[ 10h22, Aujourd’hui, Hôtel Neria, Achaea. ]

Jared monta quatre à quatre les marches de l’escalier, veillant néanmoins à faire le moins de bruit possible. Au deuxième étage, il jeta un œil à l’affiche annonçant les chambres. 204 à droite. Il s’arrêta devant la bonne porte, une faible musique, peut-être la télévision ou la radio, lui parvenait aux oreilles, mais il n’aurait su dire si cela venait précisément de cette chambre-ci. De toute façon, cela ne l’intéressait nullement. L’homme qui le cherchait était là, derrière cette porte, et rien d’autre ne comptait désormais. Entrer, l’immobiliser puis le questionner. Voilà ce qu’il voulait faire. Et tenter de ne pas le tuer dans la tentative, surtout. Il avait plusieurs questions à poser à ce Sieg un peu trop curieux à son goût.

Jared fit bouger les doigts de sa main gauche, celle où il lui manquait les deux derniers, et créa un champ de force de la taille d’une bille minuscule, qu’il fit entrer par le trou de la serrure. Il le fit ensuite grandir, rapidement, et la serrure éclata dans un petit craquement sourd. Nouveau mouvement des doigts, et il reformait son Armure Souple autour de lui. Un élan, un coup de pied, et la porte s’ouvrait à la volée…

Retournons un peu en arrière voulez-vous ? Histoire de bien vous expliquer comment Jared en est arrivé là…

[ 20h22, 30 Novembre 2020,centre-ville d’Achaea. Quatorze heures plus tôt... ]

Quelqu’un le cherchait ! Ou plutôt, quelqu’un cherchait – et avait réussi ! - à obtenir des informations sur lui, ce qui, dans son cas et dans son esprit, revenait au même. Dans tous les cas, un type – mutant ou humain – lui cherchait des noises. Et Jared détestait cela. Généralement, c’était lui qui enquêtait sur des types et qui les cherchait, et non l’inverse. L’idée même qu’il soit la proie de quelqu’un le mettait à la fois mal à l’aise et en rogne. *Comment ce petit merdeux peut-il oser faire ça ?* se demanda-t-il mentalement pour la vingtième fois en moins d’une heure. Comment avait-il appris cela ?

Comme chaque semaine, il avait appelé plusieurs de ses nombreux contacts à Achaea et ailleurs. C’était l’un d’eux qui l’avait mis en alerte. Un type du gouvernement, genre intello grassouillet probablement, grassement payé par l’argent de Chow, et qui l’informait de tout nouveau développement concernant les avis de recherche des mutants. Hors, ce contact avait remarqué que moins de vingt-quatre heures auparavant, le dossier de Jared avait été imprimée une fois, sur l’imprimante d’un certain Docteur Henry Miller à la mairie d’Achaea. Une alerte avait été lancée, car c’était un intrus et non le Docteur Miller qui avait consulté son dossier. C’était ça qui l’avait mis en alerte.

Apparemment, l’intrus n’avait pas été arrêté et avait réussi à s’enfuir avec les informations d’une manière quelconque. Oh, Jared n’était pas inquiété par les informations à proprement parler ; il savait que son avis de recherche ne contenait que peut de choses – son nom, son pouvoir, quelques délits commis au fil du temps (quelques meurtres, l’utilisation de son don dans des lieux publics, gène mutant actif…), ainsi qu’une vieille photographie de lui, qui était tirée, s’il se rappelait bien, d’un vieux passeport - mais c’était l’idée que quelqu’un s’intéresse à lui qui l’énervait. Et ce simple appel l’avait lancé dans la traque du curieux inconnu.

Premier pas ? Trouver ce fameux Doc Miller et voir ce qu’il pouvait bien savoir. Après tout, c’était bien à partir de son ordinateur qu’avait été imprimée sa fiche, non ? Jared resta où il était, à savoir en plein centre ville d’Achaea. Debout près d’une série de téléphones publics fixés à un mur, il prit le botin téléphonique de la ville et se mit à le feuilleter. Il arriva après un moment à la lettre M. *Miller… Miller… Ah ! Voilà…* Jared jura à voix haute, ce qui fit sursauter la femme qui téléphonait près de lui. Elle lui fit des gros yeux mais Jared l’ignora, concentré sur le botin. Treize Miller, mais aucun Henry ou H. Miller… Ça commençait mal. Haussant ses larges épaules, Jared décrocha le téléphone et glissa quelques pièces dans la machine. Le signal s’activa et il composa le numéro 411. Un moment plus tard, Jared se retrouvait en grande conversation téléphonique avec une machine…

- Énoncez le nom de la personne que vous recherchez.
- Docteur Henry Miller, dit-il rapidement.
- Il n’y a pas de numéro à ce nom dans nos banques de données. Veuillez réessayer de nouveau.
- Henry Miller.
- Il n’y a pas de numéro à ce nom dans nos banques de données. Veuillez réessayer de nouveau.
- Hen-ry Mil-ler ! répéta-t-il lentement, commençant déjà à s’énerver.
- Il n’y a pas de numéro à ce nom dans nos banques de données. Veuillez réessayer de nouveau.
- Putain de machine stupide ! C’est pas compliqué ! Docteur Henry Miller !

La femme près de lui sursauta à nouveau, raccrocha puis s’éloigna. Jared n’eut même pas besoin de regarder son visage pour savoir qu’elle croyait avoir affaire à un fou furieux, pour s’engueuler et crier ainsi après un téléphone. Sauf qu’elle n’avait jamais eu affaire à Jared. Bien que puissant mutant et membre respecté et craint des hostiles, il ne disposait d’aucun talent avec tout ce qui touchait à l’électronique… C’était bien une des rares choses que Chow, son mentor, avait oubliée de lui apprendre. À son grand dam, d’ailleurs !

- Il n’y a pas de numéro à ce nom dans nos banques de données. Veuillez réessayer de nouveau. Si vous désirez parlez à un de nos employés, appuyez sur le deux.

Bip ! fit la machine lorsque Jared appuya sur le bouton. Il patienta près de dix minutes au téléphone, écoutant une musique d’ascenseur à se suicider. Il dut insérer d’autres pièces au bout d’un moment et il prit le temps de se griller une cigarette. Enfin, une voix féminine à l’autre bout du fil lui parla.

- Ici Wendy. Que puis-je faire pour vous aider ?
- Enfin ! Docteur Henry Miller, s’il-vous plaît. J’ai cherché son numéro dans le botin, mais il n’est pas là.
- Un instant, Monsieur.

Jared jura à nouveau et dut – encore – patienter quelques minutes, avant que la femme ne lui reparle.

- C’est bien le Docteur Henry Miller, travaillant à la mairie d’Achaea et psychologue que vous recherchez, Monsieur ?
- Oui ! Est-ce que je peux avoir son numéro ?
- J’allais vous le donner.

La fille lui fila le numéro et Jared raccrocha sans la remercier. Voir si après tout ce temps à poireauter, il allait en plus la remercier ! Elle pouvait bien s’étouffer avant ! Il composa aussitôt le numéro et attendit. Très peu de temps cette fois. Une femme répondit :

- Ici le bureau du Docteur Miller, que puis-je faire pour vous ?
- Le Docteur Miller n’est pas là ?
- Heu… Le Docteur Miller est en réunion jusqu’à vingt et une heure, Monsieur. Qui parle ?
- John Soll, fit Jared, énonçant le premier nom qui lui vint en tête. Henry et moi avons faits nos études ensemble et je suis de passage à Achaea. J’espérais pouvoir le revoir avant de m’envoler pour Philadelphie…
- Comme je vous l’ai dit, Monsieur Soll, le Docteur Miller est en réunion. Voulez-vous que je lui dise que vous avez appelé ?
- Dites-lui que je veux le rencontrer ; c'est important. Je loge à l’hôtel Mirande, sur la rue principale. Je pars demain matin et c’est extrèmement important que je le voie avant. Dites-lui de demander John Soll – c’est moi – à la réception et je descendrais pour le voir. A-t-il déjà mangé ?
- Pardon, Monsieur ?
- A-t-il déjà mangé ? S’il n’a pas mangé, je vais réserver une table à l’hôtel et nous pourrons discuter tout en mangeant.
- Hum… Non, je ne crois pas que le Docteur ait déjà mangé. Voulez-vous que je l’avertisse immédiatement ?
- Non, ce ne sera pas nécessaire. Laissez-le terminer sa réunion et dites-le lui ensuite. Vous lui ferez le message, n’est-ce pas ?
- Bien entendu, Monsieur. Est-ce tout ?
- Oui, merci. Passez une bonne fin de soirée.

Jared raccrocha, heureux de sa prestation. Cela faisait longtemps qu’il ne s’était pas fait passer pour quelqu’un d’autre, que ce soit au téléphone ou ailleurs. Il pensait s’être assez bien débrouillé pour éveiller l’intérêt du fameux Docteur. Son regard se porta sur l’hôtel Mirande, à moins de cent mètres de l’endroit où il se trouvait. Il alluma une nouvelle cigarette et s’y rendit.

[ 21h38, 30 Novembre 2020, Hôtel Mirande, Achaea. ]

Le Docteur prit plus de temps que Jared ne l’avait prévu pour arriver, mais il arriva néanmoins. Le mutant s’était posté dans un coin du hall d’entrée, près du comptoir de réception, où un employé Noir lui avait demandé s’il voulait une chambre. Jared s’était contenté de lui dire qu’il attendait quelqu’un et l’homme l’avait laissé tranquille. Enfin, une voix demanda à voir Monsieur Soll. Jared observa le Docteur Miller ; la cinquantaine, des cheveux grisonnants, des lunettes à montures noires. L’homme était habillé d’un complet simple, mais qui devait néanmoins valoir une petite fortune. Aux yeux de l’hostile, il semblait tout à fait médiocre et inintéressant, hormis le petit air supérieur qu’il se donnait. L’employé pianota sur son clavier, cherchant dans les clients de l’autel le pseudonyme que Jared avait donné. Le mutant s’avança à ce moment, venant se placer directement face au Docteur. Il lui souffla à l’oreille :

- Vous me suivez, sans faire de connerie. Sinon, vous êtes mort.

Un léger couinement de peur, à peine audible, sortit des lèvres du Docteur, qui devait très certainement reconnaître en Jared le numéro deux des Hostiles. Jared leva une main en l’air, paume ouverte, signalant au Noir du comptoir que tout était OK. Son apparition avait de quoi faire taire et paniquer à peu près tous les anti-mutants de la ville ! Il ne perdit pas de temps ; il prit le Docteur par les épaules, comme s’ils étaient deux vieux amis, et l’entraîna rapidement vers la sortie. Quelques mètres plus loin, Jared s’engouffra dans une ruelle plus tranquille, poussant devant lui le Docteur terrifié. Il le fit tomber au sol d’un bourrade dans le dos et se posta au-dessus de lui, le dominant. Un sourire carnassier apparut sur son visage :

- Bonjour, Docteur Miller. Vous savez qui je suis, n’est-ce pas ? Oui, bien sûr que vous savez. Je veux une information en votre possession. Ou plus exactement : une photographie tirée d’un échantillon vidéo, Docteur. Si vous me donnez cela – et je sais que vous pouvez le faire – vous aurez la vie sauve. Vous savez de quel image je parle. Dans le cas contraire, vous mourrez dans des souffrances que vous ne pouvez même pas imaginer avec votre esprit de psychologue. Votre choix ?

Le choix fut vite faire. Le Docteur lui expliqua d’une voix totalement terrorisée qu’il savait effectivement de quelle image il parlait : l’image du visage de l’homme qui était entré dans son bureau et – ô surprise ! – de celle de l’inconnu qui en était ressorti. Une personne entre et une autre sort ? Ça sentait le mutant métamorphe, ça ! Intéressant, vraiment ! Le Docteur lui expliqua que la mairie disposait maintenant de plusieurs caméras vidéos filmant en permanence les lieux, surtout à cause des gens comme Jared, les mutants donc. Le gouvernement craignait des infiltrations et il avait bien raison ! De fait, cet homme, si c’en était bien un, cet inconnu ayant subtilisé le dossier de Jared, était facilement entré. Peut-être la sortie avait-elle été plus difficile ? Le Docteur ne le savait pas.

Il expliqua à Jared – bien malgré lui, on s’entend – où se trouvaient les images, et comme elles étaient dans son ordinateur portable qui lui se trouvait dans sa voiture, qui elle était garée dans le stationnement visiteurs de l’hôtel, Jared se débarassa du Doc Miller d’une balle-champ de force dans la tête. Fin de parcours, caché sous des ordures dans une ruelle. Minable, n’est-ce pas ?

Jared récupéra les clés dans la poche de pantalon de Miller avant de le cacher sommairement, puis il se mit en quête de sa voiture. Celle-ci s’avéra être une Bentley Continental, voiture luxueuse de couleur verte forêt. Jared siffla d’admiration avant de s’intaller du côté conducteur. Oulà ! Voilà autre chose qu’il n’avait pas fait depuis longtemps : conduire une voiture. Fort différent de sa vieille moto ! Il enclencha la marche arrière, puis l’avant et se glissa dans la circulation, fluide à cette heure. Il se dirigea vers la sortie de la ville, et pris l’autoroute qui le mènerais au Powerhaus. Il avait besoin de l’aide d’un informaticien pour extirper les images qu’il lui fallait. Et le plus proche qu’il connaissait n’était autre que Walter Bosk !

[ 22h58, 30 Novembre 2020, Powerhaus, Hors d’Achaea. ]

Comme d’habitude, les Bosk l’accueillirent chaleureusement, bien que surpris par son arrivée tardive en ce lundi soir. Hormis Walter et Flavia, Damien et Jackson étaient également là. Jared accepta un whysky de la part de Flavia, puis il s’installa à une table où il expliqua la situation à Walter, en excluant les détails croustillants, tel le fait qu’il venait de tuer un homme. C’était le genre de choses que les habitants du Powerhaus n’aimaient pas.

Walter brancha le portable, l’alluma, puis grogna en voyant qu’il était protégé par plusieurs mots de passe. Il assura à Jared que ce n’était qu’un contretemps mineur et se mit au travail. Il lui fallut exactement dix-sept minutes et trente-quatre secondes pour briser le codage et entrer sur l’interface bureau de l’ordinateur. Ensuite, il dénicha en quelques minutes le dossier en question, intitulé INTRUS INCONNU : NAR’SOLL. À l’intérieur, deux fichiers vidéos. Walter les fit jouer. L’image était en noir et blanc, avec un grain épais. Pas de mouvements saccadés.

Sur la première, on voyait un agent de police, nommé Courtney, d’après son badge, déambuler dans le couloir et entrer dans un bureau où on voyait clairement affiché le nom Dr. Miller. L’homme était dans la cinquantaine, trapu et bedonnant, les rares cheveux qu’il lui restaient paraissant gras, même avec un si piètre qualité vidéo. Pourtant, les détails importants ressortaient.

La seconde vidéo, prise du même angle, montrait le même bureau, et selon l’heure affichée en bas de l’écran, seulement quelques minutes avaient passées depuis l’entrée du garde Courtney. Pourtant, l’homme qui ressortit était loin d’avoir la même apparence : jeune, athlétique, la vingtaine, plus séduisant et de loin !

Durant le laps de temps écoulé, personne d’autre n’était entré ou sorti du bureau. Conclusion : Jared avait affaire à un mutant doté d’un pouvoir de métamorphose ou peut-être d’illusion. Quelque chose dans ce goût-là, entout cas. Il demanda à Walter de lui imprimer les deux images : le visage du garde Courtney et celui du jeune homme. Son ami débrancha l’ordinateur et le monta au deuxième, disant que ce ne serait pas long.

De fait, il fut de retour moins de cinq minutes plus tard, les deux clichés dans une main et l’ordinateur sous le bras. Bien qu’un peu pixellés, les deux visages étaient aisément reconnaissables. Jared remercia Walter pour son aide et lui donna le portable en cadeau. Il termina son… Combien, donc ? Six ou septième verre de whysky, puis souhaita une bonne nuit à tous avant de sortir du Powerhaus. Comme à son habitude, il quittait le bar l’esprit plus embrumé, mais encore assez clair pour fonctionner. Il avait un boulot à faire, après tout. Il jeta un coup d’œil à sa montre et remarqua qu’il était resté – une fois n’est pas coutume – beaucoup plus longtemps que nécessaire. Il remonta dans la Bentley et repris la route, cette fois en direction de la mairie.

[ 01h28, 1er Décembre 2020, Mairie d’Achaea. ]

Jared était garé en face de la pseudo mairie, le siège social du gouvernement. En réalité, c’était simplement un endroit où ceux qui avaient réellement le pouvoir, ou croyaient l’obtenir, travaillaient, ni plus, ni moins. C’était aussi là que se trouvaient certaines bases de registre informatisées, notamment celle contenant les fiches des mutants recensés, dont la sienne. Il se doutait bien que le garde nommé Coutrnez ne travaillait probablement pas cette nuit, mais peut-être la chance serait-elle avec lui ?

Quoi qu’il en soit, il devait y aller. Il sortit de la Bentley, empocha les clés au passage et sans cacher moindrement son visage, il se dirigea vers l’entrée. Il bougea la main, créant autour de lui son Armure Souple. Mieux valait être prudent. Jared avait conscience d’être presque assurément filmé, mais il n’en avait cure. Son visage était déjà connu, de toute façon, alors pourquoi s’en faire ? Il frappa aux portes vitrées, le bâtiment étant fermé pour la nuit. Il frappa de nouveau. Et allait frapper encore quand un garde pointa enfin le bout de son nez, sa torche pointée sur le visage de Jared et la main sur la crosse de son revolver. Inquiet, le gars ? Il baissa sa lumière et agita la main, faisant signe au mutant de partir. Jared sortit l’image représentant le garde et la posa à plat sur la vitre. L’homme l’observa un moment et finit par hausser les épaules, l’air de dire « ouais, et alors ? » Jared agita la feuille, commençant à perdre patience. Cet imbécile heureux allait-il un jour lui ouvrir ? Enfin, après que le garde eut parlé dans son talkie-walkie, il prit le passe qui pendait à sa ceinture et ouvrit la porte. Aussitôt, Jared leva la main et la tête de l’homme fut englobée dans un champ de force, que Jared fit rapatisser. Soudain privé d’oxygène, l’homme recula en tentant de sortir son arme, mais Jared s’avança rapidement vers lui et lui immobilisa les mains d’une poigne de fer, un sourire farouche se dessinant sur son visage.

- Tu veux vivre ? dit-il simplement.

Le garde, la trentaine environ - peut-être père de famille, qui sait ? – hocha la tête à plusieurs reprises, comprenant vite qu’il ne pouvait avoir le dessus sur un mutant du calibre de Jared. Il avait commencé à râler, cherchant son air. Jared lui enleva son arme, qu’il jeta dans le couloir à sa droite et fit bouger son champ de force jusqu’à la bouche de l’homme. Le champ de force s’y insinua et gongfa, l’empêchant de parler ou de crier. Jared en créa un second, avec lequel il bloqua les mains de l’homme, à la manière de menottes, puis il le poussa vers l’intérieur du bâtiment. Jared avait un but en tête : trouver le registre des employés et l’addresse du policier, histoire de savoir comment l’inconnu avait bien pu faire pour voler l’apparence du policier. Ça, il devait le savoir s’il voulait affronter directement l’autre mutant. De nuit, le lieu paraissait étrangement vide. Le jour, les salles devaient être emplies d’anti-mutants… Comme il aurait aimé…

Ah, merde ! Jared se rappela soudain qu’il devait normalement être chez Sèverine, son amie et surtout amante, depuis près d’une heure et demi. Il avisa un bureau de réceptionniste proche et s’empara du téléphone, som autre main serrée la ceinture du garde pour l’empêcher de fuir. Tenant le combiné entre son épaule et sa joue, il composa le numéro phantôme que lui avait donné Walter – numéro qui empêchait qu’on retrace le numéro de téléphone qu’on composait après celui-ci – puis composa celui de Sèverine. Le gardien tremblait de tous ses membres, n’étant probablement pas habitué à être maîtrisé ainsi. Au bout de la quatrième sonnerie, Sèverine répondit :

- Sèv’ ?
- Jared ! T’es passé où, bon sang ? J’ai Walter qui a appelé six fois depuis les vingt dernières minutes… Il m’a dit de te dire ça : ‘’C’est par le contact que ça se fait.’’ Il a dit que tu comprendrais.
- Ok, ma belle, message reçu. Tu le remercieras de ma part s’il rappelle. Je dois te laisser, j’ai à faire.
- Il se passe quoi, Jared ?
- Je t’explique plus tard. Bye.

Jared raccrocha, haussa les épaules devant l’air terrifié mais interrogatif de l’homme, puis le laissa planté là. Il ressortit de la mairie, sachant ce qu’il voulait savoir. Il fit disparaître ses champs de force en s’asseyant dans la bentley et démarra.

[ 01h49, 1er Décembre 2020, Achaea. ]

La suite ? Direction téléphone pour appeler un autre contact, fort discret celui-ci. Jared lui-même ne l’avait jamais vu, ni à distance, ni en personne. Ce qu’il savait ? L’homme était un mutant, c’était quasiment certain. Sinon, c’était un génie informatique encore plus doué que Walter. En réalité si c’était juste ça, Walter serait l’équivalent d’une fourmi face à Hulk… Bon, il coûtait cher l’info, mais il en valait sacrément la peine ! C’était un de ses meilleurs contacts, surnommé Wizard. Il savait que c’était apparemment une légende sur le net. LE hacher du Net.

Pour le contacter, Jared devait composer un numéro et l’autre le contactait ensuite peu importe l’endroit où il se trouvait. Le regard de l’hostile tomba sur le cellulaire branché à l’allume-feu de la bentley et il faillit se planter dans le décor en tendant le bras pour le prendre. Chargé à bloc. Parfait. Il l’ouvrit et composa le numéro du pirate informatique. Celui-ci décrocha presque aussitôt.

- Que puis-je pour toi, J ?
- Comme d’habitude, Wizard. Tu me trouves la liste des appels téléphoniques, SMS et autres passé hier à la mairie d’Achaea et autour, entre 7h00 et 10h00 AM. Tout, tu m’entends ? Tu me fais ton tour de magie et tu me déniches tout ce qui sors un tant soit peu de l’ordinaire. Tarif triple sur ce coup-là, mon vieux. Tu oublies tout tes autres jobs et tu te focalises sur celui-ci. Et si tu me fais ça avant huit heures ce matin, je double le tarif triplé.
- Pas de blague, J ?
- Aucune. Rappelle-moi.

Wizard avait déjà raccroché. Jared étant trop énervé par la chasse pour s’arrêter quelque part et ne rien faire, il quitta le centre-ville et s’engouffra sur l’autoroute. Parfait pour rouler vite et réfléchir sans se faire déranger. Il roula comme ça un bon moment, deux heures peut-être, puis il fit demi-tour et revint vers Achaea.

[ 06h19, 1er Décembre 2020, Achaea. ]

L’appel qu’il attendait arriva. Jared décrocha, tremblant presque d’excitement.

- Alors, Wizard ?
- Je crois que j’ai ce qui t’intéresse, J. Et tu sais quoi ? Ça m’intéresse aussi, ton truc… Je te fait écouter.

Jared tendit l’oreille, attentif au moindre détail sonore. Il entendit alors la conversation entre un dénommé Alexei et un autre type nommé Sieg. Tout deux avaient l’air de vieux amis, vu la façon dont ils se parlaient. Apparemment, celui nommé Sieg semble capable de disparaître assez facilement de la circulation et son métier consistait à retrouver les gens. Le visage de Jared se fendit d’un large sourire : il avait trouvé sa proie ! La suite l’intéressa grandement et confirma sa conviction : c’était bel et bien le dénommé Sieg qui avait imprimé sa fiche et qui s’intéressait à lui. Wizard reprit la parole ensuite :

- Le plus intéressant là-dedans, J ? La conversation était crypté comme c’est pas possible, mais tu me connais ; rien ne me résiste, et j’ai réussi à passer. La manière dont c’est fait m’a rappelé un type, un hacker comme moi, avec qui j’ai travaillé voilà quelques années. Un Russe, si je me rappelle bien. Le dénommé Alexei, je crois que c’est lui. Un vrai génie, ce mec, J, crois-moi sur parole. Presque aussi doué que moi ! Presque !
- Intéressant, Wizard. La suite ?
- Oui, désolé, je m’égare. Le deuxième appel a eu lieu un peu plus tard, mais cette fois dans la mairie. Écoute.

Seconde écoute, qui certifia à cent pour cent qu’il s’agissait du mystérieux curieux qui s’intéressait un peu trop à lui. Le hacker nommé Alexei avait ouvert un accès sur l’ordinateur du Docteur Miller – apparemment, son pc était moins bien protégé que son portable – puis il avertissait le dénommé Sieg qu’il devait dégager de là. Grillé… Jared se douta que la sortie du mutant nommé Sieg avait due être difficile, mais qu’il s’en était sorti. Pas assez discret, cependant. Et la discrétion, c’était indispensable dans leur domaine. En manquer, c’était bien souvent mourir…

- Wizard ?
- Oui, J ?
- C’est bien, mon gars. Trouve-moi où est ce petit salopard.
- Je suis déjà au travail. Je te recontacte.

Jared s’extirpa du véhicule, qu’il avait garé en hauteur, dans les collines surplombant Achaea. D’ici, il avait une belle vue sur la cité. Là, en bas, quelque part, Sieg se cachait. *Plus pour longtemps*, songea Jared avec une certaine joie.

[ 09h33, 1er Décembre 2020, Achaea. ]

- J ?
- Où il est ?
- Hôtel Neria, deuxième étage. Je n’ai pas sa chambre, cet endroit n’a même pas internet, figure-toi. Tu sais où c’est ?
- Ouais, t’inquiète. Merci, Wizard. Pour le paiement, tu fais comme d’habitude.
- Ok. À la prochaine, J.

Jared raccrocha sans répondre, mais il savait que Wizard ne lui en voudrait pas. Le mutant hostile rapportait trop d’argent au hacker pour qu’il lui en veuille pour une broutille. L’esprit de Jared se focalisa sur sa cible. Sieg. Il jeta un œil sur l’image, enregistrant le moindre trait du visage. *Toi et moi, en face à face bientôt, mon ami.* Jared remonta dans la voiture et démarra au quart de tour. La chasse était ouverte !

[ 10h12, Aujourd’hui, Hôtel Neria, Achaea. ]

Neria : hôtel simple, aux chambres peu chères. Tout à fait le genre de planque adéquate pour ce genre de personnage. Dans le hall, un comptoir avec un grand type mince derrière. À gauche, l’escalier. À droite, l’ascenseur. C’était tout. Jared demanda poliment à l’employé s’il pouvait voir le registre, mais ce dernier n’était vraiment pas d’accord. S’ensuivit une altercation verbale que je ne relaterais pas ici, mais qui se termina par une bousculade. L’employé traversa du côté de Jared et le poussa, espérant le faire tomber, ou le dissuader de le harceler ainsi. Mais… il ne savait vraiment pas à qui il avait affaire.

Là, ça y était, le type venait d’énerver Jared. Jusque-là, ça allait, c’était de bonne guerre. Même lui refuser le nom du type du deuxième étage, ça passait. Mais le pousser ainsi, c’était la goutte, le petit geste méprisant qu’il n’avalait pas. Jared ne dit rien. Il prit son paquet de cigarette tout cabossé, toujours sur le comptoir où il l’avait déposé, en sortit une cigarette à peu près fumable et l’alluma. Puis il tira une longue bouffée et fit un pas vers le type. L’homme regarda Jared de haut, pensant certainement qu’il avait quelque chose à dire. Nécessairement. Allez savoir pourquoi. Il ne craignait absolument rien, ce mec. Ça arrivait, parfois, un type comme ça. Il était curieux, souriait, attendant de voir ce que Jared allait dire. Il devait s’imaginer que sa démonstration de force ratée inspirait le respect au Second des Hostiles, ou un truc du genre.

Alors sans le moindre avertissement, de toutes ses forces et avec une élégance technique sans faille, Jared fit un bond puissant vers le haut, lui envoyant le haut de son crâne sur la mâchoire. Le mouvement fut vif. Du grand art. Un bruit singulier, un son de dents qui s’entrechoquent les unes contre les autres. Des dents et du sang s’envolèrent autour du mutant et de l’employé de l’hôtel. Le type fit un pas à reculons, se cognant contre son comptoir, un de côté, ses bras volettant autour de lui et il tenta vainement de s’accrocher. Puis il s’effondra comme un menhir, les yeux dans le vague et quelques dents en moins. Paf, that’s it man : end of story !

- Quand je te dis de me donner quelque chose, tu me le donnes sans discuter.

Son Armure Souple ayant absorbé le choc, Jared Nar’Soll, bras droit de Chow Watanabe, Second des Mutants Hostiles, se pencha alors au-dessus du corps de l’homme et prit le carnet sur le comptoir, celui contenant le nom des clients. Il le feuilleta un moment, le temps de trouver ce qu’il cherchait, et s’arrêta finalement sur un nom. C. Adams. Son intuition lui souffla que c’était la bonne chambre et il espérait ne pas se tromper. Jared souffla une bouffée de cigarette vers le plafond. Chambre 204.

Il écrasa sa cigarette au centre du carnet et y laissa le mégot. Il donna un coup de pied à l’employé toujours dans les vapes pour faire bonne mesure, puis se dirigea vers l’escalier. Fini les distractions. Le vrai travail commençait à cet instant même.

[ 10h23, Maintenant, Chambre 204, Hôtel Neria, Achaea. ]

Jared fit irruption dans la chambre, son regard la parcourant rapidement. Il sentit que quelque chose s’appuyait contre sa nuque, sur son bouclier. Une arme à feu, très certainement.

- Tu ne bouges pas.

La voix était dure, sûre d’elle et de ses capacités. *Trop sûr de lui, le petit Sieg !* se dit Jared avant de passer à l’action. Il réussit presque à se retourner entièrement vers l’autre mutant avant que celui-ci ne réagisse, lui tirant une balle vers sa joue gauche. L’impact fit à peine broncher Jared, tandis que la balle rebondissait violemment contre sa barrière pour s’écraser ensuite dans le mur, près de la tête de Sieg. Un geste de la main. Un champ de force créé, un mur simplement, qui vola vers Sieg et le percuta, l’envoyant bouler à côté du lit avec force. Les réflexes du jeune homme étaient excellent : il se reçut d’un roulé-boulé et tira presque aussitôt dans sa direction. Deux nouveaux impacts vinrent s’écraser contre son bouclier. Inutile tentative !

Jared fit un nouveau geste de la main et Sieg fut frappé de nouveau. Apparemment, il ne pouvait voir les champs de force. Fort rares étaient ceux qui les avaient réellement vus, bien que beaucoup les aient sentis. Le jeune homme fut propulsé contre le mur, sa tête s’écrasant avec un bruit mat, et il lâcha son arme. Pourtant, il se remit debout une nouvelle fois, ce qui amena un sourire de satisfaction sur le visage du Second des Hostiles. Coriace ! Mais Jared avait assez joué pour le moment. Il fit apparaître sa main-champ de force et agrippa l’homme, mimant le geste avec sa main droite. Il serra juste un peu plus qu’il n’aurait fallu, histoire de bien lui faire voir qu’il ne faisait pas le poids. Puis Jared tira à lui l’unique chaise de la pièce et s’y assit, s’appuyant sur le dossier.

- Alors, Sieg. Il paraît que tu me cherches ? J’ai perdu ma nuit à te courir après, petit, ce qui m’a mis en rogne… Tu as deux minutes pour me dire ou me montrer quelque chose qui m’intéresse, sans quoi tu es mort. À toi, gamin…

Le regard clair de Jared se fixa dans celui du jeune homme qui lui faisait face, emprisonné dans sa main comme une mouche dans une toile. Regard inquisiteur, glacial, presque aussi mort que les billes qui servent de yeux aux requins. Sa bouche s’étira sur un sourire de prédateur. Sentiment de puissance qui traversa le Second des Hostiles comme une décharge électrique. La traque et le combat. Cela lui plaisait. Trop, parfois…

C’était bien le même homme que sur la photo que Jared avait devant lui. Jeune, apparemment assez en forme, le jeune homme était prisonnier dans sa main-champ de force et ne se débattait pas. Il savait qu’il n’y pouvait rien. L’homme le dévisagea un moment, la crainte inscrite sur son visage puis il sembla le reconnaître, mais sa réaction ne fut pas celle qu’attendait l’hostile. D’ordinaire, ceux qu’il pourchassait affichaient un air terrfié lorsqu’il les retrouvait, car ils savaient que lorsque Jared Nar’Soll, Second des Hostiles, apparaissait devant eux, ce n’était jamais de bon augure. Mais pas celui-là. Celui-là affichait un air… presque réjoui, comme s’il était quasiment content de le voir devant lui. Étrange. L’homme semblait plus assuré aussi, bien que prisonnier et en mauvaise posture et il lui répondit rapidement d’une voix claire :

- "Je crois que je vous ai trouvé, Mr Nar'Soll"

L’ironie de la chose n’échappa à Jared, qui ne put s’empêcher de sourire en retour. Amusant, ce petit ! Son ton de voix était tel qu’il donnait l’illusion du contrôle, bien que ce soit lui qui soit en mauvaise posture. Il avait une voix banale, typiquement américaine, et semblait sûr de lui, comme s’il n’avait rien à craindre, comme si le fait d’être emprisonné ainis n’était pas un ennui. Jared retint son envie soudaine de l’écraser un peu plus dans sa main-champ de force, mais l’homme enchaîna dans ses paroles avant que l’hostile n’ait agit. Il se disait désolé qu’il ait eu à lui courir après, disant qu’un simple mot laissé à son attention lui aurait permis de le retrouver. Cela ne plut pas à Jared, qui n’aimait pas que les gens le retrace rapidement. Qui était ce blanc-bec et de quoi était-il capable ? Que voulait-il réellement ? se demanda-t-il après que le jeune homme lui ait dit qu’il ne le cherchait pas pour le traquer, comme Jared l’avait cru en se lançant en chasse. * Que veut-il ? * Le jeune homme parla de nouveau, sa voix ayant soudain un accent russe, parfait, lui disant de le laisser s’introduire.

La suite fut particulièrement intéressante et Jared ne put détacher son regard de l’autre. Ce qu’il était devint clair dans son esprit : un métamorphe. Et un particulièrement doué, en plus, vu la vitesse de sa transformation. Il changea de visage, ses traits devenant plus froids, ses cheveux devenant blonds. Ses yeux verts se décolorèrent pour prendre une teinte gris-clair quasiment vitreuse, et prenant du même coup une expression plus dure. Son corps aussi changea de proportion et Jared réajusta instinctivement sa prise sur le mutant. Le jeune homme qui lui faisait maintenant face ne ressemblait plus du tout à l’autre, celui de la photo, même s’il était d’assez semblable corpulence. Le processus de transformation parut ralentir – c’était effectivement le cas – et quelques menus détails furent modifiés – son nez, ses oreilles… - et la véritable – l’était-ce vraiment ? – apparence de Sieg fut dévoilée.

C’était la première fois qu’il voyait un métamorphe en pleine transformation. C’était particulièrement étrange, mais aussi fascinant. Jared laissa percer un nouveau sourire sur son visage, imaginant déjà ce que ce jeune homme pourrait lui apporter avec son don. Un espion de premier ordre ! Et qui avait du cran, car il soutenait son regard glacial sans sourciller et surtout – surtout ! – sans détourner les yeux. Cherchait-il à faire plier l’hostile ou était-il seulement confiant dans ses capacités ? Savait-il déjà que l’intérêt que Jared lui portait avait été décuplé par cette seule démonstration ? Probable, car Jared ne cachait rien de son sourire ou du petit plissement amusé de ses yeux. En plus, Jared se doutait que l’homme ne lui avait pas montré cette apparence juste pour le plaisir de la chose, mais parce qu’il tenait à gagner sa confiance.

Le jeune homme se présenta sous le nom de Sieg Alexander, et disait être à son service. Ses paroles étaients particulièrement intéressantes. Sieg lui dit qu’une personne telle que lui se devait d’être informé, que l’information était à la base de toute guerre et que c’est là qu’il intervenait. Jared se disait qu’avec un don pareil, ce n’était pas étonnant. Sieg lui posa deux questions : combien de temps, d’argent et de contact avait-il dû contacter pour le retrouver ? et combien de temps avait-il gaspillé ? Réponse à la première : plusieurs et pour la seconde : plusieurs heures ! Le métamorphe ajouta que son métier consistait à simplifier sa tâche, qu’il vendait des informations. Si une information n’était pas en sa possession, il s’engageait à l’obtenir dans un délai raisonnable, contre argent ou service rendu, tout dépendant du terrain d’entente. Une offre intéressante, vraiment. Jard aurait du travail pour un tel mutant, c’était l’évidence même, et il comprit que c’était pour cela qu’il l’avait recherché. Et il était quasiment sûr que Jared mordrait à l’hameçon. Leurre et appat. Jared n’aimait pas être ainsi utilisé, mais il devait admettre en lui-même que le jeune homme avait réussi à s’attirer sa curiosité. Et le sourire que le métamorphe affichait malgré sa position précaire, bien qu’un peu irritant aux yeux de l’hostile, faisait remonter l’autre mutant dan son estime. * Il a du cran, ce gamin ! * se dit-il en laissant percer un rire amusé.

- Tu es courageux, Sieg Alexander, et j’apprécie cette qualité !

Ce fut tout ce que Jared prononça de sa voix rauque et puissante avant de refermer la porte avec un champ de force, bougeant sa main négligemment. Il se détourna du jeune homme et observa la chambre sans bouger d’où il se trouvait. Un lit, simple matelas apparemment en bien mauvais état, tout près d’où Sieg était prisonnier, une commode et une autre porte, donnant probablement sur la salle de bain. Simple déduction. Le mur en face du lit attira son regard vert et il s’approcha, faisant craquer le parquet sous ses pas.

Sur la partie droite du mur, des dizaines de portraits étaient épinglés. Jared les parcourut du regard et nota une certaine hiérarchie dans tout cela. Son portrait à lui trônait au sommet et il vit que le papier était à moitié déchiré. Sieg n’avait apparemment pas eu le temps de tout imprimer avant de se faire surprendre dans la mairie. Il y avait un espace libre près du portrait de Jared, réservé pour Chow Watanabe. Il y avait d’autres portraits sur le mur, la plupart étant des sous-traitants mutants, simples contacts ou gens inutiles aux yeux du Second des Hostiles. Il vit les portraits de Piotr et des autres mutants évadés des bases d’Apocalypto. Quelques portraits attirèrent son regard et Jared lâcha un grognement. Ces gens-là n’étaient pas inutiles à ses yeux, loin de là ! Le portrait de Sèverine était dans le lot, tout comme celui de Walter, de Flavia et de Rachel, avec un point d’interrogation à côté de leur fiche. Les photographies avaient été prises de loin et n’étaient pas parfaitement cadrées. Jared reconnut le lieu de travail de Walter sur sa photo, tandis que Rachel et Flavia avaient été photographiées ensembles. Sèverine, elle, était devant son appartement. Il prit les trois photographies, les plia puis les glissa dans une de ses poches avant d’observer la partie gauche du mur.

Ce côté-ci se composait du contraire de l’autre partie du mur. Membres d’Apocalypto – avec le visage de Whitehood tout en haut – et de différents organisme anti-mutants. Des noms, des rangs, annotations diverses… C’était très intéressant, ça aussi. Jared reconnut le Docteur Miller sur son portrait et le décrocha du mur, le gardant en main. Il y avait également le portrait d’une femme dans le lot, une mutante travaillant pour Apocalypto. Tous des Anti-Mutants, du plus infime au plus connu d’entre eux. Il avait drôlement bien travaillé, le Sieg ! Tout près de ces images, il y avait un autre groupe, plus petit. Parmi ceux-là, il y avait le visage d’une jeune asiatique nommé Ai Mei. Jared ne savait pas qui elle était, mais il se doutait que c’était là les humains pro-mutants.

Il se tourna enfin vers Sieg Alexander et alla chercher l’unique chaise de la salle. Il s’y assit, s’appuyant contre le dossier. Il dévisagea le jeune homme un moment, avec autant d’expression dans le regard qu’un cadavre, puis se décida à parler :

- Les gens sur les images que je viens d’enlever du mur n’ont jamais existées, tu saisis ? Tu oublies leur existence. Son ton était tranchant, aussi glacial que le vent sifflant dans le Grand Nord, et n'admettait aucune autre vérité. * Soit tu obéis, soit tu meurt, clair ? Tu t'intéresses encore à eux et je me fâche. *, telle était sa pensée du moment. Jared leva le portrait du Docteur Miller et le déchira en deux à la verticale. Quand à lui… Il n’est plus de ce monde.

Il retourna dans son mutisme, observant toujours le métamorphe et réfléchissant. Il reprit la parole après s’être allumé une cigarette et avoir tiré quelques bouffées, son expression devenant moins glaciale. Un sourire franc s’afficha sur son visage et il leva une main, faisant disparaître le champ de force qui enveloppait le mutant. Ce dernier faillit se casser la gueule, car il flottait jusqu’alors à presque un mètre du sol, mais il se reprit et évita de s’humilier devant l’hostile.

- Ton offre m’intéresse, Sieg, tu t’en doutes bien, tout comme ton pouvoir. Explique-moi donc un peu plus ce dont tu es capable et si cela me convient, nous conclurons une sorte d’entente, d’alliance pourquoi pas, si tu arrives à me convaincre. Explique-moi aussi d’où tu débarques comme ça, ça m’intéresse. Je veux aussi savoir ce que tu sais – Jared pointa le mur avec les myriades de photos – sur ces gens-là. Les plus importants surtout, ce qui m’inclus. Que sais-tu d’eux ? Des Mutants évadés, des différents groupes de mutants, des Hostiles, de Chow Watanabe... Que sais-tu de moi ?

Jared était à peu près certain qu’il n’aurait même pas eu à confirmer qu’il était intéressé. L’autre le savait déjà. Restait simplement à voir ce qu’il savait réellement, si son don et ses capacités n’étaient pas que poudre aux yeux. Si tel n’était pas le cas, ils feraient affaire et le jeune homme, comme Wizard, s’enrichirait de façon hallucinante si ses informations avaient de la valeur. Chow avait amassé des fonds immenses au fil des ans et cette richesse leur était utile dans ces moments-là. Jared sourit à nouveau, guettant ses réactions. Serait-il assez bon orateur pour le convaincre totalement ? Probablement – il était déjà convaincu en fait, mais voulait voir ce que l’autre savait – car sans talent oratoire, les espions dans le genre de Sieg survivaient rarement. Celui-là serait-il différent ?