Dans la vie réputée imprévisible et déconcertante de miss Alexander subsistait un jour renommé par circonstances et pour son plus grand plaisir : rituel. Ce jour là, tout était réglé comme du papier à musique, clair, précis, et linéaire. Il commençait ainsi par un réveil dynamique, si tant est que l’on pouvait qualifier cela de réveil .. En effet, l’ADN félin contenu dans les gènes de la jeune femme faisait d’elle une piètre dormeuse, notamment la nuit, et elle préférait vagabonder en Achaea une fois sa compagne argentée apparue dans le ciel sombre. Ainsi, le matin on ne pouvait pas dire qu’elle se réveillait, mais plutôt que démarrait sa vie d’être humain « normal » ou presque.
Cette nuit d’ailleurs, elle avait choisi de s’entraîner un peu dans le parc de la ville. Celui-ci disposant de nombreuses installations sportives -comme des agrées ou encore des cordes, mais surtout de nombreux arbres, il se révélait l’endroit idéal pour exploiter le potentiel la jeune femme.

Il devait être aux environs de six heures du matin lorsqu’elle commença à reprendre une activité physique banale. Une inconnue grimpant aux arbres et se déplaçant avec une telle agilité au cœur de ceux-ci qu’on la croirait capable de voler n’était pas, selon elle, une publicité rentable. Ainsi, elle se contenta de courir à une allure raisonnable alors que les humains envahissaient eux aussi l’endroit à la recherche d’un peu d’occupation. Cela ne lui était pas inutile, bien que pour les autres courir rimait avec perte de poids, pour Zhenya cela signifiait réguler et surtout contrôler son rythme cardiaque. En outre, depuis qu’elle était enfant, la santé de son cœur était un élément récurant, non handicapant mais parfois énervant qui venait perturber la jeune femme. Bien que son corps se soit idéalement adapté aux intensives séances d’entraînement auxquelles elle le soumettait, on ne pouvait pas en dire autant de son métabolisme. En de rares occasions certes mais présentes néanmoins, la mutante ressentait en effet de vives douleurs au niveau de cet organe si précieux, sans jamais avoir pu en déterminer la cause … La course l’aidait donc à, comment expliquer cela … l’aidait à communier avec son flux vital et petit à petit lui apprenait à mieux le comprendre, mieux le gérer.

L’arrivée de la très ponctuelle Madame Steiner la tira de sa torpeur. En effet, venait de faire son entrée dans le parc une vieille dame emmitouflée dans son sempiternel manteau gris, dont la couleur rappelait étrangement celle de ses cheveux, mais aussi, fait plus étonnant, se rapprochait de celle du poil de l’animal qu’elle tenait en laisse. Un chien, bien évidemment, un setter anglais, qui, comme chaque jours, s’arrêta net devant Zhenya, attira l’attention de sa maîtresse.

- "Oh ! Pardon Mademoiselle ! Couché Orlando, couché … "

La voix de la quadragénaire tremblait toujours comme si elle avait froid, ce qui ne surprenait plus Zhenya, bien qu’ils se trouvaient en plein milieu du mois d’août. Elle s’exprimait dans un anglais avec un fort accent étranger qui faisait penser à de l’espagnol, car bien que la mutante ne parla pas cette langue, son ouïe la menait vers de telles conclusions. Son flair lui, en revanche, la poussait à se diriger vers la sortie du jardin, loin de l’odeur pestilentielle qui émanait de l’affreux Orlando. Lui non plus n’était par ailleurs pas insensible à la fragrance que dégageait la féline. Il avait les babines retroussées, ce qui lui donnait un air agressif, presque méchant, cependant il ne bougeait pas d’un poil. Le regard de Zhenya paralysait ses muscles, et la jeune femme en était parfaitement consciente; on pouvait même dire que ça l’amusait de voir un chien si effrayé par la présence d’un félin. Aussi, c’est sans adresser un moindre regard à l’animal qu’elle s’adressa à sa propriétaire, de sa voix si douce et captivante.

- "Bonjour Madame Steiner. Ne vous inquiétez pas pour votre chien, il ne me dérange pas. N’est ce pas ? "

Cette dernière remarque avait été directement adressée à l’intéressé, appeler un chien un chien était quelque chose qui avait le don d’énerver ces sales bêtes, Zhe le savait pertinemment, et c’était bien ce qui l’amusait. Eh, il fallait bien profiter de toutes les occasions pour se venger d’elles !
Totalement insouciante de l’agression psychologique dont était victime son pauvre Orlando, Mme Steiner gratifia son interlocutrice d’un large sourire, relevant sur elle ses yeux vitreux

- "Oh oui il est gentil ce petit. Tout comme vous mademoiselle."

… et le caresser comme le faisait sa maîtresse procurait encore bien plus de honte au pauvre animal … Las de se petit jeu, la jeune femme prit congé auprès de la dame en gris et repartit avec un pas de course léger jusqu’à son appartement situé à quelques rues de là.



¤ Hum…. Seconde phase de ma charmante journée .. ¤

C’est en se léchant la lèvre inférieure que la mutante pénétra dans son appartement. L’odeur alléchante qui lui parvenait renforça son enthousiasme, la poussant vers une sorte de transe où son corps entier n’était attiré que par une seule et unique chose, l’objet de son désir, le verre de lait posé sur la table de son séjour. Oh bien sur, elle savait pertinemment qu’il se trouvait là, à l’endroit exact où elle l’avait posé plus tôt dans la nuit, mais la joie que lui procurait sa proximité grandissante était indescriptible. Cependant, aujourd’hui, une chose inhabituelle vint perturber son petit moment de plaisir. On s’était déjà invitée à sa table.. Qui osait se permettre une telle hérésie ? Et de surcroît sans y avoir été convié ? Ou plutôt qu’est-ce que … Elle observa l’animal chapardeur en train de se régaler de sa gourmandise lactée. Il était plutôt petit, jeune, le corps bariolé de nombreuses taches sombres ou encore claires, se la queue annelée et se trouvait en position assise. Il lui faisait penser à un ocelot … Finalement, il se redressa fièrement sur ses pattes lorsqu’il perçut l’arrivée de Zhenya et la fixa intensément de ses prunelles vertes, semblables à celles de la brune. Leur échange dura une poignée de secondes mais paru bien plus long, avant que le félin intrus ne se mette à ronronner bruyamment, alors que la jeune femme éclata d’un rire carillonnant.
Se déplaçant vers lui avec une aisance et une légèreté déconcertante, elle tendit la main vers le chat qui la lui lécha immédiatement.

- "Je ne crois pas t’avoir invité mon beau … "

Il se mit alors à ronronner de plus belle, comme pour l’implorer de le pardonner, se frôtant tendrement contre ses doigts fins. Zhenya sourit, joueuse, et lui tira doucement l’oreille.

- "Aller régales-toi va ! Profite bien de mon dernier quart de lait … "

La laissant à son affaire, elle se dirigea vers sa salle de bain en sifflotant. Tant pis, puisqu’elle était à court de lait et qu’aujourd’hui était le jour à ne pas manquer, elle décida de se rendre en ville réclamer son dû. Le tout après une bonne douche bien évidement !



Ainsi, contrairement à son habitude, elle se rendit dans le centre, en quête d’un café ouvert tôt en Achaea. Vêtue d’un jersey blanc et d’un jean sombre à la coupe droite, Zhenya parti à la recherche de sa petite gourmandise matinale. Étrangement, ses talons ne claquaient pas sur le sol bétonné de la ville comme le faisaient ceux des humaines. Son pas était bien trop léger pour cela.
Flânant ainsi, elle laissa son odorat si sensible fureter ça et là, au grès des odeurs qui tourbillonnaient autour d’elle. C’était bien plus utile qu’un quelconque plan, car bien qu’elle ressente encore beaucoup de difficultés à reconnaître une personne par son parfum, il lui était facile de repérer les aômes qu’elle adorait, comme par exemple celle du lait …. Et elle ne s’y trompa pas puisqu’après quelques pas elle se retrouva face à face avec la sobre mais engageante enseigne du « Liam’s Coffee » d’Achaea.

¤ Bingo … ¤

Un homme sorti de l’échope, une tasse de mokaccino à la main, et les effluves qui émanaient du lieu donnèrent un sourire de satisfaction à la jeune femme. L’inconnu lui retint la porte afin qu’elle aussi puisse jouir du « fabuleux talent de Liam » (en ses termes à lui) et elle lui répondit par un clin d’œil aguicheur. Ne sachant plus trop comment réagir, l’homme resta immobile encore quelques secondes après le passage de Zhenya, observant cette femme à l’allure si charismatique et sensuelle, puis se détourna et repris son chemin, un franc sourire aux lèvres.
La mutante, quand à elle, avait dores et déjà oublié l’inconnu et se dirigeait d’un pas décidé vers le comptoir. Certes il y avait un peu de monde qui attendait pour se faire servir, et les trois employés du « Liam’s Coffee » avaient un peu de mal à gérer l’affluence. Cela étonna d’ailleurs la brune, pas les sourires crispés des employés non, mais plutôt le nombre de personnes qui faisaient la queue. Certes beaucoup d’entre eux repartaient ensuite, emportant leurs précieuses boissons dans leurs gobelets mais .. Elle aurait aimé être si tranquille..

.. Elle aurait aimé être si tranquille mais tant qu‘à être là, autant faire preuve de patience .. Ou du moins c‘est ce que Zhenya envisageait, mais la rapidité d‘action assez limitée des employés du « Liam‘s Coffee »  mettait cette patience à rude épreuve. Son verre de lait, elle aurait dû le boire depuis un petit moment déjà après tout ! Ah, que pouvaient -être agaçants les rituels non respectés …
Puis une brise légère vint animer avec douceur sa crinière brune, caressant sa nuque, lorsqu’un nouveau client tira la porte pour entrer dans le café. Étrangement et d’une manière tout à fait surprenante, l’arrivée de l’inconnu provoqua chez la jeune femme une vague de frissons brûlants, calmant immédiatement ses pulsions meurtrières. Elle savait que cette personne, qui venait par ailleurs de se poster derrière elle, était un homme grâce à l’arôme si particulier qu’il dégageait. Un subtile mélange aux accents musqués de la graine d’hibiscus et le cèdre, dont l’accord suggérait un bois précieux, masculin et raffiné, presque sensuel. Bien qu‘elle trouva son parfum agréable, la jeune femme ne se laissa pas distraire encore davantage et concentra son attention vers l‘avant, alors qu‘il ne restait plus qu’un client entre elle et sa précieuse boisson.

Enfin ! Sa récompense si méritée était tellement proche .. Plus qu‘une commande et …. À moins que le client précédent n‘en ai décidé autrement ? Ayant remarqué les tremblements dont souffrait le jeune homme devant elle, Zhenya l‘observait du coin de l‘œil depuis un petit moment déjà lorsqu‘il décida de s‘emparer du gobelet brûlant qui venait de lui être servi. Ainsi, c‘est sans aucun mal et avec un grande réactivité qu‘elle l’attrapa par le poignet au moment où il se retourna pour partir, rattrapant ainsi par la même occasion le liquide hautement calorifique qui, à quelques dixièmes de secondes près, aurait terminé sa course sur le haut blanc de la mutante. L’homme, quelque peu désorienté, balbutia quelques mots d’excuses à Zhenya, alors que son teint prenait une pigmentation écarlate au fur et à mesure qu’il comprenait ce qu’il venait de se passer. Et surtout ce qu’il aurait pu provoquer chez cette inconnue si charmante, n’empêchant pas ses pensées de vagabonder vers une certaine hypothèse où son haut blanc maculé se serait teinté de transparence … Pourtant, c’est une jeune femme moins imaginative et plus pressée qui le lâcha, anéantissant par la même occasion ses espoirs visant à se rincer l’œil. Ainsi, c’est avec un certain air de chien battu qu’il se dirigea vers la sortie, avec néanmoins ce petit sourire en coin, du à la rencontre avec une si jolie jeune femme.

Passant une main dans sa chevelure soyeuse, délivrant ainsi dans l’air ambiant un parfum mêlé de miel et de vanille, Zhenya s’adressa à la serveuse sur un ton un poil plus brusque qu’elle ne l’aurait souhaité, à cause notamment de l’incompétence du précédent client. Cependant, une autre voix s‘éleva en même temps que la sienne :

- "Un lait !"
- "Un lait !"

La mutante se tourna vers l’importun qui avait osé lui coupé la parole, le fusillant du regard avec un air mécontent. Comparé à son mètre soixante huit, il était bien plus grand, devant mesurer dans les un mètre quatre vingt ou quatre vingt quatre, cependant il ne l’impressionna nullement. Devant son air agacé, il enchaîna :

- "Excusez-moi, j'étais si absorbé par mes pensées et ma futur commande que celle-ci est sorti toute seule, je vous offre votre tasse de lait afin d'excuser mon impolitesse ?"


L’intensité de ses prunelles pomme aux reflets irisés l’intrigua quelques secondes, bien qu’il prit soin de ne rien en montrer. Maintenant dénuée d’agressivité la voix de l’inconnu se révélait être terriblement sensuelle, ajoutez à cella son sourire charmeur, et Zhenya se dit qu’il devait en avoir séduit plus d’une avec cette combinaison d’effets si masculins. Cependant, ce ne serait certainement pas son cas, aussi décida-t-elle de remettre à sa place cet homme en costume.

- "J‘y compte bien. D‘ailleurs …"

Elle s’approcha de l’inconnu d’un pas et pris la cravate qu’il portait entre deux de ses doigts fins et chauds, avec une grande délicatesse et un sourire envoûtant suspendu aux lèvres. La proximité avec cet être renforça encore davantage l’impression qu’elle avait eu lors de son entrée dans le café, mais cela ne la stoppa guerre sur sa lancée. Se penchant vers le comptoir, elle n’en réduit pas pour autant la douce pression exercée sur la cravate de l’homme. L’entraînant ainsi légèrement vers elle, Zhenya s’adresse à la serveuse.

- "Et mettez moi un double. Avec une cravate comme la sienne, il sera surement ravi de m‘en offrir un."

La jeune femme s’était exprimé presque en murmurant, mais savait pertinemment qu’à cause du peu de distance qu’elle avait mit entre elle et le brun, celui-ci avait parfaitement suivi l’échange avec l’employée du "Liam’s Coffee" . Employée qui, amusée par cette situation, se mit immédiatement en tâche pour servir ces deux nouveaux clients favoris.
Zhenya lâcha alors la cravate qu’elle tenait et prit le parti d’ignorer celui qui venait de lui offrir une double tasse de lait. Puis, lorsqu’elle fut servie, la mutante se dirigea d’un pas souple vers une table non loin de là, gratifiant tout de même l’inconnu d’un - "Merci." prononcé dans un souffle.

Tout en tirant la chaise métallique pour s’asseoir et profiter de cette belle journée, Zhenya murmura quelques accords de « Stand by me », une presque ancestrale chanson de Ben E. King qu’elle appréciait énormément. Le contact avec le métal la fit doucement frissonner; même à travers son jean sa sensible peau pouvait en sentir sa froideur. Cela ne la perturba pas pour autant et, tout en portant le précieux nectar à ses lèvres couleur pêche, elle se prit à observer une enfant à jouer avec son grand frère. Celui-ci venait de lui prendre la peluche qu’elle serrait jusqu’alors et la petite fille l’implorait de la lui rendre. Cette situation amusa la jeune femme qui, totalement absorbée par sa contemplation, n’entendit pas les pas s’approcher derrière elle.

- "Je crois que cette place est libre, non ?"

La voix calme et masculine derrière elle la sortit de sa torpeur, et c’est avec étonnement que Zhenya regarda l’inconnu amoureux de lait prendre place en face d’elle. Sans prononcer le moindre mots ou amorcer de geste d’agacement, la jeune femme prit le temps d’observer plus attentivement les traits de l’inconnu. D’ailleurs, celui-ci ne le resta pas longtemps puisqu’il se présenta rapidement sous le nom de Chris Adams. Ainsi, Chris, se révélait être un jeune homme plutôt charmant, on aurait presque pu dire qu’il était au goût de la mutante si cet affreux costume ne lui collait pas à la peau. Zhenya avait en effet une certaine animosité face à l’autorité et à la vanité, or cet homme en semblait, malheureusement pour lui, la victime inconditionnelle.
Bah, et pour ajouter à cela, il n’avait même pas relevé sa petite blague concernant son hideuse cravate. Ce n’était pas très joueur… Mais Zhenya aimait jouer. Certes, l’homme qui lui faisait face désormais avait réussi à inverser la précédente situation en la surprenant dans sa rêverie mais les cartes n’en étaient pas pour autant toutes abattues. Bien au contraire, et elle comptait bien, d’une façon ou d’une autre, prouver à cet importun qui était l’animal le plus féroce en ces lieux.

- "... et à qui ai-je l'honneur d'offrir sa boisson lactée ?"
- "A quelqu‘un qui se demande dans quoi Chris Adams peut bien travailler pour avoir déniché une cravate pareille ?"

Ok, tant pis pour la férocité, depuis qu’elle l’avait touché ce fichu morceau de tissus l’obsédait ! Le voir ainsi se balancer au coup du jeune homme ravivait en elle ses instincts de chasseur .. Elle avait inconditionnellement et irrésistiblement envie de la lui arracher pour jouer avec…
Plantant son regard amusé dans celui intrigué de son interlocuteur, Zhenya passa prestement sa petite langue rosée sur ses lèvres, coupant ainsi court à ses élucubrations de félin immature. La mutante se perdit ainsi une poignée de secondes dans la contemplations de ses yeux au vert intriguant, profond, totalement en adéquation avec l’apparence générale que Chris donnait. Certes, il avait ce petit côté beau gosse et séducteur de commercial luxuriant, mais maintenant qu’elle y prêtait davantage d’attention, la féline détectait en lui une toute autre chose. Elle n’aurait su dire quoi exactement, ni définir ce que elle même ressentait en le contemplant, mais ce sentiment était .. familier.
Une étincelle éclaira son regard désormais fortement ancré dans celui de cet homme mystérieux alors qu’elle plongeait un doigt dans le breuvage si apaisant.

Zhenya avait parfaitement repéré la lueur d‘amusement dans les yeux de son interlocuteur, et décida, elle aussi de lui donner ce qu‘il attendait. Aussi porta-t-elle avec une féminité et une sensualité déconcertante le doigt humide de lait entre ses lèvres. Habituellement, ce genre d‘attitude désarçonnait plus d‘un homme, les rendant fous de désirs, mais ici ce n‘était pas réellement son intention .. Ou du moins pas la première d‘entre elles, bien sur que la réaction du jeune homme l‘amuserait mais Zhenya cherchait avant tout à le provoquer, à entrer dans son jeu. Elle voulait lui montrer qu‘elle aussi, et ce sans le facteur café en compte, savait « offrir une gourmandise lactée ». Elle attendit la réaction de Chris dans un état d‘amusement palpable.

¤Profiter de la journée...¤

Lorsque Chris planta son regard dans le sien, la jeune femme ne broncha pas et le soutint. Cependant, elle parvint à distinguer l’infiniment petite et dissimulée lueur triomphale qui anima quelques microsecondes ses yeux d’un vert luisant. Ce demandant où l’homme voulait bien en venir, elle fit mine de ne pas entendre les pas de la serveuse se rapprocher de leur table et se concentra pour décrypter l’expression bien étrange qu’arborait maintenant son interlocuteur…

-" Je ne souhaitais pas vous offenser, excusez... "

Une expression qui, quelques secondes plus tard était on ne peu plus simple à décrypter puisqu’il s’agissait de celle de la douleur ! Dans le cerveau de la féline, toute cette scène s’était déroulée au ralenti, elle n’en avait pas manqué le moindre détail. Déjà, lorsqu’elle avait senti la légère impulsion donnée par la serveuse contre sa chaise, la jeune femme savait qu’elle aurait très bien pu la stopper, comme elle l’avait fait un peu plus tôt pour l’homme tremblant du café. Or elle n’avait pas bougé d’un pouce. Certes ce geste, visiblement délibéré l’intriguait, mais certainement pas assez pour qu’elle puisse se désintéressé de la réaction de son interlocuteur. Après tout, à force de jouer avec le feu et d’importuner ainsi les femme, peut-être avait-il simplement fini par se brûler ? Peut-être cette serveuse était-elle simplement jalouse de la femme à qui il faisait la cours ? Non, cela ne collait pas, elle aurait du renverser son plateau sur Zhenya .. Pourtant ce n‘étaient pas ses réflexions qui avaient eu raison de la curiosité de la mutante, mais bien davantage la crosse du .7mm qu‘elle avait très nettement distinguée lors du sursaut précipité du prétendu cadre .. Ses pupilles, dilatées à l’extrême, lui avaient même permises d’y distinguer une entaille sur celle-ci. Une entaille visiblement peu récente à la vue des résidus de desquamation présents à l’intérieur.
Contrairement au jeune homme, Zhenya bouillonnait intérieurement. Venait-elle de se faire avoir comme une simple débutante ? Un vice-président d’une société d’import-export ça ne se tremblait pas avec une telle arme en ville. Non. Celle qu’il portait, aisément dissimulée à sa ceinture, avait tout de celle d’un traqueur. La jeune femme savait pourtant tellement bien les reconnaître, faisant elle-même partie de se groupe si particulier de la population d’Achaea. Elle avait était négligente, mais cela ne se reproduirait pas.
Désormais méfiante, elle décida de sauver les apparences et continua leur échange comme si de rien n’était. Ou presque, ses paroles dorénavant orientées vers un réel but : dénicher des informations sur cet homme. Bien sur, elle était loin de se douter que cela n’était qu’un horrible mise en scène à son insu et commanditée par ce frère qu’elle aimait tant …

-"Mon nom est Zhenya."

Elle cracha ses mots tel un venin, comme s'ils lui brûlaient la gorge, dans un russe à l'accent irréprochable. Si Chris avait réellement voyagé en Russie, il saurait répondre à cette phrase très simple. Lui permettant de tester sa couverture de commercial, mais également pourquoi pas de chercher les véritables raisons de son voyage, s’exprimer en sa langue natale permettait surtout à Zhenya de calmer la colère qui montait en elle.
En effet davantage habituée à réagir de façon expressive et colérique dans sa jeunesse, la jeune femme avait du apprendre à se maîtriser pour ne pas tomber dans les pièges tendus par ses adversaires. Ainsi, la Zhenya autrefois indomptable et sauvage savait désormais laisser place à une femme imperturbable et manipulatrice, lorsque le besoin s’en faisait sentir. Oh bien sur parfois sa nature féline reprenait le dessus, comme cela avait été la cas précédemment. Mais lorsque le danger s’en faisait sentir, ce nouvel esprit de conservation, bien différent de ses anciens comportements, pouvait la tirer de situations épineuses. En outre, bien qu’il y a quelques années de cela elle aurait choisi de suivre discrètement l’homme aux toilettes pour l’interroger de façon peu amicale, aujourd’hui elle savait préférer la solution plus tortueuse, manipulatrice.
Ainsi, c’est sur un ton égal à sa précédente remarque qu’elle ajouta :

-"Et non, ce n'est pas la façon dont vous parlez de mon peuple qui me déplaît, mais plutôt celle dont vous semblez traiter les femmes Monsieur Adams."

Petite remarque par rapport au comportement de la serveuse, comportement qu’elle avait encore du mal à diagnostiquer clairement. D’ailleurs il y avait un autre point que la jeune femme avait du mal à éclaircir : pourquoi Chris gardait-il sa veste souillée ? Si cela était dans la but de dissimuler son arme alors c’était plutôt raté, voir même carrément suspect .. Il y avait quelque chose chez cet homme de perturbant. Elle était à la fois intérieurement effrayée que l’on ai pu découvrir son secret, mais tellement désireuse d’en chercher l’explication, que même avec la grande prudence dont elle faisait preuve, Zhenya s’enfonçait inéluctablement vers le piège tendu par cet inconnu.

Ainsi, lorsque l’homme lui répondit dans un russe irréprochable, la mutante fut prise de légers frissons. Certes, elle voulait qu’il connaisse on identité, ou tout ou plus confirmer ce qu’il savait déjà sur elle, mais n’empêche … Rester ainsi à la merci de ses adversaires, ou du moins leur faire croire cela, n’était pas un exercice facile pour une femme si sauvage qu’elle ..

Pourtant elle parvint à garder son calme, sauver les apparences. Faisant mine de ne pas avoir percé à jour l’homme se trouvant en face d’elle, du moins pas totalement, Zhenya afficha un air cynique et reprit :

-"Je ne sais pas si je dois en dire autant .. Mais vous savez, vous pouvez aller vous nettoyer un peu , je ne vais pas m’enfuir ." 

Jouant sur les mots en parlant de fuite, puis ponctuant sa phrase par un clin d’œil, la jeune femme tenta de mettre le doute dans l’esprit de Chris. S’il savait vraiment qui elle était, alors il se douterait de la réaction de la féline, et penserait justement que son but était de l’attirer dans un endroit assez calme pour pouvoir lui refaire le portrait, mais assez fréquenté pour que lui ne puisse utiliser son arme. Cherchant ainsi à l’effrayer, ou au minimum à le déstabiliser, elle enchaîna :

-"D’ailleurs, puisque vous m’offrez un fondant au chocolat, soyez sur que je serais là à votre retour." 

Appuyant sa phrase d’un signe de la main destiné à la serveuse, elle attendit la réaction de son interlocuteur. Avait-elle finalement reussi à semer le doute dans son esprit ?