Ce matin-là, après s’être douché et changé, il laissa sur la table de chevet un mot grifonné à l’attention de Sèverine, lui disant qu’il reviendrait le soir venu. Il avait décidé de sortir un peu de la ville, de changer d’air. La forêt non loin d’Achaea lui semblait toute indiquée pour lui changer les idées. Il s’arrêta faire quelques courses après avoir quitté l’appartement de Sèverine où, une fois n’est pas coutume, il avait passé la nuit. Il acheta des sandwiches déjà faits, un sac de chips, une bouteille de rhum et une d’eau, ainsi que des cigarettes, bien entendu. La femme à la caisse l’observa un moment avant de le servir, comme si elle était hypnotisée, et Jared dû claquer des doigts devant son visage pour qu’elle fasse enfin son travail, marmonnant des excuses d’une voix gênée. Jared paya et quitta le dépanneur d’un pas rapide, le sac en plastique et son casque en main. Il alluma sa première cigarette de la journée avec un soupir de bien-être. Sèverine ne voulait pas qu’il fume lorsqu’il était chez elle et Jared s’y pliait volontiers.

Il se rendit au parking gratuit où il avait laissé la vieille moto qu’il utilisait pour aller à la ferme. Il rangea ses achats dans l’espace sous le banc, veillant bien à envelopper la bouteille de rhum dans la vieille serviette qui y traînait, pour ne pas la briser durant le voyage. Il enfourcha la moto et démarra dans un crissement de pneus. Bientôt, il se fondait dans la foule de voitures dans les rues d’Achaea. Un peu moins d’une demi-heure plus tard, il quittait les rues encombrées de la rue et empruntait un petit chemin de gravier pour les derniers kilomètres menant à la forêt. Le bruit des cailloux martelant la tôle de la moto faisait une cacophonie bruyante qui devait avoir fait fuir le moindre animal pouvant se trouver dans le coin. Jared s’en fichait pas mal ; il voulait se rendre au lac qui devait normalement se trouver quelque part au nord de la forêt et y passer une partie de la journée. Le temps était au beau fixe et il comptait bien en profiter amplement.

Jared atteignit enfin la forêt. La route qu’il suivait contournait le bois, mais lui avait envie de foncer droit devant. Il avisa sur sa droite un petit sentier, juste assez large pour qu’il puisse passer avec sa moto. Il quitta la route et s’y engagea. Le sentier serpentait, s’enfonçant dans la forêt. Il faisait plus sombre ici, entouré d’arbres. Il ne reconnut qu’une espèce – un érable -, les arbres n’étant pas sa spécialité. Il suivit le chemin mouvementé un long moment avant de devoir s’arrêter ; un arbre déraciné, énorme, barrait le sentier. Jared débarqua de la moto et dû faire un large détour pour pouvoir passer. Il rejoignit de nouveau le sentier et repartit. Les fougères et les branches basses le fouettaient, mais il ne les sentait pas. Il ne sortait jamais sans un champ de force autour de lui. La plupart des arbres et des fougères étaient plus hautes que lui, même s’il était assis sur une moto, et sans le sentier dégagé adéquatement – probablement par des randonneurs, ou alors il s’agissait de la piste très fréquentée d’un quelconque animal – il n’aurait rien vu devant lui.

Il régnait une étrange atmosphère au milieu de cette ancienne forêt et pour quelqu’un de nerveux, il était aisé de se laisser aller à son imagination. L’arbre immense, là-bas, cachait-il un ours ? Heureusement, Jared n’était pas quelqu’un d’énervé, loin de là. C’était quelqu’un de calme, parfois trop, selon Chow. Jared accéléra, faisant un boucan d’enfer dans la forêt calme. Quelques oiseaux s’enfuirent à tir d’aile, apeurés. À droite, des fougères bruissèrent, un animal quelconque s’enfuyant à son passage. Une heure plus tard, il aperçut un miroitement familier au bout du sentier. Quelques instants plus tard, il débouchait sur le lac. Il avait été chanceux de tomber directement dessus. À droite, il vit une clairière plus dégagée et une petite plage, ainsi qu’un vieux canot sur le bord de l’eau. Jared se fraya donc un chemin dans le sous-bois, une dizaine de mètres à peine, et il atteignit la plage. Le lieu était un petit coin de paradis, un de ces endroits cachés aux regards de ceux qui ne se donnaient pas la peine de les chercher. L’eau était d’un bleu-vert magnifique et on voyait le fond, parsemé de petites roches mais dénué d’algues. Jared accota la moto sur un arbre et enleva son casque, qu’il déposa tout près. Il sortit le sac contenant ses vivres et jeta un coup d’œil dedans. Ouf ! La bouteille de rhum n’était pas brisée. Les sandwiches avaient un peu soufferts, écrasés pour le coup, mais toujours mangeables. Le sac de chips avait éclaté, renversant son contenu au fond du sac. Jared prit le tout et se dirigea vers le canot. Il était potable, vieux certes, mais il flotterait. Et il y avait une rame. Il enleva rapidement ses souliers et ses bas, roula le bord de son pantalon et déposa ses vivres au fond du canot. Il mit ensuite ses pieds dans l’eau et resta un long moment immobile, les pieds dans l’eau et les yeux noyés par la beauté des lieux. Finalement, il agrippa le canot et en quelques mouvements, le tira dans l’eau.

Jared grimpa dedans en poussant au fond du lac puis se mit à pagayer vigoureusement. Il fit une pause au milieu du lac, quelques minutes plus tard. Il fuma une cigarette tranquillement, appréciant la beauté tranquille des lieux. Plus tard, il se remit à pagayer, plus lentement cette fois, goûtant avec délice le bruit des vagues que ses mouvements produisaient. Il se dirigea vers une petite crique au bout du lac et vit qu’un petit ruisseau s’y déversait. Il aperçut un poisson sauter hors de l’eau, mais ne il ne savait pas de quel sorte de poisson il s’agissait. Il y avait des joncs de ce côté-ci de lac, une dense masse, dissimulant les fougères de la rive. Jared mangea deux de ses sandwiches – il en avait acheté quatre – et but la moitié de sa bouteille de rhum. Il avait toujours aimé cette boisson, bien qu’il eût rarement l’occasion d’en boire au cours de sa vie mouvementée. C’était chaque fois un luxe, une petite gâterie. Le soleil touchait la cime des arbres lorsqu’il se décida à retraverser le lac, tranquillement. Il tira le canot au sec et alla poser ses affaires près de la moto. Observant le lac, une furieuse envie de se baigner et de nager un peu envahit le mutant.

Après un coup d’œil jeté à la ronde, Jared se déshabilla entièrement, laissant son linge près du reste de ses affaires, et alla nager. Une volée d’oiseaux passa en rase-mottes près de lui au moment où il atteignait l’eau. Jared s’enfonça dans les profondeurs du lac puis remonta à la surface. Il nagea jusqu’au milieu du lac, s’amusant un moment à plonger au fond et à observer les poissons. Près d’une heure plus tard, il retourna lentement vers la plage, le visage levé vers le ciel. Ce n’est que lorsqu’il se retourna qu’il remarqua qu’il n’était plus seul.

Un loup gris, au pelage luisant, reniflait ses affaires, le museau enfoncé dans le sac contenant les sandwiches et les chips. Jared resta un moment à l’observer, notant la beauté du carnivore, la puissance qui se dégageait de lui. C’était une belle bête, vraiment. Il savait que les loups ont naturellement peurs des humains, même s’il n’en était pas un à proprement parler, aussi sortit-il de l’eau sans vraiment être inquiété, pensant que le loup s'enfuirait presque aussitôt. Il se trompait. Il claqua ses mains ensemble, espérant faire fuir la bête et pouvoir récupérer ses affaires. Le loup ne sursauta pas et ne fuya pas non plus. Au contraire, la bête se campa sur ses pattes puissantes et tourna dans sa direction une gueule hérissée de crocs tranchants, grognant après lui. Il ne s’en inquiéta pas outre mesure, sachant que parfois les loups solitaires, comme ce semblait être le cas pour celui-ci, tentaient d’intimider avant de fuir. Il avança encore de quelques pas et lui cria de ficher le camp :

- Allez, dégage toi ! Je veux récupérer mon linge et mes affaires. Allez, ouste !

Nouvel échec cuisant. Le loup fit un bond dans sa direction, grognant encore plus puissamment, les crocs dénudés. Ah, bon… un loup n’ayant pas peur des hommes… C’était bien sa veine, ça. Il venait ici pour être tranquille, relaxer, et il se faisait menacer par un loup ! C'était une manie cette semaine ; peu importe où il mettait ses pieds, quelqu'un l'attaquait ou le menaçait. Secouant la tête, il tenta une autre manœuvre, faisant un détour par la droite pour passer à côté et atteindre ses vêtements. Bon, il ne craignait pas les griffes de la bête ; il était toujours entouré d’un champ de force après tout, mais quand même. Pourtant, la bête ne se laissa pas avoir et démontra une intelligence surprenante. Elle bondit rapidement devant lui, bloquant son chemin. Il voulait jouer, ou quoi ? Le mutant tenta une seconde fois de passer à côté de l’animal, feintant, mais ça ne marcha pas non plus. Jared fut surpris que l'animal ne lui ait pas encore sauté à la gorge. Était-ce un loup domestiqué ? Possible, mais peu probable...

Jared en eut assez. Il leva une main et entoura le loup d’un champ de force. Lorsqu’il bougea pour atteindre ses vêtements, le loup tenta une nouvelle fois de lui bloquer le chemin, les crocs dénudés. Cette fois, par contre, il se cogna le museau contre le mur invisible et poussa un gémissement de douleur. Jared alla ramasser ses vêtements et entreprit de se rhabiller tranquillement. Une fois cela fait, il remit ses bas et ses souliers puis remit dans son sac ses effets éparpillés par le loup. Un de ses sandwiches avait été entièrement dévoré, l’autre à moitié. Ah, il avait eu faim, le pauvre ! songea-t-il en lui jetant un coup d’œil. Le loup grattait inutilement le champ de force, tentant d’en sortir par tous les moyens, poussant de temps en temps un gémissement. Mais c’était impossible : il ne pourrait le quitter sans que Jared ne le veuille. Et auparavant, il voulait l’étudier un peu. Un loup si intelligent, c’était nouveau pour lui.

Lorsqu’il fut habillé et ses affaires rangées, Jared s’alluma une cigarette puis retourna vers le loup. Il leva un doigt, s'entourant lui-même d'une ''Armure Souple'' ; si un autre loup se trouvait dans les parages, il ne tenait pas à être surpris. Après tout, un coup de mâchoire bien placé et c'en était fini de lui... Il s’accroupit devant son champ de force, observant la bête qui continua à tourner en rond dans sa prison. Jared souffla la fumée sur son champ de force, dévoilant l’espace de quelques secondes sa forme ronde puis il parla, s'addressant a la bête : [/i]

- Comment vas-tu, petit loup ?

À peine eut-il prononcé cela qu'il entendit un mouvement derrière lui, un bruissement venant de la forêt. Un nouveau loup ?