle voulait se sauver le plus loin possible, ne pouvait aller nulle part et devait l’écouter, car le seul moyen de sortir de cet impasse était de dépasser le jeune mutant.

-…je sais que ça a l’air stupide dis comme ça, mais c’est la première fois que je rencontre une autre mutante. C’est peut-être stupide, mais je voulais juste te parler. Mais après ce que je t’ai fait subir, je comprendrais que tu ne veuilles pas…me parler.

Il était fort possible que ce que lui voulait et ce qu’elle voulait n’allait pas dans la même direction. Alors que lui voulait juste parler avec une autre mutante, peut-être qu’elle ne voulait rien savoir de lui et totalement ignorer cette part de mutant en elle et vivre sa vie sans rien entendre. Durant tout ce qu’il avait dit, Charles n’avait pas cessé de la regarder directement, sans pour autant avoir l’air menaçant ou autre. Aussi, il baissa les bras graduellement, réalisant qu’il ne pouvait obliger personne à rester, puis fit quelques pas sur le côté, se mit près d’un mur pour laisser tout le reste de la rue libre, signe que le choix lui revenait à elle au final.

- Alors, si tu veux t’en aller, je ne suis personne pour t’en empêcher.

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Rachel se pencha, les mains appuyées sur ses genoux, et tenta de reprendre son souffle et de maîtriser le tremblement de ses membres. L'apparition inattendue de son pouvoir l'avait durement éprouvée, comme à chaque fois, et il lui fallait quelques minutes avant de pouvoir s'en remettre et réfléchir clairement. Après tout, elle s'en tirait bien pour une fois, son don n'avait agressé personne, ce qui était une bonne chose ; si la soupe avait volé sur quelqu'un d'autre, la situation aurait été nettement pire. La jeune fille se redressa en soufflant, se tenant les reins ; elle pouvait faire une croix sur le fait de pouvoir remettre un jour les pieds au Vaud-K, mais l'incident s'arrêterait sans doute là. Vu qu'il n'y avait eu aucun blessé, juste un joli chambardement, personne ne pourrait déposer de plaintes. Elle était déjà une mutante recensée, alors bon... Juste le fait de se donner en spectacle était un peu problématique, couplé à ce qu'elle détestait voir son pouvoir s'activer. Sans parler de la réaction de Meredith et d'April. Bien qu'elles sachent déjà que Rachel était une mutante, c'était la première fois qu'elle voyait le pouvoir de cette dernière en action, et elle ignorait comment elles allaient le prendre. Elle décida de régler cela plus tard, et envisagea d'appeler sa mère pour lui narrer l'évènement. Elle avait plus que besoin d'entendre une voix aimée la rassurer et la conseiller sur ce qu'elle devait faire.

C'est alors qu'elle perçut les pas précipités derrière elle ; dans sa course effrénée, elle ne s'était pas rendue compte que quelqu'un l'avait suivie, trop effrayée pour y prêter attention. Terrifiée à l'idée qu'un des témoins de la scène vienne la martyriser, elle se retourna et aperçut le serveur à la soupière, celui qui était finalement à l'origine de tout. S'attendant au pire, Rachel plaqua son dos contre le mur de béton, souhaitant de toutes ses forces être capable de passer à travers. L'autre bloquant l'unique sortie, elle était bel et bien coincée. Son regard dériva de gauche à droite, prête à forcer la moindre chance de s'échapper.

Le jeune homme était à bout de souffle et avait du mal à parler, essoufflé par sa récente course. Avant de parler, il tendit ses bras en avant, ce qui n'aboutit qu'à faire sursauter Rachel qui se tassa encore plus contre le mur, se méprenant sur ce geste qui se voulait amical. La jeune fille sentit ses jambes trembler et son estomac se nouer sous l'effet de la peur. Terrifiée comme elle l'était, elle n'avait aucun contrôle sur son pouvoir, et si l'homme faisait un pas de plus, il se retrouverait aux prises avec les capacités de la mutante affolée et prête à tout pour s'enfuir.

Entre deux halètements, le serveur se présenta, déclara qu'il ne voulait pas lui faire de mal et qu'il s'excusait pour la récente scène qui avait eu lieu dans le bar. Rachel ne fut pas rassurée pour autant ; bien qu'il n'ait pas d'intentions ouvertement belliqueuses, elle ne savait pas si elle pouvait le croire ou non. Peut-être essayait-il de lui tendre un piège en se montrant gentil pour endormir sa confiance. Elle reprit cependant un peu le contrôle sur elle-même, vu que Charles n'avait pas l'air si effrayant que ça, et réussit à empêcher son pouvoir de se manifester une nouvelle fois. Mais elle resta plaquée contre le mur, une expression trahissant toute sa peur, et ne réussit pas à décrocher le moindre mot.

Le serveur reprit alors la parole pour annoncer qu'il était aussi un mutant. Les yeux de Rachel s'agrandirent sous l'effet de la surprise : elle s'attendait à tout sauf à ça ! Enfin, cela ne la tirait pas d'affaire pour autant, certains mutants n'étaient pas des plus agréables avec leurs camarades, même si la plupart préférait se passer les nerfs sur les humains. Et puis peut-être lui mentait-il, même si elle ne comprenait pas quel intérêt il y aurait à faire ça. Le bon coeur de Rachel ne put s'empêcher de compatir lorsqu'il étala ses incertitudes ; elle-même avait eu sa dose avant de comprendre l'essence de son propre pouvoir ! Elle ne voyait cependant pas pourquoi il lui cherchait une utilité ; comme si avoir les cheveux bruns ou blonds était utile. Elle n'avait jamais songé à exploiter son pouvoir pour une cause, loin de là même. S'il disait vrai, et qu'il venait de découvrir son pouvoir sans avoir vraiment en quoi il consistait ni comment le maîtriser, alors il avait en effet besoin d'aide. Rachel, vivant au Powerhaus et voyant souvent des gens dans le même cas que lui, le comprenait mieux que quiconque. Si elle le pouvait, elle ferait tout pour l'aider, mais elle avait trop peur et n'était pas assez en confiance pour se risquer à le croire sur paroles.

Charles s'excusa encore une fois d'avoir provoquer l'apparition de son pouvoir, chose qui l'étonna assez. La plupart du temps, c'était à elle de s'excuser d'avoir provoquer une catastrophe. Finalement, il baissa les mains et s'écarta de son chemin, lui permettant de partir. Soulagée d'avoir enfin le champ libre, elle se mit en route d'un pas rapide, prenant soin de le contourner avec le plus de distance possible. Après l'avoir dépassé et s'être assurée une porte de sortie si jamais les choses tournaient mal, elle s'arrêta et pivota pour lui faire face. Elle avait des scrupules à le laisser ainsi en plan ; elle devait au moins essayer de faire quelque chose pour lui. Parler n'engageait à rien, même si elle aurait préféré ne pas être seul à seule.

Elle prit la parole, le regard soigneusement baissé et les joues légèrement rouges.

- Ecoutez, vous n'avez pas à vous sentir coupable de ce qui s'est passé, c'était plutôt moi qui ais provoqué un sacré chaos. Personne n'a été blessé cependant, c'est l'essentiel ; le reste importe peu.

Une fois ce point qui lui tenait à coeur réglé, elle enchaîna :

- Je veux bien vous aider, mais je ne vois pas comment. Et, désolée si je me montre vexante, mais je ne vous connais pas et je ne sais pas trop si je dois vous faire confiance ou non. Vous êtes sûr de ne pas m'apporter une preuve de ce que vous avancez ?

A la réflexion, si ce qu'il disait était vrai, il était un non recensé et prenait de gros risques en avouant sa vraie nature à une inconnue, et cela devait pouvoir lui servir d'appui convainquant concernant sa bonne volonté. Mais Rachel restait trop craintive, même si sa timidité avait une bonne part dans ses hésitations plutôt qu'une peur plus primaire. Elle songea pour se déculpabiliser au cas où elle ne résisterait pas à prendre la fuite qu'elle pourrait toujours revenir avec sa mère, toujours ravie d'aider un « confrère » en difficulté.

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