Liam n'était pas vraiment le type d'homme à sortir lorsqu'il avait une journée de congé, en réalité il n'avait pas l'habitude de sortir tout court. L'agent Bastet n'affectionnait tout simplement pas les journées passées chez lui, dans le petit appartement loué par l'état afin de protéger sa couverture de policier. Le trentenaire était connu par ses voisins, comme étant un membre de la police d'Achaea, travaillant plus précisément dans le SWAT, mais qui, à de rares occasions, retournait de temps en temps à son commissariat de début de carrière. Cette couverture avait été mise en place après que l'agent se soit plaint auprès de ses supérieurs des multiples demandes de ses voisins qui venaient lui demander, bien aimablement, de faire sauter tel où tel PV. De toute manière, même s'il avait encore été policier, Liam les aurait envoyé bouler bien comme il faut, ce qu'il ne s'était pas privé de faire soit dit en passant, et c'était à ce moment précis qu'il avait récolté la réputation d'une personne peu aimable et même carrément désagréable. Il fallait avouer que l'agent Apocalypto était aussi aimable qu'une porte de prison, et aussi drôle qu'un clown dépressif, mais d'après ses dires, le concerné n'était pas né pour amuser la galerie, plutôt pour traquer du mutant. En somme, Liam n'avait pas une grande passion pour les journées de congé et les weekend tout simplement parce qu'il les passait seul dans son appartement à entretenir son arsenal ou à s'entraîner au tir dans le stand de tir situé non loin de chez lui, seul endroit dont il était familier en dehors de la base Apocalypto présente en ville. A quoi bon avoir un moment à soi lorsqu'on ne vivait que pour travailler ? C'était le cas de l'ex policier, il ne vivait que pour la traquer et ce n'était donc pas rare de le voir passer ses weekend au travail car comme il le disait si bien, la lutte contre les mutants n'avait pas de répit. Liam était donc le type d'homme qu'on évitait soigneusement, avec qui l'on parlait lorsqu'on avait pas le choix, mais qu'on était ravi de quitter lorsqu'on avait clos la discussion, et de son coté, l'agent pensait la même chose. L'agent Winchester était un asocial.

Mais il y avait des jours où l'on n'avait hélas pas d'autre choix que de supporter la difficulté du quotidien, et ce weekend se trouvait justement être comme ça, la veille, alors que Liam s'était attendu à travailler le lendemain, le responsable Dorian Whitewood était venu lui signifier qu'il avait son weekend, et que d'autres agents avaient été dépêchés pour assurer la permanence. L'agent Bastet ne s'était pas privé de faire la remarque à son supérieur, qu'il était bien plus habitué à travailler seul que ces autres agents, et qu'il préférait venir bosser plutôt que se rester chez lui, mais comme à son habitude, Dorian avait simplement sourit à son agent avant de lui souhaiter un bon repos puis de disparaître dans son bureau. Bon repos, tu parles, Liam avait été assez énervé le soir même et ne s'était pas privé de protester et de ruminer mentalement toutes les paroles prononcées par son supérieur. Dorian avait le don de mettre l'agent Winchester hors de lui, et pourtant celui-ci ne parvenait jamais à lui dire non, même si logiquement on ne faisait pas non à son patron. A plusieurs reprises, l'ex membre du SWAT avait été rappelé à l'ordre par les supérieurs hiérarchiques de l'agent Whitewood sous prétexte qu'il était trop effronté et qu'il n'en faisait qu'à se tête, mais au final ça n'avait jamais rien donné, et Liam avait été laissé en paix, parce que même s'il était vrai que le comportement du concerné était plus que passable, son efficacité n'était pas à négliger. Il n'avait pas été débauché du SWAT pour être incorporé à l'opération à peine âgé d'une vingtaine d'années, parce qu'il était incapable ou qu'il ne collait pas à ce que l'opération recherchait, les sanctions disciplinaires avaient donc été abandonnées bien rapidement, et mis à part une mise en garde de temps en temps, tout était pour le mieux. Par conséquent, l'agent Bastet ne comprenait pas pour quelle raison il avait été mis en weekend, lui voyait uniquement cela comme une sanction, pas du repos, une privation de journée de travail, et certainement pas une bonne intention de la part de son patron. Liam devait avoir tellement de journée de congé qu'il aurait facilement pu prendre une année entière de vacances, il aurait encore eu des réserves pour les temps à venir, plus de vingt années au service de l'opération à ne jamais prendre de pause, il y avait de quoi faire !

L'agent Winchester s'était donc retrouvé à se réveiller de très bonne heure comme à son habitude, pour se rendre compte finalement qu'il allait devoir passer la journée, même pire, le weekend à s'occuper sans pouvoir travailler. En plus, pour bien arranger son moral, le stand de tir était fermé ce weekend pour remise en état des locaux, ce qui signifiait tout simplement qu'il allait être contraint de rester chez lui ou de sortir en espérant que le temps passerait plus vite dehors. Mais sortir pour quoi, se promener ? Aller nourrir les piafs au square du coin ? Très peu pour lui, il n'y avait vraiment rien à faire pendant le weekend, il fallait se rendre à l'évidence, et ça ne fit qu'augmenter sa mauvaise humeur. Liam tenta donc de s'occuper, après une rapide douche et un rangement de l'appartement fait en moins de deux minutes puisqu'il était déjà tellement exempt de bordel vu le peu d'affaires que l'homme possédait, ou conservait plutôt. Péniblement, en tirant sur le temps, l'agent parvint à atteindre l'heure de 7h02 sans trop s'ennuyer, mais ce n'était pas à cette allure qu'il parviendrait à passer le weekend sans s'embêter ! A 7h30, Liam prit la décision d'aller faire un tour dans la ville, il faisait assez frai et au moins ça lui permettrait de pouvoir se promener sans être dérangé par les autres, il attrapa donc ses affaires habituelles, sa veste qu'il enfila, et sortit dans le couloir après avoir fermé sa porte. Évitant soigneusement de faire du bruit pour ne pas être abordé par la voisine quelque peu entreprenante qu'il avait, l'agent sortit rapidement de l'immeuble pour se retrouver dans la rue ou un vent frai avait chassé les quelques promeneurs audacieux qui se levaient aussi tôt le weekend, Liam avait la rue pour lui seul. Glissant ses mains dans ses poches, l'agent toucha un paquet de cigarette, il n'avait pas encore fumé aujourd'hui mais l'envie était plutôt présente, et habituellement il évitait d'en griller une avant le midi, question de voir qu'il maitrisait encore ses envies, mais pour le coup, il céda et sortit le paquet avant d'en allumer une qu'il porta à ses lèvres.

L'ex policier emprunta la rue qui menait au centre ville dans l'idée de profiter du fait qu'il était très tôt pour se promener dans les endroits qu'il évitait habituellement en raison du peuple qui grouillait toujours là, pour faire quoi, aucune idée, mais au moins ça l'occuperait. Arrivé dans la grande rue, le trentenaire constata qu'il n'y avait vraiment pas grand monde, pour tout dire, mis à part un bar-tabac et le vendeur de café, tout était fermé, et pour ce dernier, Liam éprouvait quelques doutes quant à l'intitulé « café », trouvant que le breuvage vendu là-bas était plus qualifiable de jus de chaussette. Mais bon, chacun ses goûts ! Puisqu'il était venu ici, l'américain décida d'aller acheter un autre paquet de cigarette, habituellement un seul lui tenait largement, mais vu que le weekend promettait d'être long, mieux valait prévoir que de voir son humeur être encore plus plombée en raison d'un manque de nicotine. Il entra donc dans le tabac, acheta son paquet en évitant de lier conversation avec la vendeuse qui devait avoir à peu près son âge et qui semblait s'obstiner à vouloir lui adresser la parole malgré son manque d'amabilité, puis il sortit dans la rue en rangeant le tout dans se poche. Son regard se porta sur le cadran numérique de sa montre pour constater qu'il était seulement 7h47, il avait marché trop rapidement pour arriver jusqu'ici. L'agent soupira, laissant tomber son bras le long de son corps, puis remis sa cigarette entre ses lèvres en se retournant pour reprendre le chemin de son appartement, mais il manqua de rentrer dans quelqu'un qui sortait juste du bâtiment à coté et qui partait du coté ou il se trouvait sans regarder devant lui. Sur le coup Liam fut tenté de l'insulter copieusement, mais lorsque ses yeux noirs se posèrent sur le visage de la femme, puisque c'était une femme, il reconnu Jaina D'Arcy, une membre de l'opération, et de surcroit, l'une de ses collègues. L'agent resta sans voix pendant une fraction de seconde, ne s'attendant pas à croiser l'un de ses collègues dans la rue, sans compter qu'il avait une réputation des plus pitoyable auprès d'eux, et les rumeurs de couloirs n'étaient pas dans son intérêt. D'un ton professionnel, bien qu'un peu surprit, Liam s'adressa enfin à elle.

« Agent D'Arcy ? Vous ne travaillez pas ? »

Bien sûr que si, elle s'amuse à sécher le travail pour se balader dans la rue et rencontrer ses collègues peu aimables. Question stupide qui montrait clairement la surprise qu'il venait d'avoir, déjà ne s'attendant pas à manquer de percuter quelqu'un alors que la rue était limite déserte, et ensuite, de ne pas voir un collègue puisqu'ils étaient généralement plus du genre à se retrouver entre eux dans les cafés de la ville.

Elle était au bord du gouffre. Son regard vairon s'était fixé dans celui de quelqu'un dont le physique lui était inconnue. Une blonde aux yeux bleus. Mais au final est-ce que cela avait de l'importance? Pas vraiment. Tout ce qu'elle savait, c'est que malgré ce physique étranger, elle identifiait cette femme à la sienne, à Elizabeth. C'était peut-être cela, la subtilité d'un rêve. Nous rappeler que nous n'étions pas en face de la réalité, tout en incorporant des éléments qui étaient on ne peut plus réels, ces éléments qui vous transperçaient le coeur d'une souffrance chauffée à blanc et vous faisaient encore souffrir bien après que le réveil ait sonné. Elizabeth donc, grimée en une poupée blonde qui baissa les yeux dans le gouffre. Une étincelle s'alluma dans son regard. Une étincelle de désir. Jaina comprit. Elle tendit les mains, ne pouvant rien faire d'autre si elle ne voulait pas elle-aussi sauter et mourir.

Jaina : - Elizabeth... Ne fais pas ça bon Dieu ! Regarde-moi.

La voix de Jaina fut tour à tour assez puissante pour attirer l'attention de la jeune femme et suppliante, tentative désespérée de la dégager de cette situation, alors qu'au fond, elle savait qu'elle sauterait. Tous les rêves étaient comme ça, tous les rêves finissaient comme ça. Quelle que soit la situation de départ, quel que soit le physique de celle dont elle avait l'instinct qu'elle était la femme qu'elle avait aimée il y a des années, à Berkeley, quand elle était à la fac. Jaina longea le rebord, le coeur battant. Dans son sommeil, elle s'agita, en poussant quelques gémissements étouffés. La blonde leva à peine les yeux vers elle. D'une façon ou d'une autre, elle sauterait. Mais peut-être pas ce rêve-là. Peut-être que dans celui-ci, Elizabeth survivrait. Peut-être qu'elle reviendrait, que ce n'était pas un rêve, qu'elle la sauverait, et qu'elle reviendrait... Qu'elle reviendrait à la maison.

Jaina : - Je t'en supplie, Eli...

Les suppliques avaient fait place au désespoir. La blonde secouait la tête. Non, elle allait sauter, comme toutes les autres, elle allait s'engouffrer dans les ténèbres dans une chute sans fin. Mais pour l'une des premières fois, elle murmura quelque chose à la jeune militaire.

Elizabeth (?) : - Viens avec moi, J. Viens.
Jaina : - Eli, je... Non, je ne peux pas. Keryan, je ne peux pas le laisser.

La jeune femme haussa les épaules.

Elizabeth : - Alors... Meurs.

Elle sauta, en un saut de l'ange parfait. Jaina entendit son cri plus qu'elle ne forma. Un cri puissant, où tout le désespoir qui s'était accumulé ces cinq ou six dernières années, elle ne savait plus, se faisait ressentir, un cri déchirant qui brûla ses poumons. Sans réfléchir, elle prit son élan et sauta elle aussi, pour la première fois. Elle tendit les mains, eut l'impression de voler, de flotter dans les airs, tâtonnant dans les ténèbres pour trouver les bras de sa femme. Elle effleura une peau glacée, presque de marbre, et elle frissonna. Puis vint la chute. Presque infinie. Comme on disait, elle vit son existence défiler devant ses yeux, en des flashbacks incohérents. Des flashbacks qui se concentraient en partie sur la vie qu'elle avait eu avec Elizabeth, leur rencontre, leur mariage, son sourire, la naissance de Keryan, l'installation dans le nouvel appartement, les soirées à la plage quand Elizabeth portait l'uniforme de Jaina par pur jeu, uniforme qui était trop grand pour elle, le goût de ses lèvres, la chaleur de sa peau, la pureté de son odeur... Elle eut physiquement l'impression de mourir. A moins qu'elle n'en ressente en réalité fortement l'envie. Elle ne savait pas, elle ne savait plus, elle s'en foutait. Cela devait finir. Maintenant.

Elle criait, criait encore, des larmes salées brûlant ses yeux vairons, tandis que le temps semblait se figer ou s'allonger, elle ne savait pas non plus. Et soudain, elle se réveilla, et son cri s'étrangla dans sa gorge. Elle serrait ses poings sur le drap, de telle manière que ses jointures blanchissaient. Elle pleurait, elle tremblait, elle avait froid. Elle se sentait pathétique. Elle tenta de retrouver son calme, resta allongée sur le dos, la respiration sifflante. Keryan n'avait même pas été réveillé. Jaina fixa son regard vairon sur le plafond, sa poitrine se soulevant et s'abaissant à un rythme irrégulier, son coeur battant rapidement, une sueur glacée s'écoulant sournoisement sur son dos tendu, sur le dragon frustré. Elle cligna des yeux, consulta l'heure. Elle était en repos aujourd'hui, et avait décidé de consacrer sa journée à son fils. Il était 6h02. Elle savait qu'elle ne se rendormirait pas de si tôt. Habitude fatigante des nuits blanches, hantées, angoissées.

Silencieusement, la jeune femme se glissa hors du lit, prenant bien soin de ne pas réveiller son fils, qui dormait dans la chambre voisine. Elle s'habilla rapidement, sans trop faire attention à ce qu'elle mettait, ce qui se résuma à son sempiternel costume sombre, chemise blanche, cravate. Elle passait totalement inaperçue dans les foules, qui, pensant voir un homme d'une élégance assez raffinée, ne portait guère son regard sur les détails qui auraient pu démasquer la jeune femme. C'était parfait, elle optait pour le confort, l'élégance, et le passe partout. Rapidement, elle se brancha sur la fréquence d'Apocalypto, mais visiblement, tout allait bien. Le supérieur Whitwood lui avait dit que d'autres agents prenaient son tour de garde, ce qui l'arrangeait bien. Mais, par pure conscience professionnelle, elle préférait s'assurer que tout allait bien. Non pas qu'elle se sente irremplaçable ou un truc comme ça. Mais elle savait qu'elle avait sa place au sein du commando. Un ex-agent du FBI - ou actuel, étant donné qu'il lui fallait une couverture également, ils n'allaient pas se fatiguer à aller lui inventer une fable rocambolesque alors qu'elle avait déjà ses papiers et sa carte d'accréditation du Bureau -, profiler de surcroît, était toujours intéressant à posséder. Et une femme qui n'avait presque plus rien à perdre - à part son enfant, ce qui, elle le reconnaissait volontiers, n'était pas rien, mais si peu de personnes était au courant - était des plus redoutables sur le terrain. Enfin, théoriquement, elle avait droit à une journée de déconnexion totale. Ce qui n'était pas déplaisant.

Avant l'attaque d'Apocalypto, ne rien faire, se livrer à l'oisiveté, à l'ennui total, était une des choses dont la jeune femme avait le plus peur. L'ennui la replongeait dans les souvenirs. Dans les réflexions solitaires. En bref, dans la souffrance. Et comme tout animal censé, elle fuyait la souffrance comme la peste, même si son inconscient se chargeait de lui rappeler insidieusement ce qu'elle fuyait, quand elle y parvenait de jour. Mais maintenant qu'elle avait matière à réflexion autre que la disparition de son épouse, penser au calme n'était plus un calvaire. D'autant plus que le sujet était réellement préoccupant. Le gouvernement était vraiment en train de péter un plomb avec les mutants. Elle ignorait encore si elle était la seule à avoir ouvert les yeux (bien sûr que non, Jaina, tu n'es pas la seule à pouvoir prendre du recul, et à envisager la situation sur un angle critique, d'autres que toi ont fait Berkeley, ou même Harvard, ou sont plus dégourdis que la moyenne), en tout cas, en tant que militaire, elle devait couvrir ses arrières. Ses opinions, aussi éclairées étaient-elles, étaient dangereuses dans un tel contexte. Elle pourrait facilement perdre sa place, et c'est bien ce qu'elle ne voulait pas. C'était devenu sa raison de vivre, et ne pas se laisser sombrer dans la désuétude. Alors, si on lui enlevait cela... La jeune femme ne préférait pas y penser. Et puis il y avait ce commando de mutants... Beaucoup d'interrogations étaient soulevées par cette nouvelle donnée. Jaina avait l'impression de se trouver face à un problème, et elle aimait ça.

Elle entrouvrit la porte de la chambre de Keryan. Le petit dormait sur le ventre, à poings fermés. La jeune femme ne put s'empêcher d'esquisser un sourire. Elle referma silencieusement la porte. Elle brancha son GSM sur la vidéo surveillance de son appartement qu'elle avait elle-même installé selon la tradition paranoïaque de la théorie du complot. Enfin qu'importe. Elle assurait simplement la protection de l'être qu'elle chérissait le plus au monde désormais. Qu'allait-elle faire de sa journée? Il était désormais 6h20, l'aube se levait péniblement sur la ville, paresseuse. Elle glissa la première cigarette de sa journée entre ses lèvres et l'alluma d'un coup sec. Elle regarda l'intérieur de son paquet. Il lui restait 5 cigarettes, ce qui suffirait probablement pour la journée sauf si elle sortait. Bon. Une idée remplit son coeur de lumière, chassant les dernières ombres de son sommeil dérangeant. Elle préparerait à Keryan un petit déjeuner royal. Voilà qui était une riche idée. Elle n'en avait jamais l'occasion, et maintenant qu'elle pouvait le mettre à l'école tous les matins, c'était encore pire. Non, il leur faudrait se retrouver tous les deux.

Elle logeait dans un endroit relativement isolé du centre ville, préférant éviter tout ce qui pouvait déranger. Le bruit, les rôdeurs, la pollution. Ce qui présentait également des inconvénients. En premier lieu, celui de devoir se déplacer jusqu'en ville par ses propres moyens. Jaina n'utilisait plus vraiment les transports en commun. Elle préférait se déplacer seule. Elle prit les clés de sa moto, descendit dans le garage de son immeuble. Elle s'assit, elle la démarra d'un coup de pied sévère, passa le casque sur son visage. Elle s'enfonça dans le trafic de la ville. Elle ne pensait à rien d'autre qu'à l'instant présent, se força à ne penser à rien d'autre pour ne pas sombrer dans ses réflexions souvent stériles. Il était 7h20 quand elle arriva en ville. Elle trouva assez aisément une place dans un parking souterrain. Elle glissa une cigarette entre ses lèvres, monta l'escalier quatre à quatre. Le fond de l'air était relativement frais, le soleil n'ayant pas encore eu le temps de le chauffer de ses rayons. Elle ne ressentait rien. Mécaniquement, pour imiter les autres passants, elle redressa le col de sa veste. Elle alluma la cigarette en faisant claquer son Zippo.

Dehors. Il y avait peu de monde. La ville s'éveillait paresseusement. Les livreurs de journaux qui s'activaient, les livreurs tout court qui déchargeaient les marchandises. Elle slaloma entre deux coursiers et parvint dans un magasin d'alimentation. Elle fit le plein de provisions, achetant comme toujours plus que ce qu'il aurait fallut. Depuis l'accident, c'était ça, son réflexe de survie. Acheter plus. Pour pallier à toute éventualité. Des denrées non périssables, c'était évident. Mais aussi quelques aliments frais, rien de mieux. Elle fit la queue, patienta en écoutant la musique d'ascenseur qui régnait dans le magasin, puis fit le trajet inverse pour rejoindre sa moto. En la chargeant, elle se rendit à l'évidence qu'elle ne reviendrait pas en ville avant un moment. Il lui faudrait donc s'approvisionner en fournitures un peu plus précises que de la nourriture. De l'alcool et des cigarettes. Elle emprunta à nouveau l'escalier, et sortit, pressant le pas. Il allait bientôt être huit heures, et Keryan allait se réveiller. Elle lui avait laissé un mot, bien sûr. Mais bon, elle n'aimait pas le laisser seul trop longtemps. Elle fixait de son regard vairon le bureau de tabac, ne vit pas l'homme qui marchait dans le sens inverse, et faillit le renverser.

Jaina : - Hum. Excusez-moi.

L'homme avait un air plutôt antipathique sur le visage, et elle le sentait près de l'incendier. Mais quoi ! Cela arrive, surtout de bon matin... Pourtant, ce regard sombre, ce visage carré... Elle l'avait déjà vu quelque part. Il la reconnut avant elle. Cela faisait plus de 3 ans qu'elle travaillait pour Apocalypto, et pourtant elle ne connaissait pas tous ses collègues, certains préférant se la jouer loup solitaire, tout comme elle. Elle l'avait donc déjà croisé dans les couloirs. Un certain Liam Winchester. On disait pas mal de crasses sur lui, mais Jaina n'écoutait jamais ce genre de brèves de comptoir.

Liam : - Agent D'Arcy? Vous ne travaillez pas?
Jaina : - Agent Winchester, je ne vous avais pas reconnu. Non, je ne travaille pas, je suis en congé aujourd'hui. Je... Profitais de cette journée pour rester avec mon fils un moment. Navrée de vous avoir bousculé, monsieur. J'ai un peu la tête en vrac en ce moment, les mutants et tout ça...

Elle soupira.

Jaina : - Et vous, en quête d'une mission alternative? J'ai cru comprendre que vous n'étiez pas du genre à rester les bras croisés.

Elle esquissa un sourire à l'attention de son interlocuteur, ignorant sa réaction. Elle était trop fatiguée pour parvenir à contrôler toutes ses émotions.

L'agent D'Arcy s'excuse platement, visiblement elle ne s'était pas plus attendue que lui à rentrer dans quelqu'un, mais au ton utilisé, Liam comprit qu'elle ne l'avait pas reconnu et fut tenté l'espace d'un instant de laisser passer tout ça pour s'en aller. Seulement son cerveau avait déjà envoyé l'ordre de répliquer, et il lu alors dans le regard hétérochrome de la demoiselle qu'elle avait enfin mit un nom sur son visage. A la question, stupide certes, de son interlocuteur, la jeune femme répliqua qu'elle ne l'avait pas reconnu mais qu'elle avait elle aussi congé. Et bien, si chaque agent Bastet qui était toujours de service le weekend avait congé aujourd'hui, le trentenaire n'osait même pas imaginer ce qu'il restait à la base, mais tant pis pour eux, ils avaient décidé de leur coller deux jours de libre, ils se débrouilleraient ! Liam n'était pas normal, il voyait les congés comme des punitions, et visiblement vu la tête de sa coéquipière, elle semblait plutôt bien prendre ce weekend surprise de son coté. Jaina aborda le fait de s'occuper de son fils pendant ce temps, et l'américain cacha avec talent la surprise que provoqua cette déclaration, parce qu'elle avait un fils ? Mais s'il se souvenait bien, la jeune femme n'était même pas mariée, et dans l'esprit quelque peu ancien temps du Bastet, il fallait forcément être marié pour avoir un enfant. En réalité, pour tout dire, Liam se rendait compte à ce moment qu'il ne connaissait vraiment rien de ses collègues, et qu'il ne savait absolument pas si Jaina était effectivement mariée ou non, de toute manière ce n'était pas le genre de chose qui l'intéressait en temps normal. L'agent Winchester préférait largement savoir comment ses collègues savaient tirer plutôt que de savoir s'il avait un ou une épouse et des mioches dans les pattes avec la jolie maison de quartier et le prêt sur 20 ans qui allait de paire. Il resta donc de marbre alors que la jeune femme de déclara navrée de l'avoir bousculé, mettant cela sur le compte des mutants et compagnie, elle devait certainement faire référence aux récentes attaques ayant été perpétrées sur les différentes bases de l'opération. Récentes, qui remontaient à trois ans tout de même, mais c'était déjà bien assez aux yeux du Bastet, il se souvenait de chaque jour passé depuis ces évènements.

Toujours seule face au silence de son vis-à-vis, l'agent D'Arcy reprit la parole après un léger soupire, lui demandant s'il était en quête d'une mission secondaire, ajoutant qu'elle avait entendu dire qu'il n'était pas le type d'homme à rester les bras croisé. Sur le coup, Liam ne su comment prendre cette déclaration, se demandant si elle lui disait qu'il n'avait aucune vie sociale (ce qui était tout à fait exact notez), ou si elle complimentait le coté appliqué qu'il avait pour son travail (certains diraient plutôt 'acharné'). Jaina esquissa un sourire léger qui ne fit qu'augmenter la surprise de l'agent, elle lui souriait, est-ce qu'elle attendait quelque chose ? L'agent Winchester était l'asocial par excellence, pas du tout le type d'homme à se faire charmer par des sourires avenants, et c'était justement pour ça qu'il était aussi perplexe devant la visible amabilité que l'agent Bastet manifestait à son égard. Pendant une fraction de secondes, l'agent se demanda si son interlocutrice n'avait pas eu vent des rumeurs qui circulaient sur lui, mais il raya cette idée de son esprit, après tout depuis qu'il bossait là-bas, tout le monde s'était permis de radoter sur son dos, Jaina avait forcément entendu quelque chose. L'autre possibilité étant alors que la jeune femme au look androgyne ne porte aucun intérêt à ce genre de rumeur de couloir impossibles à éviter lorsqu'on était aussi peu aimable que l'était l'agent Winchester. C'était tant mieux, aujourd'hui vu son humeur massacrante, le brun n'avait pas du tout envie de devoir supporter les préjugés d'un collègue à son égard. Il était fatigué, c'est ça, les perpétuelles confrontations avec les autres membres de l'opération, chasseur, chercheurs et même certaines fois Bastet, commençaient à l'épuiser. C'était lorsqu'il ne travaillait pas que l'agent ressentait la fatigue accumulée, voilà pourquoi il détestait tant les congés. Lorsqu'on était comme Liam, du genre à se mettre à dos tous les chercheurs en les considérant comme inutiles, tous les chasseurs en les traitant d'incapables, et certains agent Bastet en leur faisant des remarques bien senties, il était difficile d'avoir une minute de tranquillité au travail. Et comme la vie de l'agent se résumait au travail, le calcul était vite fait. Sortant de ses pensées, l'agent tira une bouffée sur la cigarette allumée qu'il tenait à la main au moment ou il avait failli percuter la jeune femme, puis il se décida à répondre, d'un ton toujours assez distant mais moins professionnel qu'avant toutefois.

« Visiblement nous avons tous été mis au piquet pour le weekend, même si je vois mal qui est-ce qui va bien pouvoir assumer les missions urgentes. » Liam fit une légère pause alors que son regard venait de s'orienter sur un civil qui passait à coté d'eux sans les regardes, les bras chargés de courses diverses. Lorsque l'homme fut passé, il reprit la parole, sa cigarette entre ses doigts, non loin de sa bouche. « J'ignorais que vous aviez un fils. » Il avait failli dire 'que vous étiez mariée', mais s'était retenu à la dernière minute, ne tenant pas à se lancer dans un débat sur le bienfondé des mariages. Aspirant une bouffée de sa cigarette, il reporta son regard sur celui de la jeune femme aux couleurs si particulières, puis il reprit la parole. « Il n'y a pas d'inquiétudes, je comprends, les mutants et tout le reste. »

L'agent aurait pu ajouter qu'il était aussi coupable qu'elle et qu'il devrait regarder devant lui avant de marcher n'importe où, mais même s'il était fatigué des disputes incessantes, Liam n'allait pas s'excuser pour autant, fierté masculine oblige, et il en avait à revendre. Le trentenaire avait subtilement esquivé la question de la mission, mais elle trottait encore dans son esprit, cela signifiait qu'elle avait bien entendu des rumeurs à son sujet, mais il ne savait pas si elle y portait foi, et pour tout dire il s'en fichait un peu pour le moment. Restait à savoir pourquoi est-ce qu'elle lui demandait s'il cherchait une autre mission, est-ce qu'elle avait aussi dans l'idée de s'occuper un peu ? Liam jaugea un moment la demoiselle d'un regard inquisiteur, même si elle ressemblait à un homme avec sa tenue et qu'elle était plutôt frêle, l'agent restait sportive, et il l'avait déjà vu à l'œuvre pour constater qu'elle n'était pas du genre inutile. De toute manière la question ne se posait pas, elle avait parlé de son fils et devait certainement vouloir rentrer chez elle pour s'en occuper. Encore une fois l'américain se trouva surprit de la voir dans le rôle de la mère de famille, jusqu'à ce jour ils se bornait à la voir comme un élément intéressant du puzzle des Bastet, et même des fois, à oublier que c'était une femme, comme si seuls les hommes pouvaient être efficaces. Une pensée stupide mais qui permettait à l'agent d'apprécier Jaina à sa juste valeur vu le manque d'estime qu'il avait pour les hommes. Jaina homme c'était bien, Jaina femme tout de suite, il la voyait retomber dans son estime sans trop savoir pourquoi, certainement son coté « primitif » comme Pixie l'avait souligné. Après avoir tiré une nouvelle bouffée sur son futur cancer, l'américain se décida enfin à répondre, seules quelques secondes étaient passées, mais ça suffisait des fois à en exaspérer certains.

« Je ne cherche pas particulièrement d'autre mission, j'ai déjà constaté qu'ils n'aiment pas que nous fassions des heures supplémentaires, en dehors du boulot j'entends. » Les heures supplémentaires il connaissait, mais travailler sans être en tenue d'agent, l'opération n'appréciait pas. Un jour Liam était tombé sur un mutant en fuite et l'avait neutralisé sans penser qu'il était sensé être en « repos », lorsque l'équipe de chasseur était arrivé, il avait eut droit à un avertissement sur son dossier, un comble. Quels crétins. Il ne pouvait pas appeler son interlocutrice 'agent' comme ils étaient sensés être civils, mais c'était sortit tout seul sous le coup de la surprise avant, il se reprit donc en main, essayant de chasser sa lassitude. « J'ai constaté que vous faites aussi beaucoup d'heures supplémentaires mademoiselle D'Arcy, je peux donc considérer que vous cherchez aussi une distraction de votre coté. »

Il avait opté pour mademoiselle, elle avait plus l'air de la femme célibataire qui élevait son fils que de la bonne épouse fidèle, et Liam ne voulait pas casser complètement l'image qu'il avait d'elle depuis des années. Pas tout de suite. Alors que l'agent fumait, il remarqua un regard de la jeune femme en direction du tabac dont il venait de sortir, et le souvenir de la voir fumer resta absent de son esprit, est-ce que l'agent D'Arcy était fumeuse ? Pourquoi une question aussi stupide ? Aucune idée, la lassitude certainement, et histoire de faire fi de la réputation qu'il se trainait depuis des années et qui ne cessait d'augmenter au fur et à mesure des années qui passaient, le trentenaire reprit la parole, toujours aussi distant, mais néanmoins poli.

« Vous alliez acheter des cigarettes ? » Pas de proposition pour dépanner, au pire si elle avait envie de prolonger la conversation, bien que Liam avait du mal à voir pourquoi, il pourrait toujours lui en proposer une. En fait, il se rendait compte que l'agent D'Arcy, malgré le fait qu'il la voyait souvent à l'œuvre au travail, était l'une des rares personnes avec qui il n'avait jamais discuté. Discuté ça sous-entendait parler autrement que pendant une mission, dans les couloirs de l'opération par exemple, mais même là il ne parlait avec personne excepté ses supérieurs. Histoire de lui tendre la perche si jamais elle cherchait un moyen d'échapper à la conversation, Liam lui lâcha une dernière phrase. « Si vous êtes occupée, je peux vous laisser. »

Liam Winchester. Maintenant, oui, la mémoire lui revenait, rapidement, chassant les brumes de son réveil et ce froid début de journée. Evidemment, elle qui était souvent présente à la base, n'avait pas pu s'empêcher d'entendre tous les bruits de couloirs, et tous les sarcasmes qui pouvaient être émis sur ce bourreau de travail. Peut-être était-ce fondé - Qui aimait se prendre des remarques en pleine poire sans broncher ou se permettre quelques représailles? C'était de bonne guerre, comme on dit - ou peut-être n'était-ce finalement que de la jalousie. Winchester devait probablement l'ignorer - du reste, peu de gens étaient au courant, sauf ceux qui prenaient la peine de lire son dossier en détail et prendre contact avec ses anciens partenaires ou ses anciens employeurs -, mais Jaina avait hérité de nombreux surnoms désagréables, quand elle était affiliée à une mission ou à un commissariat. Dans sa jeunesse, elle avait développé un goût de la marginalité qu'elle n'avait pas quitté une fois adulte. C'était un stratagème de défense, pensait-elle. Ou tout simplement n'était-elle pas apte à avoir des rapports sociaux comme tous les autres. Cela avait été différent avec Elizabeth, d'une façon tout à fait étonnante. Jaina, qui s'était toujours montrée cynique et froide, avait été obligée de se faire violence pour transcender ce qui lui avait clairement paru comme étant... De la timidité. Elle avait été timide, vulnérable, quand elle avait rencontré sa femme, et elle l'avait également été quand elle l'avait menée jusqu'à l'autel. Enfin, tout cela était bel et bien révolu. Elle avait disparu dans les brumes des souvenirs fébriles, et la froideur et le cynisme étaient revenus au grand galop. Comme quoi... Elle recommençait à se taper n'importe qui, histoire de passer une nuit dans les bras chauds d'une inconnue. Enfin...

Cette marginalité avait été la source de nombreux quolibets. Elle aussi était adepte des remarques sèches et prônait avec une profonde ferveur l'efficacité. Sa fibre légèrement désorganisée quand il s'agissait de ranger lui valut le pseudonyme de l'Ouragan. The Hurricane. Toute en fureur, tourbillonnante dans des ordres lancés comme des sorts, tout en éclat dans ses tenues de combat, elle traquait et éliminait avec la rigueur d'une machine. On l'avait d'ailleurs récemment employée pour des missions d'élimination très spéciales. Le commanditaire n'apparaissait nulle part, et il s'agissait pour elle de sortir, de prendre une planque, de buter un mutant, et le laisser traîner par terre. Cela rentrait dans la nouvelle logique du gouvernement, en réponse aux attaques. Elle avait déjà accepté ce genre de missions auparavant. Elle tuait sans aucun scrupule, repartait rapidement, telle une ombre. Maintenant, ses repères étaient légèrement bouleversés. Elle était prise entre deux feux. Elle avait habitué sa hiérarchie à répondre par l'affirmative, et à être un bon chien de garde. L'Ouragan s'essoufflait. Elle ignorait ce qu'elle devait faire.

Cela ne changeait rien au fait qu'elle comprenait relativement bien les réactions de l'agent Winchester, cette marginalité volontaire, cette recherche de missions impromptues. Elle-même avait cet attachement pour le travail bien fait, pour cette perfection. Ils servaient les intérêts de sa vengeance personnelle. Il n'y avait donc absolument aucun sarcasme dans ses déclarations. Certes, elle avait bien entendu les bruits de couloirs, mais au lieu de prendre parti contre l'impitoyable agent, cela lui avait apporté une sorte de sympathie venant de la jeune femme.

Et puis, bien sûr, elle avait eu l'occasion de le voir à l'oeuvre sur le terrain. Il n'avait rien à envier aux meilleurs, et Jaina, avec le recul, se figurait que son détachement de toute relation sociale traditionnelle lui valait en partie son efficacité. Enfin qu'importe. Elle n'était pas non plus là pour juger bêtement ses collègues sur des on dits. Elle préférait se faire une idée par elle-même. Elle était assez grande pour faire la différence.

Elle se rendit compte également qu'elle était toujours restée à l'écart de l'Opération, se préservant de toute relation sociale. Elle s'était toujours préservée de ce genre de choses. Elle n'avait rien à dire aux gens. Jusqu'à ce qu'elle rencontre Elizabeth. Mais cette histoire lui semblait si lointaine qu'elle était presque... Totalement fictive... Etrangère à la jeune femme. Cette pensée la blessa profondément. Elle reporta son attention sur son collègue qui, malgré les ans qu'elle avait passés dans l'Opération, lui était pratiquement totalement étranger.

Liam : - Visiblement, nous avons tous été mis au piquet pour le week-end, même si je vois mal qui est-ce qui pourrait assumer les missions urgentes.

La jeune femme hocha la tête.

Jaina : - C'est vrai, c'est un peu curieux. Pour moi, cela tombe à point nommé, cela faisait longtemps que je n'avais pas eu l'occasion de rien faire. Non pas que j'aime. Mais ça me donne l'occasion de m'occuper de mes proches.

Pourquoi se sentait-elle l'obligation de se justifier? Elle n'avait pas besoin. Tout être humain basique préférait passer du temps avec sa famille plutôt que de risquer sa vie à contrôler des mutants qui savaient se montrer conciliants comme belliqueux.

Puis vint l'intervention de son collègue. "J'ignorais que vous aviez un fils." L'espace d'un instant, la jeune femme se projeta dans le cadre d'un couple hétéro, au bras d'un homme, enceinte. Elle ricana intérieurement. L'image était absurde. Elle n'avait pas... Le physique pour cela. Son regard triste, ses mâchoires serrées... Mais ce physique était un héritage de sa vie, la perte de sa femme, le massacre de ses parents...

Jaina : - C'est ma com... Mon ex-compagne qui l'a porté. Mais c'est légalement mon fils.

Ces simples phrases pouvaient paraître d'une difficulté nulle à prononcer. Mais la jeune femme se rendit compte que c'était la première fois qu'elle parlait ainsi de Keryan. Comme le "fils de sa femme". Une distance s'était instaurée. Une brisure. Le rappel, le souvenir de son épouse. C'était difficile. De nouveau, son coeur se serra. Elle baissa les yeux. Elle ne voulait pas s'étaler sur le sujet, Après tout, Winchester devait s'en foutre comme de sa première chemise. Et elle cherchait à se protéger elle-même.

Le silence se brisa sans qu'elle n'ait eu la notion de la durée de ce silence. Mais il lui fallut quelques millisecondes pour qu'elle se tire des pensées néfastes qui menaçaient et reporter son attention totalement sur son collègue. De quoi parlait-il? Ah oui, des missions bonus. Ah. Les missions bonus... La recherche de l'adrénaline même quand l'uniforme était rangé dans le placard. Ce sentiment d'être investie d'une mission permanente, qui transcendait les codes de l'organisation... La jeune femme esquissa un sourire.

Jaina : - En effet. Je ne refuse pas quelques extras. Mais en général... Je ne les déclare pas. C'est une vieille habitude que j'ai prise au Bureau. Faire des heures supp' c'est souvent répréhensible, dans l'administration...

Elle eut un léger ricanement.

Jaina : - Pardon. C'est... Nerveux.

C'était surtout cynique, par rapport à l'aspect théâtral que se donnait la haute administration et l'autorité de l'Etat. Enfin, qui était-elle pour porter un jugement si ironique à ses supérieurs? Enfin...

Jaina : - Oui, des cigarettes. Faut bien survivre dans ces moments d'attente. Sans quoi je me sens... Vraiment mal. Et non, vous ne me dérangez pas. Pour la première fois que je vous croise réellement, je ne vais pas dire que vous me dérangez. Enfin. Qu'en est-il de l'Opération en elle-même? Cela fait quelques temps que l'activité m'est étrangère, je ne reçois que peu d'informations venant des autres membres de l'Opération.

Elle avait baissé la voix et avait plongé son regard vairon dans celui du trentenaire, créant comme un espace de discussion privé, qui suggérait légèrement aux passants de ne pas prêter oreille. Du reste, ceux qui auraient pu tendre l'oreille à leurs propos auraient immédiatement été repérés. Elle avait un don pour cela. Le ton qu'elle avait adopté impliquait pour l'entendre d'être à moins de 30 centimètres de la jeune femme.

Jaina semblait quelques peu perdue dans ses pensées, elle fixa le visage de son interlocuteur d'un air absent pendant quelques secondes après sa réponse avant de lui déclarer qu'elle trouvait cela tout aussi étrange que lui, le fait qu'ils les mettent tous en congés alors que l'opération débordait de missions. Liam savait de quoi il parlait, étant donné que Dorian Whitewood était du genre à convoquer souvent ses agents dans son bureau pour un contrôle de routine, l'agent Winchester s'y était rendu plusieurs fois depuis le début de l'année scolaire, et lors de son arrivée un matin, très tôt, son responsable croulait sous les dossiers de mission, ceux qu'il avait déjà trié et les autres. C'était effrayant à voir, et en captant le regard étonné de son agent, Dorian lui avait simplement déclaré que c'était le travail pour une journée, le soucis restant qu'il y avait légèrement plus d'ordres de mission que de personnes pour les remplir. Le léger rire de son responsable n'avait pas été communicatif, et l'Américain avait simplement offert une expression renfermée et un regard réprobateur, même avec l'aide de ces incapables de chasseurs ils n'avaient pas à gérer convenablement tout leur travail. L'agent Bastet avait par conséquent pour habitude d'effectuer ses missions vite et bien, même si des fois les tâches dont il devait s'acquitter n'était pas spécialement de son niveau, à savoir contrôler la puce d'une mutante ou autres joyeusetés de ce genre normalement réservée aux chasseurs et aux agents spéciaux débutants. Liam avait certaine fois l'impression que son supérieur lui confiait délibérément des missions secondaires, et ça le frustrait énormément pour tout dire, il n'y avait rien de pire pour un homme comme lui que de se sentir mis à l'écart.

La jeune femme termina sa réplique en déclarant que ça ne la gênait pas vraiment, expliquant qu'elle n'était pas du genre à aimer ça, mais que ça lui donnait le temps de s'occuper de ses proches. Quoi de plus normal pour un être humain normalement constitué ? Elle se justifiait même, ce qui ne manqua pas de surprendre son interlocuteur, Liam n'avait certes pas un visage très avenant, même pas du tout, mais habituellement les gens se fichaient de ce qu'il pouvait bien penser d'eux et laissaient leurs parles sans explications. On ne pouvait pas dire que l'agent appréciait particulièrement le geste, mais il nota que visiblement l'agent D'Arcy devait être plus proche de son caractère à lui que ce qu'il pensait au début. Le mot 'proches' avait une signification pour le trentenaire, mais aucun visage ne lui vint à l'esprit lorsqu'il l'entendit, seule la vision d'un appartement vide, le sien, s'imposa tout de suite. Après un bref instant de réflexion, Liam se surprit à se demander ce que sa mère pouvait bien faire toute seule chez elle en ce weekend, et ses pensées s'égarèrent vers son frère cadet avant que l'agent ne les remettent dans le droit chemin, Seth n'était plus son frère, autant s'y faire. Il avait perdu ce droit en prenant part à l'autre race au lieu de confier son problème à son aîné, l'agent l'aurait aidé sans hésiter, mais son cadet avait préféré la fuite à la vie humaine... Après avoir prit une nouvelle bouffée de sa cigarette, l'Américain s'efforça de penser qu'il n'avait plus de proches et que les survivants épars de sa famille n'étaient rien de plus que des personnes de son ancienne vie qui n'avaient plus de place dans la nouvelle, et il tendit l'oreille pour écouter les quelques mots de la jeune femme, non sans une certaine surprise, c'est le moins qu'on puisse dire.

Son ex compagne ? Sur le coup Liam ne fut pas sûr d'avoir bien entendu, mais il fallait se rendre à l'évidence, il avait toujours eu une audition parfaite et ne faisait jamais répéter les gens, à moins que sa mésaventure à la fête d'Halloween ne lui ai abîmé les tympans. L'agent pensait bien entendu au cri suraigu que la chercheuse qui l'accompagnait pour le boulot, lui avait lâché dans les oreilles lorsqu'elle avait été victime d'une petite farce, il avait eu mal à la tête pendant un petit moment à cause de ça, c'était peut-être les effets secondaires qui sait ? Mais il se rendit à l'évidence, non, Jaina avait bien parlé d'une compagne, et pour tout dire, ça expliquait beaucoup de choses. Déjà l'incapacité de son interlocuteur à la voir au bras d'un homme dans un couple parfait, il fallait avouer que le coté androgyne de la demoiselle n'aidait pas, sans compter que Liam avait une imagination déplorable, gravement prononcée lorsqu'il s'agissait de mettre en scène de telles pensées. L'agent Winchester n'était pas homophobe, en fait il se fichait complètement de l'inclinaison des gens quant à ce détail, du moment qu'ils lui fichaient la paix, le reste importait peu, mais il fallait admettre que son coté conservateur avait toujours du mal à imaginer deux femmes ou deux hommes ensembles. Bien entendu, cela ne touchait en rien l'efficacité de l'agent face à lui, qu'elle soit mariée à un homme ou à une femme, c'était du pareil au même, et pour tout dire vu le peu d'intérêt que Liam prêtait à la vie privée de ses collègues, ça ne changerait rien. Il était juste surprit. Des rumeurs avaient circulé sur le compte de la demoiselle à la base, mais après tout d'autres rumeurs sur son compte à lui ne se baladaient pas un peu partout ? L'agent avait apprit à faire fi de ce genre de discussion de couloir, et il ne devait certainement pas assez s'intéresser à son prochain pour avoir remarqué les éventuels signes qui auraient pu lui éviter cette surprise.

Jaina avait de toute manière baissé les yeux, et l'habitude contrôle de l'agent lui avait permis de ne pas montrer son étonnement, elle devait donc penser que tout était passé comme une lettre à la poste, et quand bien même elle se doutait de quelque chose, l'agent D'Arcy devait de foutre complètement de ce qu'un collègue pouvait bien penser d'elle. Surtout si ce collègue c'était Liam Winchester. La demoiselle esquissa un sourire avant de déclarer qu'elle n'était jamais contre quelques extras, mais qu'elle ne déclarait pas tout ça, une vieille habitude qu'elle disait, prise après avoir remarqué que l'administration n'aimait pas trop ce genre de liberté. Un léger ricanement puis elle s'excusa à la grande surprise de son interlocuteur, une nouvelle fois. En fait, ce qui étonnait autant l'agent était tout simplement le fait qu'elle se comporte normalement avec lui, il fallait avouer que ses collègues étaient généralement plus du genre à parler entre eux et à l'ignorer superbement comme s'il n'était pas là, surtout lorsque leurs discussion prenaient des tours personnels ou parlaient de leur conjoint ou enfants. Tout le monde savait ce que Liam pensait du mariage et du fait de faire des mioches sur une Terre aussi pourrie que la leur, mais visiblement Jaina pas. Peut-être que le fait de tomber sur une personne aussi distante que lui avec la vie de l'opération allait lui porter chance ? La jeune femme déclara qu'elle venait en effet pour des cigarettes et qu'elle se sentait mal si elle n'en avait pas dans ces moments de veille, il comprenait tout à fait, bien que n'étant pas un fumeur assidu, il appréciait la cigarette qu'il fumait après chaque journée de travail, et encore plus celle qui suivait un entretien houleux. L'agent aspira une nouvelle dose de cancer tandis que Jaina déclarait qu'il ne la gênait pas pour une fois qu'ils se rencontraient en dehors de l'opération, si elle savait, c'était peut-être justement parce que c'était la première fois qu'elle lui parlait qu'ils pouvaient être aussi 'normaux' justement. Alors que sa voix se baissait et que son regard aux couleurs surprenantes se posa dans celui de son interlocuteur, l'agent D'Arcy lui demanda ce qu'il ne était de l'Opération, expliquant que tout ce qui se passait était quelque peu étranger pour elle. Le ton qu'elle avait employé permettait aux deux agents de parler sans être dérangé par les passants aux oreilles indiscrètes, et le regard de la jeune femme conjugué à l'expression peu aimable de son interlocuteur devait refouler toute envie de se mêler de leurs affaires. Un bref moment de silence avant que l'agent ne réponde, d'un ton aussi posé et professionnel qu'avant, mais d'un ton légèrement plus réduit, bien que Jaina devait entendre parfaitement ses mots.

« Il est vrai que tous les changements ayant eu lieu récemment ont laissé quelques agents perplexes. Je dirais qu'elle est toujours aussi mal organisée pour une organisation aussi... Réputée si je puis dire. Vous avez entendu parler de l'incident dans le désert je présume.... »

Il retomba dans le silence, posant son regard sur une jeune femme qui passait à coté d'eux en leur décrochant un sourire qui se heurta à l'expression fermée des deux agents, puis il reporta son attention sur la femme androgyne face à lui. Il ignorait sa position quant à l'opération, Liam ne cachait pas son mécontentement lorsqu'il en avait, et n'était pas non plus du genre à s'amuser à faire de la lèche à ses supérieurs alors qu'il ne les voyait que comme des incapables. Peut-être que son interlocutrice allait être surprise de la teneur de ses paroles, mais il s'en fichait, elle pouvait le raconter autour d'elle si l'envie lui en disait, bien qu'il doutait que ça soit son style, tout le monde savait ce que l'agent Winchester pensait de tout ça. Ça lui avait valu un rapport après tout. Il avait seulement sous-entendus la seconde réponse, avant de s'interrompre, la rue n'était pas le meilleur moyen pour discuter d'une chose aussi secrète, même avec toutes les précautions possibles, mais si Jaina avait envie de se tenir au courant, il pourrait bien la dépanner pour avoir manifesté une once de bienveillance à son égard non ? Après avoir plongé sa main dans sa poche, Liam sortit finalement le paquet de cigarettes qu'il avait utilisé juste avant et le tendit à son interlocutrice pour lui en offrir une si elle le désirait, avant de reprendre la parole sur le même ton que précédemment.

« Si vous n'êtes pas pressée, je pourrais vous en dire plus si vous le désirez, mais la rue n'est pas le meilleur endroit possible. Il regarda rapidement autour de lui avant de poser ses yeux sur le fameux 'café-bar' à leurs cotés, il y avait quelques tables dedans qui pourraient permettre aux deux collègues de discuter en paix vu que les tables étaient désertes et le comptoir plein. Reportant son attention sur son interlocutrice, il reprit donc. Cet endroit semblerait plus approprié, non ? »

Il lui payerait la consommation s'il le fallait, de toute manière Liam ne comptait rien prendre, leur café avait le goût d'un jus de chaussette (non qu'il ait déjà essayé ce dernier), mais il avait déjà été surprit sur les goûts de la jeune femme précédemment, alors si elle aimait ce genre de café, il ne serait plus à une surprise près non ? Après restait juste à voir si Jaina avait le temps et surtout l'envie de discuter quelques instants avec lui, de toutes les manières possibles, l'agent Winchester n'allait pas pleurer si sa proposition était refusée, elle ne pourrait pas en savoir plus mais il n'y aurait pas mort d'homme. L'agent D'Arcy venait de le souligner, elle pouvait s'occuper de ses proches, mais le trentenaire doutait assez qu'un enfant, quel que soit son âge, soit éveillé aussi tôt pendant un weekend, ou alors elle l'élevait à la dure. Pour une fois, l'Américain se surprit à se montrer presque aimable avec quelqu'un, offrir une cigarette ou un café à une collègue de travail n'était pas dans ses us et coutume, loin de là même, mais l'on pouvait considérer que le fait que Jaina semblait aussi étrangère que lui à la vie de l'opération l'avait encouragé, Dorian serait bien étonné de voir que son agent était capable de se montrer conciliant dans ses relations professionnelles. Même s'il fallait avouer que pour le coup, ça devait être la première fois qu'il parlait avec elle.

Son visage était dépourvu d'expression, d'une façon exemplaire. Impassible. La jeune femme ne parvenait pas à sonder son regard. On avait l'impression qu'il prêtait une attention de convenance à ce qu'elle disait, sans pour autant s'enthousiasmer en quelque point, sans pour autant montrer un quelconque désintérêt. Il l'écoutait. Ce qui était déjà bien. Pour le peu qu'elle parlait. Même quand elle lui confessa son orientation sexuelle, sans pour autant réellement ressentir un quelconque gêne - Après tout, la jeune femme se servait de son orientation comme d'un véritable cheval de bataille. Cela ne plaisait pas à tout le monde. Mais à vrai dire, elle se foutait des réactions des autres. Elle pouvait choquer l'opinion, cela n'ajouterait que du piment à son existence. Après tout, elle avait un gros flingue. Et savait s'en servir. Elle avait de quoi accueillir les mécontents. Mais c'est vrai, elle le concevait : cela pouvait paraître étrange, que quelqu'un d'engagé dans l'Equipe Bastet puisse appartenir à une communauté opprimée. Mais elle avait des raisons pour faire partir de l'opération. Sans pour autant que ces raisons soit justifiées, mais à l'échelle personnelle, elle estimait qu'elles étaient suffisantes pour pouvoir prendre les armes. C'était la loi du Talion. Oeil pour oeil, dent pour dent.

Elle était seule. Toujours. Depuis longtemps. Depuis la mort de ses parents, depuis que son frère et sa soeur étaient partis, qu'ils s'étaient exilés, qu'ils avaient fuit. Depuis la disparition d'Elizabeth, elle n'était plus qu'une ombre de haine. Qu'était-elle devenue? Sa femme avait été sa dernière barrière contre la folie. Elle avait été capable de calmer la tempête qui était née de son service militaire en Irak. Elle seule y parvenait. Ses paroles caressaient son coeur perturbé. Elle emprisonnait le feu qui brûlait au fond d'elle, le noyait sous sa douceur et la tendresse de ces moments. Elle lui enlevait les fantômes qui la hantaient depuis son aventure en Irak. Elle n'avait pas vécu beaucoup d'attentats. Elle n'avait pas souvent dû tirer contre des terroristes. Elle avait d'ailleurs été rapidement victime du Don't Ask Don't Tell en vigueur aux Etats-Unis, éliminée et renvoyée chez elle, où elle avait retrouvé l'étreinte magnifique de la femme qui n'avait su quitter ses pensées tourmentées. Mais elle avait vu le sort réservé à certains civils ou prisonniers par son unité ou celles des autres. Elle avait eu assez de temps pour mettre des noms sur ces visages tuméfiés, humiliés. Certaines choses étaient restées reléguées au fond de sa mémoire, dans des recoins sombres, qu'elle se gardait bien de s'aventurer près de ces recoins. Pour autant, elle n'était pas épargnée par les effets de l'existence de ces souvenirs refoulés. Elle n'avait pas tout dit à Elizabeth. Et ce pour leur protection. Quelque chose l'avait définitivement changée, une fois qu'elle était partie en Irak. Désormais, elle s'occupait de son fils en y mettant autant de coeur qu'elle le pouvait. C'était tout ce qui lui restait. Les fantômes frappaient à la porte de sa mémoire. Le regard de Keryan, qui rappelait celui d'Elizabeth, lui avait permis de tenir. De résister.

Mais quiconque avait pu la voir en action pouvait sentir la folie menaçante dans les gestes de la jeune femme. Son regard vairon brillait d'un éclat particulier. Et elle laissait son corps prendre le contrôle, se purger dans la violence. Elle s'horrifiait elle-même, mais si c'était le prix à payer pour qu'elle puisse garder le contrôle la plupart du temps...

Enfin... Tout cela était ce qu'elle avait en elle, qui coulait dans ses veines, et rien ne semblait pouvoir lui enlever cela. Tandis qu'un léger goût cuivré s'installait dans sa bouche, elle écouta Liam parler de son propre sentiment quant à la réorganisation de l'Opération. La jeune femme hocha la tête. Cette mauvaise organisation lui permettait néanmoins de passer outre certaines règles pour assouvir certaines de ses fantaisies et la laissait relativement indépendante, chose sur laquelle elle ne crachait pas volontiers.

Liam lui parla d'un accident dans le désert, ce qui ne manqua pas de faire froncer les sourcils de la jeune femme. Elle savait les difficultés rencontrées entre les équipes pour communiquer. Elle avait beau être un loup solitaire, mais elle se tenait quand même relativement au courant de ce qui se passait. Pourtant, il lui arrivait parfois d'apprendre par pur hasard qu'un accident était arrivé. Mais là, dans le désert... Dans le même mouvement, Liam sortit son paquet de cigarettes et lui en proposa une. Elle le remercia de sa voix rauque, la glissa dans ses lèvres, l'alluma d'un claquement de zippo.

Jaina : - Non, je ne suis pas au courant de ça.

Sa réplique n'invitait pas à la poursuite de la conversation. Pour la simple et bonne raison qu'ils atteignaient désormais un sujet qui se devait de rester le plus discret possible. D'ailleurs, Liam lui proposa de poursuivre dans un des cafés proches. Jaina ne connaissait pas vraiment ce genre d'établissements, préférant s'engouffrer pour de bon dans le monde dans la nuit quand elle devait sortir. Elle acquiesça, rentra dans le café. Elle sonda la salle de son regard vairon, calmement. Il était trop tôt pour qu'elle soit remplie. Pas trop d'oreilles indiscrètes, mais pas non plus de couverture de rumeurs vocales. Elle choisit une table plutôt reculée, près de l'arrière salle, à moitié dissimulée par un escalier. Cela leur donnait certes des allures de conspirateurs, mais personne ne les approcherait.

Jaina (s'assurant que personne ne les entendrait) : - Je vous écoute.

Elle fut interrompue par le serveur.

Serveur : - Vous prendrez quoi?
Jaina : - Un café crème.
Serveur : - Et vous, monsieur?

Il partit après avoir pris la commande de Liam. Jaina reporta son regard vairon sur lui.

Jaina : - C'est pas de la mauvaise volonté de ma part. Mais au niveau communication, j'ai déjà eu mieux.

Son portable vibra. Elle s'excusa, jeta un oeil sur l'écran. Une nouvelle mission à priori. Elle ricana intérieurement de nouveau. Elle n'était donc que cela, finalement. Une machine à liquider. Enfin, là, en temps normal, il s'agissait d'exterminer. Cette mission excita sa curiosité : il s'agissait de prendre des renseignements sur quelqu'un qui était désigné comme un mutant, mais dont les observateurs étaient revenus dans un sale état... Du genre la queue entre les jambes, en couinant et en se prenant pour une... Belette? C'était complètement cinglé. Elle n'avait encore jamais vu ça... Intéressant. Elle reporta son attention sur Liam, vaguement excitée par ce nouveau divertissement.

Jaina avait accepté la cigarette proposée par Liam et en avait attrapé une pour la glisser entre ses lèvres avant de l'allumer pendant qu'il faisait à nouveau disparaitre le paquet dans la poche de sa veste. Il ne s'était pas trompé de prime abord, la jeune femme lui avait semblé être une fumeuse, bien qu'il ne l'avait jamais vu fumer une sèche pendant le service, il fallait dire qu'il la croisait très rarement pendant les heures de travail, forcément ça réduisait les chances. Et quand bine même l'aurait-il côtoyée tous les jours que ça ne signifiait rien non plus, lui-même n'était pas le genre d'homme à fumer cigarette sur cigarette alors qu'il était plutôt gros fumeur. Dans sa jeunesse surtout, à l'Académie de police et pendant ses quelques années passées au service de la ville d'Achaea, là c'était ce qu'on pouvait qualifier de gros fumeur, sa mère lui avait assez sortit que si son père n'était pas décédé dans un accident de voiture, il serait mort d'un cancer du poumon, et bien que veux-tu ? On doit tous mourir un jour, il y a quotidiennement des inconnus qui décèdent bêtement, en traversant la rue et en se faisant écraser, autant mourir en faisant quelque chose qu'on aime non ? Liam avait souvent entendu des arguments contre la cigarette, sa dernière copine en date était d'ailleurs une fervente défenseuse de l'oxygène et décrétait que le tabac avilissait l'homme, ce à quoi l'agent avait répliqué qu'il ne voulait pas de gamin donc il ferait des économies sur les contraceptifs. Elle avait ensuite avancé qu'il devrait payer pour traiter le cancer qu'il avait gagné en achetant des cigarettes hors de prix, ce à quoi le trentenaire avait répondu qu'il ne payerait pas et préférait mourir vite et bien que longuement en souffrant. Comme dernière idée, elle avait annoncé que c'était purement et simplement de l'argent qui partait en fumée, ce à quoi le militaire avait répondu que les crèmes et le maquillage qu'elle s'étalait sur le visage partait ensuite dans l'évier. Finalement c'était elle qui était partie, pas dans l'évier bien entendu, mais de sa vie tout simplement. Il ne lui restait plus que la cigarette comme compagne, et sérieusement, il se sentait largement mieux depuis qu'il n'avait plus qu'elle, au moins les sèches n'étaient pas du genre à lui parler toute la nuit alors qu'il essayait de dormir.

Liam fut tiré de ses pensées étalées par la voix de la jeune femme qui répondait qu'elle n'était pas au courant de tout ça, elle faisait bien sûr référence à ce qu'il venait de lui annoncer au sujet de « l'incident » dans le désert. Comment est-ce qu'elle faisait ? Cette information avait été relayée en boucle dans la base, sans compter que les informations avaient abordé le sujet d'une base militaire attaquée dans le désert, et que les autorités avaient du faire tout leur possible pour faire passer ça comme quelque chose de normal, une attaque terroriste et non mutante en somme. Finalement, Liam ne s'étonnait plus trop de l'avenante attitude de l'agent D'Arcy à son égard, si elle ignorait quelque chose d'aussi énorme, comment pourrait-elle être au courant des rumeurs de couloirs qui avaient trouvé leurs habitudes dans la base de l'Opération ? Quoi qu'il en soit, elle avait accepté la proposition de son interlocuteur d'aller dans le café, et ce dernier lui laissa l'embarras du choix concernant la table, imaginant qu'elle ferait preuve de logique et en sélectionnerait une plutôt tranquille. Ce qu'elle fit, ils s'installèrent donc avant que la jeune femme n'annonce à son collègue de travail qu'elle l'écoutait, mais le serveur débarqua aussitôt comme s'il n'attendait qu'un client pour se jeter dessus.

Essayant de contenir son agacement, il attendit patiemment que Jaina passa sa commande et opta lui-même pour un café très noir, en accord avec son humeur et la couleur de ses yeux, seul breuvage à peu près potable du café-bar. Le serveur répartit sans avoir fait de commentaire sur le fait que les deux clients soient fumeurs, puis l'agent porta son regard bicolore sur le visage de Liam avant de lui annoncer que ce n'était pas de la mauvaise volonté, un simple problème de communication. Ça, il pouvait le comprendre, sa dernière « dispute » avec des supérieurs venait d'ailleurs de ça, il avait protesté que les ordres de mission étaient perpétuellement en retard et que ça devenait sérieusement agaçant. Pas très étonnant que l'agent D'Arcy n'ai pas été au courant de tout ce qui c'était passé, même si c'était tout de même assez énorme pour que l'on puisse le rater. Enfin, il n'était pas là pour la juger, et au moment où le trentenaire allait répondre, il fut interrompu par un portable qui sonna, et Jaina s'excusa avant de consulter le sien, puisque c'était le sien qui venait de sonner, et elle reporta enfin son attention sur un Liam qui commençait à sentir la moutarde lui monter au nez. L'agent exécrait les portables, ils sonnaient toujours et rien n'était plus insupportable que de ne pas avoir une minute de paix. Pour le boulot, l'Américain portait un bipeur sur lui, et encore là, c'était difficile à supporter pour un indépendant comme lui. Après un bref instant de silence histoire de vérifier que plus rien ne viendrait l'agacer, il reprit la parole d'un ton légèrement plus tendu qu'avant.

« Je peux comprendre, on va dire que l'Opération n'est jamais organisée et que les transmissions d'un groupe à l'autre sont plus que médiocres.... Mais ce dont je vous parle a été relayé à toutes les sauces aux informations, dans les journaux et compagnie. »

L'agent Bastet retomba un moment dans le silence alors que son regard noir quitta les pupilles hétérochrome de la demoiselle pour se poser sur la personne qui se dirigeait vers eux, et qui se trouvait être leur serveur pot-de-colle. Celui-ci posa les cafés commandés sur la table avant de leur marmonner un vague « bonne dégustation ». Puis il s'en alla en traînant les pieds alors que l'Américain quitta la silhouette flasque du regard pour reporter son attention sur la collègue face à lui, reprenant la parole d'un ton légèrement plus posé, bien que toujours assez agacé de voir qu'il était destiné à être interrompu.

« Ce dont je vous parle agent D'Arcy, c'est de l'attaque qui a eu lieu dans le désert, sur une base secondaire de l'Opération. Elle a été relayée comme une attaque terroriste dans les médias, mais en réalité, c'était un groupuscule mutant qui a tenté d'obtenir des informations sur l'Opération en libérant d'autres mutants. Leur attaque a été assez couronné de succès puisqu'une de nos plus anciennes pensionnaires a été libérée, et c'est elle qui est très certainement à la tête du nouveau groupe de soutient au mutant qui a fait son apparition. »

Après cette réplique, l'agent baissa les yeux vers son café qui semblait visiblement plutôt buvable, mais qui sur le coup ne faisait plus tellement envie au trentenaire. Ce dernier tira vers eux le cendrier posé sur la table tout au bout, avant de faire tomber la cendre dedans, puis de reprendre la parole pour ajouter quelques informations à l'attention de la jeune femme, histoire de lui éclaircir le tout.

« Cette attaque a eu lieu il y a bientôt trois ans, mais c'est ce qui a déclenché tout ce que nous avons comme missions à ce jour. Agent D'Arcy, où étiez-vous passée pendant tout ce temps pour ne pas en avoir entendu parler ? »

C'était sûr que tout cela paraissait bizarre pour un homme tel que Liam qui passait toute sa vie à la base, et par conséquent n'entendait que des informations à son sujet. Sans compter que le trentenaire avait trouvé l'esquive des autorités extrêmement habiles, faisant croire à une attaque terroriste sur une base militaire située dans une zone à l'accès réservé. Ils avaient même arrêté un mutant caché sous une fausse identité, un ancien pensionnaire de la base qui s'était évadé, et son identité avait été dévoilée, accompagnée du titre « terroriste ». C'était vraiment surprenant que Jaina n'en ai jamais entendu parler, mais les femmes étaient surprenantes, et bien sûr pas dans le bon sens du terme venant de Liam.

La marginalité de l'agent D'Arcy, qu'elle ait été acquise lors de sa jeunesse, sur le campus de Berkeley, ou après le tragique de son existence, ces blessures qui lui semblaient encore tellement récentes, lui donnait une antipathie naturelle, qui la rendait assez perplexe. En effet, à ce sentiment, ou plutôt à cette absence de sentiments, elle réagissait de manière contradictoires. Cela était pour elle une manière de se dérober à la souffrance et au questionnement moral qui avait disparu avec la douce présence d'Elizabeth. Mais c'était aussi évidemment un obstacle aux relations humaines, et elle avait parfois du mal à montrer sa tendresse envers son fils ou son attachement à Nemesis, pour ne citer qu'elle. Parce qu'il n'y avait plus qu'elle. Pour autant, elle avait assez côtoyé le genre humain pour reconnaître certains signes. D'autant plus que la manifestation de l'impatience de l'agent Winchester n'était pas des plus discrètes. Elle pesta intérieurement contre son portable. Mais elle ne recevait pas ses ordres de mission officieux sur son biper. Un homme était venue la voir, quelques temps auparavant. Hum, combien? Elle ne saurait pas vraiment le dire, le temps s'échappant de son contrôle rationnel. Peut-être que cela se déclinait en années. Elle avait poussé la porte de son domicile, plongé dans l'obscurité. Elle avait déjà dégainé son arme avant même qu'il ne se soit levé de sa chaise. Pour autant, il était resté d'un calme olympien, se contentant de ricaner, en contre-jour, en fumant tranquillement son cigare, une main dans sa poche. "C'est donc vous, le lieutenant D'Arcy... Ils ne se sont pas trompés sur la qualité du personnage.", lui avait-il dit. Il lui avait expliqué la raison de sa présence, il avait conclu ce contrat avec elle, qui avait été reconductible, évidemment. Tuer des gens? Des mutants? Cela n'était pas vraiment un problème pour elle. Elle avait fait son service militaire en Irak, elle était insociable et la loi du Talion embaumait encore son coeur. Oeil pour oeil, dent pour dent... Jusqu'ici, cette soif de vengeance ne s'était pas apaisée. Rien ne semblait pouvoir la délivrer de ce feu intérieur qui brûlait dans son coeur. Ses fantômes qui, du Styx, la regardent. En tout cas, elle s'était retrouvée dotée d'un téléphone portable et d'une autre arme : elle ne pouvait bien évidemment pas se servir de son arme de service, qui nécessitait qu'elle remplisse à chaque fois qu'elle tirait une balle un rapport.

Du reste, l'incompréhension de l'agent Winchester venait visiblement de l'ignorance de la jeune femme quant à ce qui s'était passé dans le désert. Ah oui, maintenant qu'il précisait le contexte... C'était beaucoup plus clair. Elle avait pensé que d'autres attaques s'étaient déroulées autre part. C'est ce qu'elle craignait depuis qu'elle avait vent de certaines activités... Etranges des mutants. Bien sûr qu'elle en avait entendu parler. Liam devait donc la prendre pour la dernière des idiotes, de ne pas avoir été au courant d'un tel remue-ménage provoqué par les médias. Bien sûr, qu'elle savait. C'était même à cause de cette opération de désinformation qu'elle commençait à sentir que quelque chose de très mauvais se tramait. Quelque chose qui réveillait en elle certaines notions oubliées, qui appartenaient à son passé, et qu'elle avait soigneusement enfermés dans un recoin de sa mémoire. Se souvenir de ce qu'elle défendait auparavant, c'est revoir le sourire de sa mère, les repas à Thanksgiving, partagés dans une petite ville enneigée, près de Vancouver. C'est revoir les éclats de fierté dans le regard d'Elizabeth, se dire que malgré le fait qu'elle ait adopté la condition d'un soldat, elle était différente. Elle avait des vraies valeurs à défendre. Elle était comme une héroïne au grand coeur, qui se battait pour la justice. Tout cela était terminé. Son questionnement s'était endormi. Elle n'était plus qu'une mécanique bien huilée, qui exécutait ce qu'on lui demandait de faire. Parce qu'au final, c'était la seule chose qu'elle savait encore faire. Interpeller dans le meilleure des cas, faire disparaître dans d'autres...

Jaina n'avait pas vraiment envie de passer pour la guignol de service qui ne savait pas ce qui se passait au sein de l'Opération. Et elle avait bien l'impression que c'était plus ou moins trop tard, dans les paroles de l'agent Winchester. Il lui demanda presque froidement ce qu'elle devait bien faire à ce moment là pour être restée dans l'ignorance des faits.

Jaina : - Si, bien sûr, que je suis au courant. Je pensais que vous parliez de choses plus récentes. Et pour cause, j'ai l'occasion de mettre le nez dans certaines affaires. L'Opération adverse semble bien se configurer. Ils sont excités comme des puces. Evidemment, je n'ai pas de noms, juste quelques allusions. Les mutants ne sont pas des dégénérés. Et c'est bien ça qui me dérange un peu. Ils vont savoir s'organiser mieux que nous. Et là, on l'aura vite dans l'os. Trois ans que ça a commencé.

Elle marqua une pause. Elle avait eu quelques échos de Liam, et le savait bon militaire. Il avait beau se quereller de temps à autres avec les responsables de l'Opération, il n'empêche qu'il n'était probablement pas du genre à tout remettre en question. Comme elle aujourd'hui. Elle avait envie de se confier à quelqu'un. Mais ce quelqu'un ne serait certainement pas Liam.

Jaina : - Et pour l'instant, les missions que nous avons menées me semblent être des coups d'épées dans l'eau. Je veux dire... Rien de concret ni de cohérent en est ressorti.

C'était vrai. Les missions étaient dans la veine de l'Opération Apocalypto elle-même : désorganisée, on envoyait des équipes réduites, parfois de simples éclaireurs, on ne conjecturait pas les résultats, et la communication de ces derniers était quasiment nulle... Elle était belle, la dernière barrière contre les assauts des mutants...

Elle trempa ses lèvres dans son café, pensive.

Les paroles de son interlocutrice rassurèrent assez l'agent sur ce les questions qu'il commençait à se poser vis-à-vis d'elle. Liam avait été sérieusement étonné de l'entendre répliquer qu'elle n'avait pas idée de quoi il parlait en citant les évènements du désert, mais lorsque Jaina répondit, il constata avec soulagement que ce n'était qu'une mauvaise compréhension de part et d'autre, sans quoi l'inquiétude de l'agent Winchester aurait gravit un échelon. Déjà qu'il était sans cesse en train de se demander ce que les autres agents faisaient à part se tourner les pouces, s'il avait constaté que la seule agent qu'il semblait un tant soit peu estimer n'était pas au courant du coup d'éclat du siècle, il serait juste allé rendre le tablier. Enfin pas tant que cela mais l'idée y était dira-t-on. Alors que la jeune femme expliquait qu'elle était au courant mais qu'elle pensait qu'il parlait d'autre chose, l'interrogation de Liam retomba, il ne se demandait plus si Jaina s'était saoulée avant de sortir ce matin, manière aimable de se demander si elle était consciente de ce qui se passait autour d'elle. Heureusement qu'on ne lisait pas dans l'esprit des autres, c'était déjà ça, sans quoi la jeune femme aurait peut-être été agacée de constater qu'elle était passé du stade de « collègue capable » à « grosse incapable » en quelques mots, de toute manière elle venait de grimper au statut de « capable » donc il n'y avait pas mort d'homme. La demoiselle enchaîna en expliquant que l'autre Opération semblait avoir gagné en configuration et en efficacité, elle était aussi consciente que son vis-à-vis que les mutants n'étaient pas crétins et que c'était surtout ça le plus dangereux. En fait leurs avis se rejoignaient parfaitement sur ce point de la situation, et il ne pouvait que se sentir rassuré de constater qu'il n'y avait qu'une mauvaise entente sur la dernière question et non un fait réel. Liam hocha la tête alors que Jaina marqua une pause, il fit tomber la cendre de sa cigarette dans le cendrier, son attention détournée du visage de l'agent face à lui alors qu'elle reprenait la parole pour déclarer que les missions menées n'étaient que des fadaises et que rien de concret n'en ressortait. L'agent Winchester acheva de faire tomber sa cendre avant de reporter son regard d'ébène sur les yeux dissemblants de la jeune mère, et il hocha légèrement la tête tout en répondant d'un ton moins sévère que tout à l'heure.

« Il semblerait malheureusement, ce n'est pas un secret c'est certain. Nous nous sommes mal compris tout à l'heure donc, et vous m'en voyez rassuré. Il n'avait pas spécialement envie de découvrir que des collègues n'étaient pas au courant d'affaires importantes directement liées à l'Opération. Alors qu'il l'observait boire son café, sa voix s'éleva à nouveau, pendant qu'il réfléchissait toujours à la seconde réplique de son interlocutrice. De toute manière tout ce que l'on fait reste inutile du moment qu'on nous met des bâtons dans les roues, c'est inutile de se voiler la face, les chercheurs, les hauts placés, ils nous interdisent des tas de choses qui ne font que nous handicaper, c'est comme de donner un vélo à un gamin et de lui interdire de sortir pour l'essayer. »

La comparaison était peut-être surprenante mais c'était vraiment le cas, ils avaient les meilleurs armements possibles et pourtant l'interdiction de tuer les mutants, même les plus dangereux, et l'agent en avait déjà fait les frais par leur faute. Le souvenir de l'incident qui avait failli lui couter la vie lui revenait souvent en tête, si Dorian n'avait pas été là, il en serait fini de l'agent Winchester, et tout cela à cause d'un manque de pratique des équipements mis à la disposition de l'équipe spéciale. Quoi qu'il en soit, la dernière réplique de Jaina avait orienté les pensées de Liam sur ce sujet, et il ne pouvait qu'abonder dans sons sens, après tout il ne se privait pas de le dire clairement aux supérieurs de l'Opération, ce qui lui avait presque valu une mise à pied il n'y a pas si longtemps d'ailleurs, la censure en somme. L'agent porta sa cigarette à ses lèvres avant de finalement l'ôter à nouveau pour reprendre la parole à l'attention de son interlocutrice qui sirotait son café en silence.

« De toute manière agent D'Arcy, l'Opération n'est qu'un simulacre de solution, ils estiment tous qu'on pourra sauver le monde avec ce système alors qu'on a déjà du mal à garder enfermer les mutants que l'on tient prisonniers. Vous avez vu le nombre d'évadés des dernières années ? Sans compter que maintenant ils se fichent ouvertement de nous, sur une liste qui doit faire la longueur de mon bras, nous avons seulement capturé deux mutants, et encore, l'un d'entre eux c'était parce qu'il était presque public. »

L'agent Winchester pensait au dénommé Shawn Sciuto qui avait été arrêté alors qu'il travaillait au journal de la ville, sa photo passait sur les grandes ondes et on parlait de lui comme d'un terroriste à l'époque mais personne n'avait relevé le fait qu'il bossait sans être inquiété dans l'endroit le plus actif de la ville. C'était navrant, et ça montrait clairement les lacunes du système d'information de l'Opération. Les idées du militaire à ce sujet n'étaient pas secrètes, tout le monde ou presque savait qu'il pensait qu'Apocalypto devait être remanié ou que des personnes plus compétentes devaient être mises en place. Ce n'était pas des gros lards qui passaient leur journée assis derrière des bureaux et n'avaient même pas fait leur service militaire, qui pourraient comprendre ce qui se passait réellement sur le terrain, et même Dorian que Liam respectait beaucoup, se montrait trop doux avec les mutants. Bien heureusement Zahira était là pour relever le niveau, mais à elle seule, elle ne pouvait pas pour autant porter l'Opération à bout de bras, sans compter que son époux était le premier à mettre des bâtons dans les roues de l'équipe Bastet. Après un petit moment de silence, Liam reprit donc la parole, toujours sans avoir touché à son café.

« Je crains malheureusement que le seul moyen de faire avancer tout ça, c'est de s'amuser à faire des missions à coté si je puis dire, ou de prendre certaines libertés pendant le service. »

Ce n'était pas clairement dit mais elle devait comprendre, l'agent Bastet prenait lui-même souvent des libertés, comme lorsqu'il avait tué de sang froid un mutant sans vraiment de danger mais qui avait osé essayer de tirer une balle dans sa direction. Liam n'était pas patient avec la vermine, il écrasait les mutants qui se montraient hostiles, que ce soit des gosses, des femmes ou des adultes, aucune différence, ils étaient tous pareils. Liam n'avait encore jamais tué d'enfant jusqu'à ce jour, mais c'était uniquement parce qu'il avait toujours réussi à les maitriser autrement, seulement si le besoin se faisait sentir un jour, il n'hésiterait pas parce que ce n'était encore qu'un mioche, au contraire, il ne se laissait pas apitoyer facilement. Pas du tout même. Après un bref instant de silence, l'agent Winchester attrapa son café pour finalement en boire une gorgée et constater que même la seconde fois, c'était toujours aussi répugnant, mais il avait l'habitude à force. Reposant sa tasse, il reprit donc.

« Autant dire les choses comme elles sont, à l'allure où ça va d'ici quelques années nous serons complètement submergé, je ne crois pas à ces conneries de pouvoirs les soigner, pour moi ils ne sont pas humains et pas curables, ils ne méritent rien de plus que de finir dans un cercueil et nous laisser en paix. Mes propos vont peut-être vous paraître extrémistes, mais à défaut des gens qui prétendent le contraire, lorsque je mets les miens en pratique, ils sont efficaces. »

L'agent retomba dans le silence, il ignorait encore exactement l'opinion de l'agent face à lui sur le sujet, mais ce n'était pas pour autant qu'il allait s'amuser à garder le silence sur ce qu'il pensait, au moins comme ça Jaina saurait à quoi s'attendre, et elle pourrait dévier le sujet si elle n'était pas de son avis. Liam savait que ce qu'il pensait était juste, et quel meilleur moyen pour convertir les autres à ses idées que de se montrer confiant au possible ? Aucun, ou du moins il ne le connaissait pas.