Kaileen Moore ▬ Piotr Zakharine

4 Novembre 2024 – 8h25 a.m Devant la Boulangerie, Achaea

Piotr n'était pas homme à se mettre en danger volontairement, voilà pourquoi il s'obstinait à rester aussi effacé, ne pas participer à la vie du quartier, à se faire oublier, et surtout, ne laisser aucun souvenir aux gens qu'il rencontrait. C'était aussi difficile de le faire, que difficile de l'accepter, le blond ne voulait pas vivre comme ça, des fois l'idée qu'il aurait pu vivre autrement s'il n'avait jamais été captif de l'opération, lui traversait la tête. En réalité, c'était mentir que de dire « des fois », c'était l'idée qui lui trottait en permanence dans la tête, tapie derrière une masse de soucis à résoudre pour la journée, et qui tout à coup pouvait sauter dans l'esprit du blond pour la moindre raison, voir un couple se balader main dans la main sous les arbres, une famille rigoler ensemble, vivre tout simplement. Lui, ça lui était désormais refusé, jamais le jeune Russe ne pourrait avoir une vie « normale » tout simplement parce que ses gènes le lui refusait, mais il s'était évadé de cette base dans l'espoir de pouvoir un jour vivre parmi les humains et être traité comme tel. Malheureusement dans son esprit naïf et innocent, il n'avait jamais eu l'idée que les habitants de cette ville pourraient être d'accord avec ce que l'opération faisait sur eux. Piotr était un éternel positif, il voulait voir le bon coté des gens, et s'était imaginé que si un jour cette opération était révélée à la face du monde, les gens s'uniraient pour défendre les mutants victimes des tests contre nature qu'on avait effectué sur eux. Mais ce n'était pas le cas, pas encore, seulement le slave ne perdait pas espoir, un jour, dans cinq ans, dans dix ans, dans un siècle peut-être, les humains comprendraient, et ils accepteraient les mutants parmi eux. Il ne serait plus là, lui, mais si sa vie pouvait servir à faire évoluer les choses, il ne perdait pas espoir, il n'avait pas le droit. L'espoir, c'était la seule chose qui lui restait.

Si les mutants perdaient espoir, c'était terminé, il fallait attendre, espérer qu'un jour les humains puissent s'éveiller suffisamment pour comprendre l'erreur dans laquelle ils étaient. Pourquoi s'obstiner à vouloir combattre ce qui était différent de nous ? Piotr ne comprenait pas ce désir de détruire toute chose qui n'entrait pas dans les normes, à quoi bon servait un monde ou tout était prévu à l'avance, où tout homme entrait dans un moule ? Il fallait un peu de folie dans la vie, sans quoi elle devenait rapidement ennuyante, et les mutants avait été la folie de Dieu, s'il en existait un du moins. C'était la vision des choses du jeune slave, et il savait qu'il avait raison. Les humains étaient capables de comprendre tout ça, Hanae en avait été la preuve vivante, elle craignait les mutants, avant, et depuis leur rencontre, leur relation avait évoluée, et maintenant ils partageaient un amour commun, elle montrait qu'il n'y avait aucun danger à se lier avec des mutants. Craindre cette « race » parce qu'un jour un mutant nous avait frappé, c'était stupide, dans ce cas Piotr devrait craindre les femmes blondes comme les chercheurs qui s'occupaient de lui, il devait aussi craindre le blanc puisque telle était la couleur de la cellule où il avait vécu pendant quatorze longues années. Mais il n'en avait pas peur, il passait outre et se disait que c'était du passé. Jusqu'à la réapparition de sa petite amie, Piotr vivait avec la déprime pour seule compagne, s'imaginant que son erreur avait été de naître mutant, et encore pire, de survivre à cette naissance. Mais maintenant il savait la vérité, il se disait que s'il était sur cette Terre, c'était pour une bonne raison, et que personne n'aurait le droit de lui prendre cette vie. Il avait déjà assez donné pour l'évolution de cette planète, son enfance passée enfermé dans cellule miniature, et il était encore prêt à croire qu'on pouvait permettre aux humains d'attendre, d'évoluer, et de comprendre.

Le Russe n'était pas stupide, il savait bien que peu de monde, pour ne pas dire personne, ne serait d'accord avec lui, les mutants préféraient tous s'imaginer qu'ils étaient supérieurs ou qu'ils devaient vivre cachés, les humains ne demandaient qu'à croire les autorités qui faisaient la chasse aux sorcières des mutants, ce n'était que pures fadaises. Voilà tout. Et si les mutants vivaient avec les humains depuis des milliers d'années ? On prétextait que ce n'était que depuis une petite centaine d'années, mais au fond de lui, le blond était sûr qu'il y avait toujours eu des mutants pour protéger, aider, et vivre avec les humains, leur entente avait toujours été parfaite, alors pourquoi cette guerre maintenant ? Vivre dans la crainte de l'autre « race » n'était pas normal, si la nature avait fait d'eux ce qu'ils étaient, c'était bien pour que tout le monde puisse s'entendre. Certains mutants étaient dotés de pouvoir absolument magnifiques, soigner des blessures très graves sans peine, permettre à des personnes de pouvoir retrouver un membre de leur famille perdu,.... Il y avait bien entendu des pouvoirs terrifiants aussi, comme ces mutants capables de faire vivre des cadavres ou bien pire, mais il fallait de tout pour faire un monde, et les mutants pourraient aider les humains, si seulement ces derniers acceptaient de l'être. Malheureusement c'était peine perdue, tout cela ne semblait pas près d'arriver, et il fallait patienter, encore, ça faisait tellement d'années que le Russe attendait qu'il n'était plus à ça près au final.

La tête pleine de pensées, Piotr s'était réveillé le matin de bonne heure comme à son habitude, Aelys dormait encore dans la pièce d'à coté et le Russe avait donc rapidement aéré la pièce tout en prenant soin de tout ranger, il s'obstinait à conserver un appartement présentable même si jamais personne ne venait leur rendre visite. Question de satisfaction personnelle dira-t-on. Après avoir rapidement tout rangé, le jeune homme en profita pour prendre une douche, puis décida de sortir dans la rue histoire d'aller acheter quelque chose pour le déjeuner de la jolie demoiselle qui jouait à la belle au bois dormant. Depuis qu'ils avaient tous les deux trouvé un travail digne de ce nom et dont ils ne devaient pas rougir, les évadés pouvaient se permettre quelques envies de temps en temps, et Piotr savait qu'Aelys aimait avoir de temps en temps, un petit pain à son réveil. Dans le rôle de grand frère qu'il s'était donné, le slave veillait donc à ce que sa petite sœur de cœur puisse profiter de la vie. Il attrapa donc sa veste habituelle, plutôt épaisse malgré la saison, seule vêtement qui parvenait à retenir le froid dégagé par son corps, puis il plaça son éternelle casquette sur sa chevelure blonde comme les blés. C'était un réflexe naturel qu'il avait prit, toujours avoir de quoi se masquer le visage en cas de risque. Le jeune homme dévala les escaliers de l'immeuble plutôt miteux où ils vivaient, non sans avoir frappé à la porte de la vieille dame qui vivait deux étages en-dessous deux, et qui aidait souvent les deux évadés, pour lui demander si elle avait besoin de quelque chose, puis il se retrouva dans la rue déjà éclairée par le soleil levant. Le jeune mutant leva les yeux pour observer un ciel bleu parsemé de petits nuages semblables à des moutons dans un champ, la comparaison le fit sourire alors qu'il s'avançait dans la rue en direction du centre-ville. Il n'avait pas besoin d'aller aussi loin pour ce qu'il voulait, au coin de la rue il y avait un boulanger qui connaissait maintenant bien les deux mutants neutres, et pour tout dire, Piotr l'aimait beaucoup. C'était un humain, il avait remarqué les difficultés du Russe à comprendre le système monétaire, et l'avait très aimablement aidé, souvent Piotr se disait qu'il lui rendrait un jour la pareil. Il marcha donc en direction du petit établissement, et en moins de cinq minutes, il fut dans la boulangerie où il acheta quelques petits pains, un pour Aelys, un pour la voisine du dessous, un pour Espéranza sa voisine, et le dernier pour qui voudrait, Piotr n'était pas amateur de ce genre de nourriture malheureusement. Lorsqu'il sortit de la boulangerie située en coin de rue, le blond salua le patron avant de tourner pour reprendre le chemin de son appartement, mais à ce moment il rentra en plein dans une personne qui venait du sens opposé. La jeune femme, puisque s'en était une, fut projetée sur le sol avec la force de l'impact, et Piotr la regarda interloqué quelques secondes avant de prendre enfin la parole, un air désolé affiché sur le visage, un accent traînant et un ton navré dans sa voix.

▬ Je suis vraiment désolé, je ne vous avais pas vu venir ! Est-ce que ça va aller ? Rien de cassé ? »

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